Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
M

MITCHUM (Robert) (suite)

Aussi émouvant que Laurence Olivier (la Fille de Ryan, D. Lean, 1970) ou aussi inquiétant que Charles Laughton lorsque celui-ci lui confie, dans un film unique, un rôle exceptionnel (la Nuit du chasseur, 1955), il impose d'abord son personnage calme et nonchalant. C'était sur ce charme « cool », un rien paresseux, voire un peu veule ou un peu gouape, que Howard Hughes voulut bâtir l'alchimie du couple Mitchum-Russell : Fini de rire (His Kind of Woman, J. Farrow, 1951, où Mitchum repassait ses billets de banque froissés) ou le Paradis des mauvais garçons (J. von Sternberg, 1952) attestent sinon de la réussite, du moins du caractère sympathique de l'entreprise. Cette décontraction, idéale pour le film noir, pouvait à loisir passer pour du je-m'en-fichisme ou pour un détachement moral ; il était en fait un mélange des deux : Where Danger Lives (Farrow, 1950), Mon passé défendu (R. Stevenson, 1951) ou Racket (J. Cromwell, 1951) méritent une place très honorable dans un panorama du genre, juste au-dessous de ces classiques que sont Feux croisés (E. Dmytryk, 1947), la Griffe du passé / Pendez-moi haut et court (J. Tourneur, 1947), Un si doux visage (O. Preminger, 1953) ou même Adieu ma jolie (Dick Richards, 1975). Dans ces films, Mitchum dépasse subtilement la décontraction pour suggérer une certaine lassitude intérieure, une noblesse bafouée proche de la misanthropie. En revanche, ses rôles westerniens ne dépassent que rarement le caractère superficiel de cette décontraction : Ciel rouge (R. Wise, 1948) avait annoncé la couleur que la Rivière sans retour (Preminger, 1954), Bandido Caballero (R. Fleischer, 1956), El Dorado (H. Hawks, 1967) ou Un homme fait la loi (The Good Guys and the Bad Guys, B. Kennedy, 1969) n'ont fait que confirmer. Mitchum y représente, d'un côté ou de l'autre de la loi, un héros fataliste, en paix avec lui-même. Ce n'est qu'occasionnellement qu'il a fait vivre quelques personnages westerniens tourmentés : la Vallée de la peur de Walsh, l'Homme au fusil de Wilson (1955) ou l'Aventurier du Rio Grande de Parrish (1959).

En un second temps, c'est la sensibilité de Robert Mitchum, véhiculée par la souplesse de son jeu et l'économie de son expressivité, que l'on remarque. Dans ce registre introspectif, trois de ses interprétations sont mémorables. Le patriarche de Celui par qui le scandale arrive (V. Minnelli, 1960), dont le bureau est aussi rouge que la blessure qu'il porte au fond de lui-même. Le GI troublé par la féminité d'une nonne avec qui il est naufragé dans une île du Pacifique, dans l'admirable Dieu seul le sait (J. Huston, 1957), qui contient sans doute la création la plus fine, la plus subtile et la plus grisante de Mitchum. Enfin, le tueur fatigué, fidèle aux vieilles amours et aux vieilles amitiés, confronté à un Japon déchiré entre la tradition et le modernisme, dans Yakuza (S. Pollack, 1975).

En creusant encore son personnage, Robert Mitchum en arrive à suggérer le Mal intégral. Par trois fois, il a incarné un personnage douteux caché sous l'habit ecclésiastique : dans Cinq Cartes à abattre (H. Hathaway, 1968), dans la Colère de Dieu (R. Nelson, 1972), mais rarement avec l'envergure shakespearienne qu'il atteignait dans la Nuit du chasseur. Il a récidivé de manière assez terrifiante en tueur tranquille et de blanc vêtu dans les Nerfs à vif (J. Lee Thompson, 1962). Mais c'est dans la Nuit du chasseur que l'on mesure le mieux la dimension de son talent : Mitchum y passait de l'ironie à la bouffonnerie, du pathétique à la terreur authentique avec une conviction et une économie de moyens étonnantes. Cette démarche vers l'intérieur fait l'étoffe riche et délicate de l'art de Robert Mitchum : une démarche solitaire et discrète qui est un défi lancé à ceux qui ont la vue courte.

Autres films :

Hoppy Serves a Writ (George Archainbaud, 1943) ; Border Patrol (Lesley Selander, id.) ; Terreur dans la vallée (The Leather Burners, Joseph E. Henabery, id.) ; Follow the Band (Jean Yarbrough, id.) ; Colt Comrades (Selander, id.) ; The Human Comedy (C. Brown, id.) ; We've Never Been Licked (John Rawlins, id.) ; Beyond the Last Frontier (Howard Bretherton, id.) ; Bar 20 (Selander, id.) ; Doughboys in Ireland (Lew Landers, id.) ; Corvette K-225 (R. Rosson, id.) ; Aerial Gunner (William Pine, id.) ; Lone Star Trail (Ray Tailor, id.) ; False Colours (Archainbaud, id.) ; les Maîtres de ballet (The Dancing Masters, M. St. Clair, id.) ; Riders of the Deadline (Selander, id.) ; Gung Ho ! (R. Enright, id.) ; Minesweeper (William Berke, id.) ; Cry Havoc (R. Thorpe, id.) ; Surprise-party (Johnny Doesn't Live Here Anymore, J. May, 1944) ; 30 Secondes sur Tokyo (M. LeRoy, id.) ; Nevada (Edward Killy, id.) ; The Girl Rush (G. Douglas, id.) ; West of Pecos (E. Killy, 1945) ; Till the End of Time (E. Dmytryk, 1946) ; le Médaillon (J. Brahm, id.) ; la Femme de l'autre (G. Cukor, J. Conway, 1947) ; Rachel and the Stranger (N. Foster, 1948) ; le Poney rouge (L. Milestone, 1949) ; ça commence à Veracruz (D. Siegel, id.) ; Holiday Affair (Don Hartman, id.) ; Une minute avant l'heure H (T. Garnett, 1952) ; les Indomptables (N. Ray, id.) ; la Sorcière blanche (H. Hathaway, 1953) ; Passion sous les tropiques (R. Maté, id.) ; She Couldn't Say No (L. Bacon, 1954) ; Track of the Cat (W. Wellman, id.) ; Pour que vivent les hommes (S. Kramer, 1955) ; l'Enfer des tropiques (R. Parrish, 1957) ; Torpilles sous l'Atlantique (D. Powell, id.) ; Thunder Road (Arthur Ripley, 1958) ; Flammes sur l'Asie (Powell, id.) ; Trahison à Athènes (R. Aldrich, 1959) ; les Combattants de la nuit (Garnett, 1960) ; Ailleurs l'herbe est plus verte (S. Donen, id.) ; Horizons sans frontière (F. Zinnemann, id.) ; The Last Time I Saw Archie (Jack Webb, 1961) ; le Jour le plus long (collectif, 1962) ; Deux sur la balançoire (R. Wise, id.) ; le Dernier de la liste (J. Huston, 1963) ; Massacre pour un fauve (Rampage, Ph. Karlson, id.) ; l'Affaire Winstone (Man in the Middle, G. Hamilton, 1964) ; Madame Croque-Maris (J. Lee Thompson, id.) ; l'Aventurier du Kenya (Mr. Moses, R. Neame, 1965) ; la Route de l'Ouest (A. McLaglen, 1967) ; la Bataille pour Anzio (E. Dmytryk, 1968) ; Pancho Villa (B. Kulik, id.) ; Cérémonie secrète (J. Losey, id.) ; Young Billy Young (B. Kennedy, 1969) ; l'Affrontement (Going Home, Herbert B. Leonard, 1971) ; The Friends of Eddie Coyle (P. Yates, 1973) ; la Bataille de Midway (J. Smight, 1976) ; le Dernier Nabab (E. Kazan, id.) ; De la neige sur les tulipes (The Amsterdam Kill, Robert Clouse, 1977) ; Matilda (Daniel Mann, 1978) ; le Grand Sommeil (M. Winner, id.) ; Les espions sont dans la ville (Agency, George Kaczender, 1979) ; la Percée d'Avranches (Breakthrough, McLaglen, [ 1979] 1981) ; That Championship Season (Jason Miller, 1982) ; Maria's Lovers (A. Mikhalkov-Kontchalovski, 1985) ; The Ambassador (J. Lee-Thompson, id.) ; Mr. North (Danny Huston, 1988) ; Scrooged (Richard Donner, id.) ; Présumé dangereux (G. Lautner, 1990) ; les Nerfs à vif (M. Scorsese, 1991) ; Tombstone (George Pan Cosmatos, 1993, narrateur) ; Woman of Desire (R. Cinty, id.) ; Dead Man (J. Jarmush, 1995). ▲