Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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WAHBI (Yusuf)

écrivain, metteur en scène, acteur égyptien (Le Caire [?] 1898 - Le Caire 1982).

Cet homme de théâtre, qui suit un enseignement d'art dramatique en Italie au lendemain de la Première Guerre mondiale, fonde, en 1923, au Caire, le théâtre Ramsis, qu'il dirige jusqu'en 1958. Il y fait jouer non seulement ses pièces, mais un répertoire étendu. Il participe en même temps à la naissance du cinéma égyptien : c'est grâce à son aide financière et à sa présence que Muḥammad Karim peut tourner le deuxième film qui fait date en Égypte, Zaynab (1929), qui sera sonorisé. Pour Wahbi, le cinéma est un complément docile de la scène. L'acteur se fait producteur et cinéaste, mais sans gagner aucun titre de gloire avec des comédies ou des mélodrames superficiels dans la tradition du théâtre filmé : ‘ l'Interdit ’ (al-Difa, 1933), ‘ Gloire éternelle ’ (al-Magd al-Khalid, 1936), ‘ l'Heure de l'exécution ’ (Sa'at al-tanfidh, 1937), Gawhara (1942). Il est assez prolixe pour signer, de 1944 à 1947, treize films du même ordre. Le théâtre et quelques rôles à l'écran maintiendront son prestige : il joue dans l'intéressante fresque d'Abu Sayf, Le Caire 30 (1966), dans Miramar de Kamal as-Shaykh (1969), puis dans le Choix de Yusuf Chahin, qui lui rend une sorte d'hommage en l'invitant à une ultime apparition à l'occasion d'Alexandrie, pourquoi ? (1982).

WAHLBERG (Mark Robert Michael Wahberg, dit Mark)

acteur américain (Dorchester, Mass., 1971).

Ancien musicien de rock, il flirte avec le cinéma dès le début des années 90. Mais il faudra attendre sa création de Candide au pays du porno dans Boogie Nights (P.T. Anderson, 1997) pour connaître cet acteur sobre et crédible, finement humoristique ou hypersensible si la situation le demande. Même des entreprises peu ambitieuses comme le Corrupteur (James Foley, 1999) ou En pleine tempête (W. Petersen, 2000) bénéficient de son jeu nuancé et attachant. Mais on le préfère, sombre, buté et pathétique, ancien tolard désireux de se réinsérer, dans The Yards (J. Gray, id.) où son talent est au diapason des exigeances du cinéaste.

WAJDA (Andrzej)

cinéaste polonais (Suwałki 1926).

Son père était officier de carrière, sa mère institutrice. Quand la guerre éclate, il a treize ans ; son père est tué dès septembre 1939. Le jeune Wajda doit se mettre au travail ; il est tonnelier, serrurier, il aide à restaurer des fresques d'églises. En 1942, il prend part à la Résistance dans les rangs de l'AK (Armia Krajowa), l'Armée de l'intérieur, que dirige le gouvernement légal à Londres et qui s'opposera vite à l'Armia Ludowa, l'Armée du peuple, contrôlée par les communistes. Il termine ses études en 1946, s'inscrit à l'académie des beaux-arts de Cracovie et fonde, avec le peintre Andrzej Wroblewski, le Groupe des autodidactes, partisans d'une peinture « barbare et brutale », influencée par le néoréalisme et par l'art graphique mexicain ; il entre enfin à l'école de cinéma de Łódź. Son diplôme obtenu en 1952, il est assistant d'Aleksander Ford. En 1954, avec Génération, son premier film, il inaugure l'« école polonaise », qu'il n'a depuis cessé d'illustrer. À partir de 1959, il sera également metteur en scène de théâtre, en Pologne et à l'étranger. Depuis 1972, il dirige l'unité de production « X », et préside l'Union des cinéastes polonais. En 1980, il a pris fait et cause pour les syndicats libres de Solidarité et leur a consacré un film : l'Homme de fer.

Le thème national domine l'œuvre entière de Wajda, inséparable de l'histoire polonaise ancienne et récente. Une nation rayée de la carte du monde durant cent vingt-cinq ans, fasciste six années à peine après sa renaissance, contrainte de combattre en 1939 dans le camp des démocraties et qui s'est vue déchirée entre deux occupations (l'allemande et la soviétique). Deux résistances, deux destins : le socialisme ou l'émigration. Une génération restera écartelée par ces contradictions. Wajda se fait son porte-parole, responsable et grave. Et, de même que l'art et la littérature avaient été, par le passé, la conscience de la Pologne absente, « son seul moyen d'exister », il propose que le cinéma soit la conscience de la Pologne ressuscitée. D'où cette autre originalité : son œuvre est toujours politique. Chacun de ses films vaut pour deux temps, donc est à lire à deux niveaux : celui que date son sujet, celui que désigne le moment de sa réalisation. Les débuts de Wajda coïncident avec l'« Octobre polonais », puissant mouvement pour une déstalinisation difficile. Courageusement, Wajda sera l'homme des transgressions. Le premier, il conteste (dans Génération) la rhétorique héroïque et le manichéisme édictés par le réalisme socialiste. Il aborde les thèmes tabous du rôle efficace de l'Armia Krajowa dans la Résistance (Cendres et Diamant), de l'inaction soviétique devant l'insurrection de Varsovie (Kanal), de l'antisémitisme polonais (Samson), du divorce qui va se creusant entre la vieille et la nouvelle génération (les Innocents charmeurs, l'Amour à vingt ans), des méthodes du stalinisme et de ses mystifications (l'Homme de marbre). Ce procès, jamais abstrait ni théorique, prend corps magnifiquement au travers de destinées, individuelles ou collectives, vouées à l'échec et à la tragédie. Sa plus belle incarnation fut le fait de l'acteur Zbigniew Cybulski, auquel Wajda confia le rôle d'un « desperado » de la Résistance dans Cendres et Diamant. « Il résumait notre génération, dira le cinéaste, et il me ressemblait comme un frère. » Cybulski s'est identifié à Maciek, le héros divisé, ironique et perdu de l'Armia Krajowa, au point de le jouer dans sa vie et dans tous ses films, répétant dix années durant ce personnage (comme Jean Gabin le sien dans les années 30). Avec Wajda, il n'a cependant tourné que trois fois (Génération, Cendres et Diamant, l'Amour à vingt ans). Il est, comme le style de Wajda lui-même, tout à la fois traditionnel — romantique — et, usant d'un jeu dérivé de l'Actors Studio, contemporain. Il est mort en 1967 pour avoir voulu sauter d'un train en marche. Le cinéaste, qui avait songé à lui consacrer un film de son vivant, en a fait le héros absent de Tout est à vendre. Il lui a trouvé un parfait continuateur, mais moins cynique, en la personne de Daniel Olbrychski. Jusqu'aux Noces (1973), l'œuvre de Wajda est habitée par les contradictions et les sarcasmes de l'histoire, entre absurdité et dérision ; par l'ambition, aussi, de démystifier, de « déromantiser » la Pologne « Christ des nations », « pays des vains sacrifices et des illusions faciles ». Par un beau paradoxe, cette mise en cause du romantisme héroïque empruntera les voies esthétiques du romantisme. Dans tous ses films Wajda montre des défaites ; le romantisme est tragique. Ces défaites toutefois demeurent « ouvertes », elles n'appellent pas au renoncement mais à une difficile lucidité dans l'engagement.