Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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YOUGOSLAVIE. (suite)

Au début de cette nouvelle décennie, la créativité fut marquée par deux courants extrêmes. D'une part, l'adoption d'un mode d'expression moderne, amorcée durant les années précédentes, atteint un niveau de réalisme difficilement dépassable ; d'autre part, le nombre de films commerciaux sans intérêt artistique augmente notablement. Avec l'approfondissement des analyses psychologiques se développe un goût prononcé pour le naturalisme sans fioritures et le réalisme politique. Depuis les vétérans, comme Štiglić, avec sa Ballade d'une trompette et d'un nuage (Balada o trubi i oblaku, 1961), jusqu'aux débutants, comme le Slovène Boštjan Hladnik*, avec la Danse sous la pluie (Ples na kisi, id.), nombreux sont les cinéastes qui se lancent avec plus ou moins de succès dans des réalisations aux accents souvent marqués de la Nouvelle Vague fraņcaise. La Ville en flammes (Uzavreli grad), de Štiglić et Bulajić (1961), re¸coit la même année le Grand Prix du festival de Pula, qui avait été fondé en 1954. Dans cette voie nouvelle, ouverte à l'imagination et à la création, mais dont l'avenir était incertain, de nouveaux talents vont s'engouffrer. Jože Babić se lance dans la Fête (Veselica, 1960) ; Hladnik récidive avec le Château de sable (Peščani grad, 1962) ; Veljko Bulajić fait forte impression avec Kozara (1962), tout comme Jovan Jivanović surprend avec la Fille étrange (Čudna devojka, id.) ; Aleksandar Petrović* débute avec Deux (Dvoje, 1961), suivi des Jours (Dani, 1963), puis de Trois (Tri, 1965), où il dessine, selon un schéma strict, le portrait d'un être humain englouti par la guerre ; Bauer donne avec Face à face (Licem u lice, 1964), travail critique sur la production cinématographique nationale, un des films les plus achevés de la période ; la même année, le vieux routier Mimica s'aventure avec succès dans le long métrage de fiction avec Prométhée de l'île de Viševica (Prometej s otoka Viševica). Suivant ce dernier sur une voie pleine de promesses, plusieurs documentaristes se lancent dans le film de fiction, parmi lesquels Puriša Djordjević*, avec sa trilogie sur la guerre et la Résistance (la Fille [Devojka], 1965 ; le Rêve [San], 1966 ; le Matin [Jutro], 1967).

Lorsqu'en 1967 Petrović remporte un succès international avec J'ai même rencontré des Tziganes heureux (Skupljači perja), le cinéma yougoslave semble en pleine ascension ; sans pour autant complètement abandonner l'évocation des faits de guerre, plusieurs auteurs vont parallèlement s'engager sur des chemins divers.

Ainsi, Dušan Makavejev*, révélé par L'homme n'est pas un oiseau (Čuvek nije tica, 1965), se montre un fin directeur d'acteurs dans Une affaire de cœur (Skupljaći perja, 1967), puis dans Innocence sans protection (Nevinost bez Zaštite, 1968), dont l'humour caustique sera sans doute pour quelque chose dans les succès ultérieurs de son auteur à l'étranger. Živojin Pavlović*, inspiré quant à lui par les détails ordinaires de la vie, parvient, avec sensibilité, à faire passer dans ses films le drame du quotidien : sa première réalisation, l'Ennemi (Neprijatelj, 1965), est tirée de la nouvelle de Dostoïevski le Double ; le Réveil des rats (Budjenje pacova, 1967), puis Quand je serai mort et livide (Kad dudem mstav i beo, 1968), écrit selon une composition apparemment classique, témoignent du sens critique de l'auteur et de sa conviction que le drame naît de l'intérieur et non de la surface des choses et des personnes. Matjaž Klopčič* enfin, révélé par Une histoire qui n'existe pas (Zgodba, ki je ni, 1966), film-manifeste sur l'incompréhension, poursuit avec Sur les ailes en papier (Na papirnatim avionima, 1967) sa recherche sur l'incommunicabilité. Ainsi dominée par une poignée de metteurs en scène, aux noms desquels il conviendrait d'ajouter celui de Fadil Hadžić*, qui persévère dans son observation de la vie quotidienne avec Protest (id., 1967), cette époque est également marquée par l'expression de nouveaux talents comme Zvonimir Berković, avec le Rondo (Rondo, 1966), Vladan Slijepčević, avec le Protégé (Štićenik, id.), ou Djordje Kadijević, avec la Fête (Praznik, 1967), qui s'expriment comme beaucoup d'autres encore dans la voie du classicisme le plus absolu. Après avoir été à l'apogée de sa production et de sa créativité, le « nouveau cinéma » yougoslave connaît, à la fin des années 60 et au début des années 70, un certain essoufflement ; crise du sujet, épuisement de l'invention artistique, chute de la production : autant d'indices de déclin. Des films de cinéastes non négligeables, s'ils connaissent parfois des succès publics et critiques, retournent à un schéma narratif et à une esthétique plus conventionnels : le Bouleau (Breza, Babaja, 1967) ; l'Événement (Dogadjaj, Mimica, 1969) ; les Cyclistes (Bicikliti, Djordjević, 1970) ; l'Embuscade (Zaseda, Pavlović, 1969) ; les Épis rouges (Crveno klasje, id., 1970) ; le Vol de l'oiseau mort (Let mrtve ptice, id., 1973) ; la Fête des morts (Sedmina, Klopčić, 1969) ; Oxygène (Oxygen, id., 1971) ; la Peur (Strah, id., 1974).

Depuis 1968, le cinéma yougoslave, tout en poursuivant certaines recherches individuelles, renoue avec un de ses thèmes de prédilection : l'évocation de l'action des partisans durant la Seconde Guerre mondiale. Dans ce genre, la Bataille de la Neretva (Bitko na Neretvi, Bulajić, 1969) est la première d'une série de superproductions guerrières, dont on aurait pu faire l'économie. Alors que les nombreux courts métrages et films documentaires demeurent souvent classiquement descriptifs, les films d'animation sont toujours riches d'inventions et particulièrement vifs dans leurs critiques sociales. L'industrie cinématographique yougoslave se lance de plus en plus dans les coproductions avec l'extérieur : un climat propice, une main-d'œuvre bon marché, des aides gouvernementales incitent à investir. Certains metteurs en scène de renom, Makavejev, Petrović ou Žilnik, amorcent une carrière internationale pour continuer à travailler comme ils l'entendent et se voient violemment critiqués par les autorités pour « distorsions tendancieuses des sujets traités » : Travaux précoces (Rani radovi, Želimir Žilnik, 1969) ; W. R. ou les Mystères de l'organisme (WR, misterije organizma, Makavejev, 1972) ; le Maître et Marguerite (Maestro i Margarita, Petrović, id.). À côté de ces réalisateurs, attirant peu ou prou à eux l'attention, de nombreux autres, quoique talentueux, ne sont pas parvenus, sinon exceptionnellement, à rencontrer l'audience extranationale qu'ils auraient méritée. Parmi eux : Miša Radivojenić, avec son provocant et inattendu Film sans paroles (Bez, 1973) ; Kiril Cenevski, auteur macédonien, avec Graine noire (Crno seme, 1971) ; Srdjan Karanović*, avec son original Jeu de société (Društvena igra, 1972) ; Bato Čengić, avec son inégal travail, à la limite du documentaire, le Rôle de ma famille dans la révolution mondiale (Uloga moje porodice u svetskoj revoliciji, 1971) et Scènes de la vie d'un travailleur de choc (Slike iz života udarnika, 1972) ; Krsto Papić, avec les Menottes (Lisice, 1971) et la Représentation d'Hamlet au village (Predstava Hamleta u Mrduśi Donjoj, 1973) ; Zdravko Velimirović avec le Derviche et la Mort (Derviš i smrt, 1974).