Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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TARADASH (Daniel)

scénariste américain (Louisville, Ky., 1913).

Auteur dramatique dès 1938, il consacre très vite l'essentiel de ses activités au cinéma. La première partie de sa carrière se place sous le signe du réalisme social (l'Esclave aux mains d'or, R. Mamoulian, 1939, d'après Clifford Odets ; les Ruelles du malheur, N. Ray, 1949). Son registre se diversifie durant les années 50. Il collabore à l'Ange des maudits (F. Lang, 1952) et prouve des qualités d'adaptateur en « assainissant » habilement le roman de James Jones Tant qu'il y aura des hommes (F. Zinnemann, 1953). Durant la période maccarthyste, il écrit et réalise Storm Center (Au cœur de la tempête, 1956), film « libéral » au message ambigu. On lui doit aussi les scénarios de Troublez-moi ce soir (R. Baker, 1952), Picnic (J. Logan, 1956), l'Adorable Voisine (R. Quine, 1958), Hawaii (G. R. Hill, 1966), Un château en enfer (S. Pollack, 1969), De l'autre côté de minuit (C. Jarrott, 1977), ainsi que du téléfilm Bogie (V. Sherman, 1980), consacré à la vie de Humphrey Bogart.

TARANTINO (Quentin)

cinéaste américain (Knoxville, Tenn., 1963).

Ses débuts sont probablement les plus fulgurants que le cinéma américain ait connus depuis longtemps. Reservoir Dogs (id., 1992) laissait pantois par une mise en scène nette et tranchante et par des qualités d'écriture inespérées. Tarantino y retrouvait le bonheur de jouer avec le temps, les péripéties et le dialogue. Pur produit cinéphilique, premier représentant de la génération de cinéastes qui a appris le cinéma en regardant les cassettes vidéo, Tarantino a nourri son film de ce qu'il a pu voir chez Kubrick, Scorsese ou d'autres. Paradoxalement, si l'on peut y déceler nombre d'influences, Reservoir Dogs n'obéit à aucune règle narrative ou esthétique autre que celles dictées par la logique personnelle du cinéaste. Controversé, détesté par certains à cause d'une insolente abondance de qualités, Pulp Fiction (id., 1994) ne fait qu'aller plus loin dans la voie ouverte par le film précédent. Égrenant à plaisir les situations classiques du film noir et de ses épigones, Pulp Fiction est un précis du genre en même temps que sa satire. Tarantino, désormais à l'aise matériellement, utilise avec bonheur et à contre-emploi nombre d'acteurs éblouissants (John Travolta, Bruce Willis) et s'ébroue dans des décors fastueux. Reste une indéniable misogynie et des dialogues brillants mais lassants par un recours trop systématique à un vocabulaire ordurier. Quoi qu'il en soit, le caractère unique de la «  patte  » de Tarantino est déjà mesurable dans les films dont il a écrit ou coécrit les scénarios, mais où l'absence de sa vitalité débordante et de sa verve se fait cruellement sentir. Sa réalisation la plus récente, le policier classique Jackie Brown (id., 1997) confirme la virtuosité du cinéaste et la verve du dialoguiste, même si l'on peut peut-être regretter la relative sagesse du sujet.

TARITCH (Youri) [Jurij Viktorovič Tarič]

cinéaste soviétique (Polotsk 1885 - Moscou 1967).

D'abord scénariste, il devient le grand pionnier du cinéma biélorusse (avec Gardine, Faïntsimmer et Korch-Sabline), tourne ‘ Une histoire de la forêt ’ (Pervye ogni, 1925), ‘ Moroka ’ (id., CO E. Ivanov-Barkov, id.), remporte un succès critique et populaire avec les Ailes du serf/Ivan le Terrible (Kryl'ja holopa, 1926), dont le montage est dû à Esther Choub, puis poursuit sa carrière en signant plusieurs films à thèmes historiques et révolution-naires : ‘ Boulat Batyr ’ (Bulat Batyr, 1928), ‘ la Fille du capitaine ’ (Kapitanskaja dočka, id.), ‘ À demain ’ (Po zavtra, 1929), ‘ la Haine ’ (Nenavist ', 1930), ‘ la Route du navire ’ (Put ' korablja, 1935), ‘ le Onze Juillet ’ (Odinnadcatoe ijulja, 1938), ‘ le Ciel ’ (Nebesa, 1940), ‘ Nouvelles biélorusses ’ (Belorusskie novelly, un épisode [Na zov materi], CO V. Korch-Sabline, 1942).

TARKOVSKI (Andreï) [Andrej Arsenievič Tarkovskij]

cinéaste soviétique (Zavrajié, région d'Ivanovo, 1932 - Paris 1986).

Il a trois ans quand son père, le poète Arséni Tarkovski, se sépare de sa mère. Ce trauma d'enfance, redoublé bientôt par la guerre, sera tenace. Il domine l'œuvre ; il sous-tend le Miroir, entièrement autobiographique. En même temps que le lycée, Tarkovski fréquente une école de musique. Il consacre ensuite trois années à la peinture (1952-1954), étudie l'arabe à l'Institut des langues orientales (1954-1956), étudie la géologie et prospecte en Sibérie (1956-1960). Au VGIK, il apprend les techniques du cinéma sous la direction de Mikhaïl Romm. Cinéaste, Tarkovski confirme dès ses débuts ses hautes exigences tant esthétiques que morales : « Le film devrait être pour l'auteur et pour le spectateur un acte moral purificateur. » Il se réclame de l'enracinement charnel et du lyrisme d'un Dovjenko. Il se veut en outre héritier — c'est son originalité la plus criante — de la vieille culture russe, antérévolutionnaire, spiritualiste et prophétique, obsédée par la « terre humide, notre Mère ». Sa démarche est poétique, volontiers irrationnelle (« La création ne relève absolument pas de l'analyse rationnelle »). Il poursuit une communication émotionnelle qui procède par dévoilements subits, « illuminations », « épiphanies ». Il se réfère aux poètes zen et à la plénitude obscure du haïku. Il pense qu'il n'est de création véritable qu'individuelle. Il construit ses films par grands pans autonomes, associés comme les chapitres d'un roman, les chants d'une épopée, refusant l'unité dramatique traditionnellement bouclée autour d'un nœud central. Tout cela contribue à rendre sa position difficile et paradoxale au sein de la cinématographie soviétique. Ses œuvres, toujours très discutées, réputées élitistes, sophistiquées, mystiques, y disposent néanmoins de gros budgets. Mais, en vingt ans, il n'a pu en tourner que huit (si l'on compte son travail de fin d'études, le Rouleau compresseur et le Violon [1961], qui est un film sur un enfant pour des enfants). Avec l'Enfance d'Ivan (1962), Tarkovski s'insère dans ce cinéma dit « du dégel » où l'accent est mis sur les destins individuels, où la guerre, les « erreurs » politiques sont dénoncées essentiellement comme destructrices de vies, d'amours, de promesses d'avenir. Les motivations idéologiques et patriotiques s'estompent ; s'impose la dimension humaniste. C'est sur cette voie que Tarkovski s'avance le plus loin. Quasi « déshistoricisée », la guerre n'est plus que « condition » monstrueuse. Elle développe chez Ivan, partisan âgé de douze ans dont la mère a été tuée sous ses yeux, un esprit de vengeance, une ténacité superhéroïque qui ne sont rien d'autre que folie froide, impossibilité à vivre d'une vie humaine ; l'horreur en a fait un « mutant ». Déjà les images de l'eau — thème essentiel à l'auteur — nourrissent les rêves, les souvenirs d'Ivan, tous dirigés vers la mère perdue. Andréi Roublev (1966) porte à son sommet la méditation poético-plastique du cinéaste. Dans une reconstitution (plus proche de Bergman que d'Eisenstein), suffocante de réalisme, de la Russie du XVe siècle et de la passion de Roublev, peintre d'icônes inspiré, où passe l'immensité de la terre et du peuple russes, Tarkovski tente d'assumer la prophétie dostoïevskienne selon laquelle « la beauté sauvera le monde ». À cette réflexion « soufferte » et vivante sur la vocation « au bien » de l'art, sur la liberté de l'artiste face aux pouvoirs, Solaris (1972), sous couleur de science-fiction, en fait suivre une autre, sur le divorce science et conscience, sur l'expansionnisme cosmique militaro-politique, sur la condamnation par la raison scientifique de tout inconnaissable, de toute réalité « différente ». C'est une parabole morale, d'une étrange beauté surréaliste parfois, bien plus qu'une aventure de fantastique sidéral, le premier film aussi de l'auteur qui n'ait pas rencontré de difficultés. Tel ne fut pas le cas du suivant, le Miroir (1974), somptueuse et flamboyante autoanalyse à laquelle le cinéaste a conféré la forme de rêveries, de souvenirs, du monologue intérieur d'un malade (lui-même) cloué au lit pour une « blanche, blanche journée ». Pour Stalker (1979), il retourne à la science-fiction comme alibi. Derrière ce paravent, il affronte le tragique d'un monde (le soviétique comme l'autre) qui n'a plus ni foi (« n'importe quelle étincelle ») ni espérance. Et cette fois encore son héros, « soutenu par une idée, cherche passionnément la réponse à une question et va jusqu'au bout d'une expérience ». En 1983, il tourne en Italie Nostalghia. Selon l'auteur lui-même, « le voyage qu'un intellectuel russe effectue en Italie devient l'occasion d'une réflexion à la recherche de quelque chose qui peut-être n'existe pas ». Nostalghia est un mot dont la traduction ne rend pas le sens profond qu'il a en russe. C'est à la fois le sentiment affectueux pour sa terre natale et la mélancolie pour cette terre lointaine. Le film s'attache à la recherche de la perception d'un absolu inaccessible. Après avoir signé cette œuvre majestueuse, Tarkovski décide, en 1984, de ne plus retourner en URSS. C'est en Suède qu'il tourne son dernier film, le Sacrifice, qui obtient le prix spécial du jury à Cannes en 1986. Le film apparaît comme le testament d'un cinéaste qui va d'ailleurs disparaître à la fin de l'année 1986, au moment où la perestroïka commence à bouleverser le paysage politique de l'URSS. Cette parabole poétique restitue l'angoisse d'un homme qui, confronté à la menace d'un cataclysme nucléaire, tente de retrouver les valeurs spirituelles profondes que l'époque contemporaine semble avoir rejetées ou oubliées.