Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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FRANCE. (suite)

Des opérateurs, tel Eugène Schüfftan* qui eut une influence certaine sur la photographie des films français, des décorateurs comme Andrejew*, Pimenov ou Trauner* choisissent aussi la France pour y travailler. Au début de 1939, Ludwig Berger* présente Trois Valses, compromis heureux entre l'opérette viennoise et le boulevard parisien. À travers les chants et les rires, c'est un adieu à toute une époque.

Renoir et la fin d'une époque.

La guerre arrive. On ne veut pas le croire. Pourtant, depuis 1936, les histoires d'espionnage se sont multipliées. L'ennemi n'y est pas clairement désigné. Toute allusion au nazisme est évitée. Si l'on excepte un médiocre film de Mathot, la crise de Munich ne se reflète que dans Menaces (E. T. Gréville*, 1940), dont la sortie sera contrariée par la fatalité et les événements. Mais on exalte les vertus guerrières (Trois de Saint-Cyr, Jean-Paul Paulin, 1939), les pactes d'amitié (Entente cordiale, L'Herbier, id.), la solidarité coloniale (Sentinelles de l'Empire, Jean d'Esme, id. ; La France est un empire, Degrai et Bourcier, 1940). On veut croire en la ligne Maginot (Sommes-nous défendus ?, Jean Loubignac, 1938), en la Légion (le Chemin de l'honneur, Paulin, 1940), en la France d'outre-mer (Légions d'honneur, Gleize, 1938). On invoque constamment l'Union sacrée de 1914. Gance tire hâtivement une seconde mouture de J'accuse (1938) et, dans Paradis perdu (1940), peint de façon saisissante la mobilisation et la Grande Guerre. Poirier idéalise les figures de deux Sœurs d'armes (1937) et Hugon transforme Raimu en Héros de la Marne (1938). On veut conjurer les périls : au pacifisme éperdu de Jean Choux (Paix sur le Rhin, id.) fait écho la fraternité internationale prêchée par Joannon (Alerte en Méditerranée, id.) ; mais, comme l'optimisme reste de rigueur, on multiplie les farces de caserne (Ignace, P. Colombier, 1937 ; Trois Artilleurs au pensionnat, René Pujol, id.).

Le spectateur est ainsi ballotté entre les images d'un Paris tendrement pittoresque (Hôtel du Nord, Carné, 1938) ou violemment dramatique ( Le jour se lève, id., 1939). Il passe des faubourgs en clair-obscur aux grandes artères chaudes de lumière, théâtre des sketches cyniques de Mirande ou désinvoltes de Guitry, pour se retrouver devant des mélos patriotiques. Les tirades sentimentales s'y débitent avec accompagnement de trompettes à la gloire des armées de terre (Double Crime sur la ligne Maginot, Félix Gandéra, 1937), des gardiens de l'Empire (les Hommes sans nom, J. Vallée, id.), des armées de mer (Feu !, Baroncelli, 1936), des chasseurs alpins (Sidi-Brahim, M. Didier, 1939). Dans de telles conditions, un film aussi dérangeant que Drôle de drame (Carné, 1937) ne pouvait que choquer le public.

La filmographie de Renoir montre qu'il a imposé son style à tous les grands thèmes : adaptations théâtrales (On purge Bébé et la Chienne, 1931 ; Boudu sauvé des eaux, 1932 et Chotard et C ie, 1933) ; adaptations littéraires (la Nuit du carrefour, 1932 ; Madame Bovary, 1934 ; Une partie de campagne, 1946, RE : 1936 ; les Bas-Fonds, 1937 ; la Bête humaine, 1938). Le drame de Toni (1935), sans comédiens professionnels, est tourné dans les décors naturels de Provence. La Grande Illusion (1937) dénonce les faux-semblants. On pourrait aussi bien parler du réalisme de la Chienne, de Boudu, de la Bête humaine, de la Russie des Bas-Fonds, du tragique social de Toni. La lumière du Front populaire, qui commence à percer à travers les répliques et les situations du Crime de monsieur Lange (1936), illumine La vie est à nous (id.), assemblage de sketches et de morceaux d'actualité montés à la demande du parti communiste, et la Marseillaise (1938), entrepris grâce à une souscription de la CGT avec l'ambition d'être la fresque révolutionnaire attendue. Sinon, le recensement des œuvres inspirées par cette période est mince. Duvivier imprime sa marque sur l'aventure décevante des cinq chômeurs de la Belle Équipe (1936), et le Temps des cerises de Jean-Paul Le Chanois* (1938) développe parallèlement la vie difficile des ouvriers et les manœuvres des nantis. On ne veut pas entendre parler de la guerre d'Espagne. Seul André Malraux* en témoignera dans Sierra de Teruel (Espoir), qui sera présenté fin 1939 mais n'aura de diffusion qu'après la guerre. À deux mois à peine du conflit, la sortie de la Règle du jeu scandalise et déchaîne la colère. Plus que jamais impétueux et lyrique, amoureux d'une liberté qui l'écarte des normes classiques, inclinant ses interprètes vers un jeu décontracté, savoureux et déroutant, Renoir fait le procès d'un monde qui meurt. Le rideau tombe sur cette danse macabre grotesque, sur cette perpétuelle partie de cache-cache, sur ces intrigues qui se télescopent, sur ces coups de fusil qui foudroient le gibier et les invités, sur ces déguisements et ces fous rires forcés. Au son du limonaire, la farce devient drame. Dans dix mois, la France sera aux abois.

La production française pendant l'Occupation.

La déclaration de guerre empêche la création du premier festival international du cinéma à Cannes. Les studios se vident. L'exploitation est gênée par les mesures de sécurité et par le black-out. La censure interdit tout ce qui porte préjudice à l'image de la France et de son armée. La production reprend doucement à partir d'octobre, mais le seul film de quelque envergure ne sera mis en chantier que le 2 janvier 1940 à Nice. Duvivier, Spaak et Marcel Achard* en sont les maîtres d'œuvre. Les services de Jean Giraudoux, responsables de la propagande, leur ont commandé une fresque sur la vie des Français de 1870 à 1939. Une riche interprétation la soutient. Untel père et fils sera à peine terminé au moment de l'invasion. Duvivier arrive à le soustraire aux Allemands, à l'expédier aux États-Unis. Les Américains en auront la primeur. Pendant neuf mois, la production — comme la guerre — stagne. Yves Mirande s'amuse des nouvelles contraintes. Le comique troupier lance ses derniers pétards. L'Herbier, pressé par les événements, termine de justesse à Rome la Comédie du bonheur, qui ne sortira qu'en 1942. Les projets italiens de Renoir échouent. Cependant, Pagnol annonce le tournage de la Fille du puisatier, qui sera interrompu puis repris après l'armistice. Quelques gracieux documentaires, signés Marc Allégret ou Marcel L'Herbier, prévus pour l'Exposition internationale de New York, passent sur les écrans. On y voit aussi des films de montage : Eux et nous de E. Helsey et A. Rasimi, ou De Lénine à Hitler de G. Rony. Alors que Grémillon n'arrive pas à terminer Remorques, la capitale se vide, les Français s'affolent, les armées se disloquent, l'envahisseur est partout. Par un beau jour de juin, une ligne de démarcation mutile soudain le pays. La IIIe République a vécu, l'Occupation commence et le maréchal Pétain devient le garant de l'ordre nouveau.