Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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STERNBERG (Jonas Sternberg, dit Josef von) (suite)

La grande période marlénienne — nourrie, nul n'en doute, des amours difficiles du cinéaste-Pygmalion et de la star-Galatée — appelle quelques observations. Sur la femme fatale d'abord, dont on a souvent dit à tort qu'elle est la figure fondamentale de la Marlene de Sternberg, quelles que soient ses métamorphoses — mais déjà les héroïnes des films antérieurs, ainsi l'Evelyn Brent (« Feathers ») des Nuits de Chicago et de Crépuscule de gloire, si elles tiennent de la vamp sont néanmoins capables d'amour sincère et de sacrifice. Ce ne sont pas elles qui sont fatales, mais la beauté, mais la vie ; l'amour est la forme la plus flagrante du destin. La haine du réel qui s'illustre dans ces films (les plus libres de sa carrière), le statut quasi mythique attribué à la passion amoureuse, renvoient à un Sternberg dandy et fétichiste. Au sortir du « cycle » Dietrich, le cinéaste avait pourtant mûri une sagesse désenchantée et stoïcienne qui illuminera ses deux dernières grandes créations : Shanghai Gesture (1941) et Anatahan (1953), véritable testament spirituel. Une phrase de ce dernier film résume la parabole de la femme dans son œuvre : « D'abord elle n'était pour nous qu'un autre être perdu en ce bout du monde ; puis elle devait devenir à nos yeux une femelle, puis une femme, la seule au monde. » (Ce commentaire, Sternberg, qui l'a écrit, le dit lui-même en voix off au cours du film.) Un monde plastiquement sans profondeur, à deux dimensions, donc impénétrable, toujours coupé de barrières, de cloisons ajourées, de filets, de rideaux, de paravents, de canaux, de brumes, de serpentins, de lianes, d'obstacles de toutes sortes, surchargé d'ornements, un monde sans horizon, sans issue.

En 1937 (« J'ai cessé d'être un cinéaste en 1935 »), Sternberg achève un périple autour du monde. Il se passionne pour l'anthropologie, pour les arts de la Polynésie et de l'Extrême-Orient. À Londres, il commence Moi, Claude d'après le roman de Robert Graves, qui promettait d'être un chef-d'œuvre des plus personnels, mais qui est bientôt interrompu. L'annonce de l'Anschluss (1938) le jette dans une crise grave (perte de la vue, de la mémoire, asthénie). À peine rétabli, il rentre à Hollywood. Il n'avait pas tout à fait renoncé à sa première veine « réaliste » (Une tragédie américaine, 1931 ; Crime et Châtiment, 1935) ; il accepte d'y revenir avec Au service de la loi (1939), pure commande dont il se désintéresse aussitôt. Ses films s'espacent. Ses déboires recommencent avec Les espions s'amusent, qui ne seront exploités qu'en 1957, avec le Paradis des mauvais garçons (1952). Après Anatahan, abandonnant définitivement la réalisation, il enseignera l'esthétique du cinéma à l'université de Los Angeles.

Films  :

les Chasseurs de salut (The Salvation Hunters, 1925) ; Escape (The Exquisite Sinner, id.) ; The Masked Bride (id.) ; la Mouette (The Sea Gull / Woman of the Sea, 1926) ; les Nuits de Chicago (Underworld, 1927) ; Crépuscule de gloire (The Last Command, 1928) ; les Damnés de l'océan (The Docks of New York, id.) ; la Rafle (The Dragnet, id.) ; le Calvaire de Léna Smith (The Case of Lena Smith, 1929) ; l'Assommeur (Thunderbolt, id.) ; l'Ange bleu (The Blue Angel, 1930) ; Cœurs brûlés (Morocco, id.) ; X 27 (Dishonored, 1931) ; Une tragédie américaine (An American Tragedy, id.) ; Shanghai-Express (1932) ; Blonde Vénus (The Blonde Venus, id.) ; l'Impératrice rouge (The Scarlet Empress, 1934) ; la Femme et le Pantin (The Devil is a Woman, 1935) ; Remords (Crime and Punishment, id.) ; Sa Majesté est de sortie (The King Steps Out, 1936) ; Moi, Claude (I, Claudius, 1937), inachevé ; Au service de la loi (Sergeant Madden, 1939) ; Shanghai / Shanghai Gesture (The Shanghai Gesture, 1941) ; la Ville (The Town, 1943-44) ; Les espions s'amusent (Jet Pilot, 1957 [, 1950]) ; le Paradis des mauvais garçons (Macao, 1952) ; Anatahan / Fièvre sur Anatahan (Saga of Anatahan, 1953).

STÉVENIN (Jean-François)

acteur et cinéaste français (Lons-le-Saunier 1944).

Homme de cinéma très complet, il effectue dans les studios tous les métiers, de technicien à assistant réalisateur. En 1978, il réalise et interprète Passe-montagne, première œuvre attachante qui décrit l'étrange itinéraire de deux hommes, dans une atmosphère qui se situe entre le réalisme du quotidien et le mystère de l'imprévisible, et en 1986 Double messieurs. Acteur, il a promené sa petite taille, sa calvitie naissante, sa pugnacité nerveuse dans de nombreux films dont Out One : Spectre (J. Rivette, 1971), la Nuit américaine (F. Truffaut, 1973), Si je te cherche (Roger Diamantis, 1974), Barocco (A. Téchiné, 1976), Mais où est donc Ornicar ? (Bertrand Van Effenterre, 1978), Deux Lions au soleil (C. Faraldo, 1980), Neige (J. Berto et J. D. Roger, 1982), Passion (J.-L. Godard, id.), Notre histoire (Bertrand Blier, 1984), Flight to Berlin (Christopher Petit, id.), Sale destin (Sylvain Madigan, 1987), les Maris, les femmes, les amants (P. Thomas, 1988), Peaux de vaches (Patricia Mazuy, 1989), Lune froide (Patrick Bouchitey, 1991), Sushi Express (Laurent Perrin, id.), Olivier, Olivier (A. Holland, 1992), À cause d'elle (Jean-Loup Hubert, 1993), les Patriotes (E. Rochant, 1994), À vendre (Laetitia Masson, 1999), Total western (E. Rochant, 2000), De l'amour (Jean-François Richet, 2001).

STEVENS (George)

cinéaste américain (Oakland, Ca., 1904 - Lancaster, id., 1975).

Fils d'acteur, lui-même enfant de la balle, George Stevens travaille pour le cinéma dès 1921, comme assistant opérateur. Vers la fin des années 20, il collabore avec Hal Roach comme opérateur de nombreux courts métrages de Laurel et Hardy. En 1930, Roach lui permet de devenir cinéaste. Il quitte Roach pour l'Universal en 1932, puis pour la RKO où, après des comédies anodines, il signe son premier film personnel et remarqué, Alice Adams (1935), avec Katharine Hepburn dans le rôle principal. Son talent est confirmé l'année suivante avec Sur les ailes de la danse, une des meilleures comédies musicales de la RKO et du tandem Fred Astaire-Ginger Rogers. En 1939, il réalise Gunga Din, film d'aventures appartenant au genre de l'épopée coloniale britannique aux Indes, en vogue à l'époque, bien construit mais très conventionnel, reproduisant tous les clichés de l'idéologie colonialiste.