Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
I

ITALIE. (suite)

Au cours de ces années, la production augmente régulièrement, ainsi que la durée moyenne des films (le passage au long métrage se fait progressivement à partir de 1909-10). Le développement productif est rendu possible par la distribution des films en Italie et à l'étranger. Dans la péninsule, on dénombre plusieurs centaines de salles qui se consacrent partiellement ou totalement au cinéma. Mais c'est surtout le succès international qui conditionne la puissance industrielle du cinéma italien. Ayant eu très tôt recours au film historique et mesuré la puissance d'impact sur le public de ce type d'œuvre, les producteurs italiens se spécialisent dans un genre qui va valoir à la cinématographie italienne une renommée considérable. Après quelques tentatives encourageantes, nées du souci, à partir de 1908, d'améliorer la qualité des films et des sujets (l'Ambrosio, par ex., produit en 1908 la première version des Derniers Jours de Pompéi et en 1909 Nerone, deux films de Luigi Maggi*), un grand succès international accueille l'Enfer de Francesco Bertolini et Adolfo Padovan d'après le poème de Dante (1911 ; PRO Milano Films) ; la Jérusalem délivrée d'Enrico Guazzoni* (1911 ; PRO Cines) ; la Chute de Troie de Giovanni Pastrone et Luigi Romano Borgnetto (1910 ; PRO Itala). La conquête du marché américain est le fait le plus spectaculaire. Si, dès 1907, comme on l'a vu, la Cines ouvre une succursale à New York, en 1908 les films Ambrosio, Rossi et Aquila sont également distribués aux États-Unis (principalement par la Biograph). Au début des années 10, l'engouement du public pour les productions italiennes conduit les distributeurs américains, et notamment George Kleine, à consentir d'importantes avances sur recettes aux sociétés italiennes. Ainsi se trouve résolu le problème du financement de films historiques de plus en plus coûteux : autour de 1912-13 sont alors réalisés les films les plus célèbres, ceux qui imposeront définitivement le long métrage et influenceront même les cinéastes américains, des œuvres comme Quo Vadis ? (Guazzoni, 1912) ; les Derniers Jours de Pompéi (versions de Caserini* en 1913 et de Enrico Vidali en 1913) ; Cabiria (Pastrone, 1914). En 1912-1914, le cinéma italien est à son apogée : les films italiens, généralement plus longs et réalisés avec de plus gros moyens que ceux des autres cinématographies, sont vendus dans le monde entier et principalement aux États-Unis, en Europe, au Brésil, en Argentine. Pendant quelques années, le cinéma italien continue sur sa lancée. Toutefois, dès août 1914, sous l'effet de l'annonce de la guerre, des sociétés de production ferment leurs portes avant de les rouvrir précautionneusement ; en 1915, les difficultés deviennent plus sensibles, d'autant qu'aux problèmes spécifiques de la situation européenne viennent s'ajouter les efforts des producteurs américains pour reconquérir le terrain perdu et entamer une concurrence très dure avec les Italiens. La révolution d'Octobre porte un nouveau coup à l'industrie italienne, qui réalisait des ventes très importantes dans la Russie des tsars. Au lendemain de la guerre de 1915-1918, pour faire face aux difficultés nouvelles issues du conflit, les principales sociétés se regroupent à l'initiative des producteurs Mecheri et Barattolo* et fondent en 1919 l'Union cinématographique italienne. Toutefois, les effets bénéfiques de cet organisme fédérateur ne se font guère sentir. Le déclin est inévitable.

L'âge d'or du cinéma muet.

Du point de vue stylistique, les années 10 sont marquées par le « peplum »* et le film historique. Après Quo Vadis ? et Cabiria, d'autres œuvres importantes sortent des studios italiens, des films comme Jules César (Guazzoni, 1914), Christus (G. Antamoro, 1916), Madame Tallien (Guazzoni et M. Caserini, id.), Fedora (De Liguoro*, id.), la Jérusalem délivrée (Guazzoni, 1918), Fabiola (Guazzoni, 1917), Theodora (Leopoldo Carlucci, 1919). La période est également marquée par l'affirmation d'autres genres. Le succès en 1913 de Lyda Borelli* dans Ma l'amor mio non muore de Mario Caserini lance la vogue des divas. Francesca Bertini*, Soava Gallone, Diana Karenne, Leda Gys*, Hesperia, Maria Jacobini*, Pina Menichelli* et, bien sûr, Lyda Borelli embrasent l'écran de leurs mouvements alanguis et de leurs passions dévorantes : les drames mondains constituent un genre qui tire sa force d'un star-system naissant. Dans ces années de grosse production, le cinéma italien se diversifie de plus en plus et couvre un champ culturel qui va des films comiques interprétés par André Deed* (Cretinetti), Marcel Fabre (Robinet) ou Ferdinand Guillaume (Tontonini puis Polidor) — films dont le succès atteignit son point culminant en 1912 — jusqu'à l'appel aux monstres sacrés de la scène convoqués pour ennoblir le nouvel art (le meilleur exemple est fourni par Cenere, un film de 1916 mis en scène par Febo Mari* et interprété par Eleonora Duse*). Le film d'aventures et le serial trouvent également leur épanouissement avec des personnages comme Maciste (Bartolomeo Pagano*) ou Za la Mort (Emilio Ghione*). Maciste triomphe de tous les périls dans un grand nombre de films : Maciste chasseur alpin (G. Pastrone, 1916), Maciste médium et Maciste athlète (id., 1918), Maciste policier (Roberto Leone Roberti, 1918), Maciste amoureux (L. R. Borgnetto, 1919). Quant à Za la Mort, il inaugure en 1915 avec la Bande des chiffres (La banda delle cifre) une mode qui atteindra son point culminant en 1918 avec les huit épisodes des Souris grises. Enfin, ce bref panorama ne serait pas complet sans l'évocation du film réaliste. Bien que limité à quelques titres, ce filon porte en lui les prémisses d'un mouvement qui fera la gloire du cinéma italien à partir de 1945. Des films comme Perdus dans les ténèbres d'après Roberto Bracco (Martoglio, 1914) ou Assunta Spina d'après Salvatore Di Giacomo (Serena*, 1915) jettent les bases d'une attention à des personnages et des lieux (les quartiers populaires de Naples) appelés à exprimer l'âme profonde d'un peuple.