Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
A

ANIMATION. (suite)

L'entre-deux-guerres à l'échelle mondiale.

Parallèlement au foudroyant développement américain s'affirme, à la même époque, une expérience européenne et asiatique plus artisanale, conditionnée par des contextes culturels et politico-économiques nationaux divergents. Seuls les États-Unis et l'URSS, pour des raisons économiques diamétralement opposées, vont prendre en compte le cinéma d'animation dans les industries nationales du cinéma. Si aux États-Unis le cinéma d'animation semble être voué au genre du dessin animé, en Europe et en Asie le cinéma d'animation se tourne vers la diversification plastique et l'expérimentation. Les années 20 et 30 sont celles, en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne et en URSS, d'un bouillonnement culturel auquel le cinéma d'animation est sensible. Sous l'influence des mouvements expressionnistes et formalistes dans le théâtre et le cinéma, et des mouvements abstraits dans les arts plastiques (Kandinsky, Klee, Malevitch, Mondrian), le cinéma d'animation cherche sa voie. L'esthétique européenne du noir et blanc dans l'animation est liée à ces influences, notamment expressionnistes. En Allemagne, ce phénomène, qui prend corps autour de pionniers abstraits liés au mouvement du Bauhaus (Julius Pinschewer, Vikking Eggeling, Hans Richter, Walter Ruttmann, Oskar Fischinger), est manifeste. Il tend à définir une nouvelle esthétique, totalité expressive de sons et d'images en mouvement, en relation avec les nouvelles sociétés industrialisées. Ce courant produit ses premiers films d'animation abstraits à partir de 1921 (Richter, Rythmus 21 ; Ruttmann, Lichtspiel opus I) et exerce une influence durable sur les recherches formelles du XXe siècle. Bien que rigoriste et exigeant dans sa poursuite de la ligne pure, il entretient un rapport d'échange avec le cinéma : Walter Ruttmann réalise un truquage dans les Niebelungen de Fritz Lang, Jean Renoir fait appel à la figure féminine de cette avant-garde, Lotte Reiniger, pour introduire dans la Marseillaise une séquence de silhouettes animées. Lotte Reiniger, directement issue de l'expérience expressionniste de Max Reinhardt, réalise le troisième long métrage de l'histoire (compte tenu des exceptionnels la Guerre et le rêve de l'enfant, de l'Espagnol Segundo de Chomon, 1916 et El Apostolle Dictateur —, de l'Argentin Quirino Cristiani, 1917) : les Aventures du prince Achmed (1926). Oskar Fischinger, dont le travail sur les rythmes de couleur le rapproche de certaines théories de Kandinsky (Komposition in Blau, 1934), exportera cette expérience aux États-Unis après son départ de l'Allemagne nazie, dont l'avènement porte un coup mortel à l'animation abstraite. Cette expérience de l'avant-garde allemande trouve des échos et des prolongements dans plusieurs pays. En France d'abord, où les courants surréalistes et abstraits répondent par les œuvres cinématographiées de Man Ray, Marcel Duchamp (Anemic Cinema, 1926) et Fernand Léger (le Ballet mécanique, 1924). En France encore, qui accueille l'un des proches de Lotte Reiniger et ami de Bertolt Brecht, Berthold Bartosch, qui y réalise, d'après les gravures de Frans Masereel, l'Idée (1931), une œuvre noir et blanc unique, lyrique et poétique, d'une grande finesse esthétique. Le film est interdit à la diffusion. La France accueille aussi un cinéaste russe et un immigré soviétique : Ladislas Starevitch puis Alexandre Alexeiff. Ladislas Starevitch, documentariste pionnier en Russie, donne au cinéma d'animation français son premier long métrage noir et blanc avec son adaptation du Roman de Renart en marionnettes animées (1930, sortie 1941). Alexandre Alexeieff, arrivé en France en 1921, très admiratif de l'Idée, imagine d'animer des eaux-fortes et y parvient après avoir inventé un nouvel outil de réalisation, l'écran d'épingles, dont il tire Une nuit sur le mont Chauve (1933), qui fait l'admiration d'André Malraux. La France connaît, parallèlement à ces apports extérieurs, plusieurs expériences individuelles ou artisanales : Lortac fonde un studio à Montreuil (1919) et collabore avec Émile Cohl à des films humoristiques. Benjamin Rabier, O'Gallop (créateur de Bibendum), Albert Mourlan (auteur d'un long métrage détruit dans un incendie), font des incursions remarquées dans le cinéma d'animation. André Rigal et Jean Image s'illustrent dans des films de bons sentiments. Alain Saint-Ogan collabore avec Jean Delaurier dans les années 30. Anthony Gross et Hector Hoppin, d'origine anglaise, réalisent à Paris la Joie de vivre (1934), allégorie industrielle. Jean Painlevé produit avec la complicité du sculpteur René Bertrand un remarquable Barbe-Bleue en plastiline (1938). Mais une personnalité au style profondément personnel domine cette période : Paul Grimault. Fondateur avec André Sarrut du premier studio français internationalement reconnu, Les Gémeaux (1936), il y conçoit, avec le premier groupe d'animateurs réguliers français, de purs joyaux d'une animation précise et délicate. Après quelques essais, il réalise le Messager de la lumière (1938), film publicitaire qu'admire Renoir, les Passagers de la Grande Ourse (1939-42), inspiré du poème de Victor Hugo Plein ciel, puis le Marchand de notes (1943). En Grande-Bretagne, le cinéma d'animation se développe plutôt alors de manière insulaire. La personnalité la plus marquante est l'ancien peintre de vitraux d'église, reconverti producteur dans les années 30, Anson Dyer, qui contribue notamment à la série Philips Philm Phables. Le cinéma d'animation anglais est aussi attiré par le film de silhouettes. Mais la Grande-Bretagne se distingue surtout par une expérience de mécénat d'État alors unique au monde, qui entre en résonance indirecte, sur un plan esthétique, avec celle de l'avant-garde allemande : la General Post Office Film Unit, créée par le producteur John Grierson (1933). GPO Film Unit devient assez naturellement jusqu'à la guerre un carrefour où se croisent plusieurs réalisateurs d'animation européens (dont Lotte Reiniger). Parmi ceux-ci, Len Lye (origine : Nouvelle-Zélande) et Norman McLaren (origine : Écosse). Tous deux font leurs premières armes en territoire anglais. Len Lye, après avoir réalisé Tusalava (1929), film d'animation « primitif », développe à partir de 1935 un procédé d'animation picturale directe sur pellicule (A Colour Box). Norman McLaren, ébloui par Fischinger, travaille aussi sans caméra lorsqu'il réalise Love on The Wing (1938), dessiné directement sur pellicule - qui rend au passage hommage au trait épuré d'Émile Cohl. La révolution formaliste se manifeste aussi en URSS où l'avant-garde soviétique répond contradictoirement à l'avant-garde allemande. Après l'interruption provoquée par la révolution de 1917, le cinéma d'animation connaît une renaissance puis un développement dans le sillage de la grande poussée créatrice qui touche les arts. De 1924 à 1929 on dénombre une moyenne de dix courts métrages par an. Deux tendances prédominent. L'une, héritage de la caricature, se reconvertit dans la vignette satirique et politique : le dessinateur Alexandre Buskin charge capitalisme et clergé (les Jouets soviétiques, 1924). L'autre, proche des artistes expérimentaux, joue de la sobriété des matériaux disponibles (N. Kodotaev, Z. Komissarenko, Y. Merkulov, Chine en flammes et 1905-1925, 1925). Plusieurs animateurs utilisent les rapports du noir et blanc de manière dynamique, inventive et moderne. Ainsi Youri Zeliabouski réalise-t-il la Patinoire (1927), très expressif, ou Daniel Tserkès, scénographe de Meyerhold, Senka l'Africain (1927). Mais le film prédominant de la période, chef-d'œuvre de dextérité et d'invention, demeure Poste (1929), du peintre Michael Zechanowsky, en papier découpé, adapté d'un récit pour enfants du poète Samuel Marchak. Le film tente de réunir le principe d'Eisenstein (construction narrative) et la modernité picturale et cinématographique (les avant-gardes plasticiennes). Le travail formel est mis sur un pied d'égalité avec celui de la narration. Le film joue d'une approche très élaborée de la typographie qui l'apparente à certaines expériences lettristes. L'avènement de la doctrine du réalisme socialiste, à partir de 1932, écarte brutalement l'expérience abstraite et internationaliste au profit d'une logique nationaliste et beaucoup plus conventionnelle. Elle établit paradoxalement une parenté esthétique entre le cinéma d'animation soviétique et le cartoon américain. Redéfini pour s'adresser principalement aux enfants et adoptant, comme aux États-Unis, des formes graphiques arrondies, il n'en produit pas moins, sous la houlette du nouveau directeur du studio d'État Soyouzdetmultfilm (1936), Alexandre Ptusko, plusieurs chef-d'œuvres. Après avoir signé le Nouveau Gulliver (1935), premier long métrage noir et blanc d'animation soviétique en prise de vues réelles, marionnettes et plastiline, intéressante relecture politique de Swift, Ptusko récidive avec la Petite Clef d'or (1939), d'après Tolstoï réécrivant Pinocchio. Sur le continent asiatique, au Japon et en Chine, l'expérience américaine déteint. Les premiers dessins animés vus par les futurs pionniers japonais sont ceux de l'Américain John Randolph Bray. Cependant, à l'instar de tout le cinéma nippon, le cinéma d'animation, qui fait son apparition en 1915, divise sa production entre sujets modernes (genkaï-geki) et sujets anciens (jidaï-geki), inspirés des pièces classiques du théâtre kabuki et du chambara (film de sabre). Seitaro Kitayama, le premier, réalise plusieurs films à l'encre de Chine sur papier (la Boîte aux lettres espiègles, 1918). En 1921, il fonde le premier studio. Le peintre Junichi Terauchi introduit un nuancier de gris mettant en scène des contes populaires liés au chambara (la Nouvelle Épée de Hanahekonai, 1917). Très vite aussi, la culture du chiyo-gami (papier japonais traditionnel transparent) s'immisce dans le cinéma d'animation, sous formes découpées, et Noburo Ofuji, admirateur de Lotte Reiniger, réalise la Baleine (1927) puis la Station de contrôle (1930), sonorisé. Wagaro Arai, héritier de cette technique, poursuit ce travail avec l'Hameçon d'or (1939) et Une fantaisie de Mme Butterfly (1940). Yasuji Murata adopte le cellulo américain et réalise plus de trente films caricaturaux de 1927 à 1935, parmi lesquels l'Os de poulpe (1927). Dès le début des années 30 cependant, l'influence des conflits politiques est présente dans les sujets retenus par les réalisateurs japonais. À Pero le ramoneur (1930), réalisé par Yoshitsuga Tanaka pour la propagande du mouvement ouvrier, s'opposent, à partir de 1933, des films aux thèmes nationalistes et militaristes. Kenzo Masaoka, connu pour être le premier réalisateur d'un film d'animation parlant (Force, Femmes et les Chemins du monde, 1932), se voit ainsi contraint avec sa petite société de satisfaire la propagande de guerre. Et Mitsuyo Seo, son assistant, réalise les Troupes d'assaut du singe Sankichi (1935), inspiré du conflit nippo-chinois, puis Momotaro, le marin divin (1944), premier long métrage d'animation nippon qui exalte la force guerrière japonaise. Bien que le cinéma des frères Lumière soit connu en Chine (Shanghai) dès 1896, le cinéma d'animation n'y pénètre que vers 1915. Les premiers films vus par les quatre frères pionniers du cinéma d'animation chinois — Wan Laiming, Wan Guchan, Wan Jichuan et Wan Chaochen — sont surtout les premiers films des frères Fleischer. À eux quatre, tout en devenant décorateurs pour le cinéma de prise de vues réelles, ils réinventent le principe du cinéma d'animation et réalisent leur première œuvre, inspirée de Koko le Clown, Tumulte dans l'atelier (1926), suivi par la Révolte des silhouettes en papier (1930). Dans les années 30, leur cinéma, toujours sous influence du cartoon américain, et notamment des premiers Mickey, oscille entre des contes animaliers (la Cigale et la Fourmi, 1932) et des films d'inspiration patriotique (Compatriote, réveille-toi, 1932) dirigés contre l'agression nippone de Shanghai. Ils réalisent leur premier dessin animé sonore (la Danse du chameau, 1935) tout en réfléchissant aux apports respectifs des cinémas d'animation américain, soviétique et allemand, essayant de définir la spécificité chinoise. Shanghai occupée par les Japonais (1937), ils se réfugient à Wuhan, où ils réalisent plusieurs films de résistance (Affiches de la guerre de résistance). Wuhan occupée à son tour, Wan Laiming et Wan Guchan se retranchent dans la concession française où ils parviennent avec une nouvelle équipe de 70 personnes, en 22 mois, à réaliser le premier long métrage noir et blanc de dessin animé chinois, la Princesse à l'éventail de fer (1941). Inspiré du Voyage en Occident, dont l'influence est notoire dans toute l'histoire des arts de la scène chinois, et malgré certaines imperfections techniques, le film, d'une grande originalité graphique, cultive adroitement l'allusion distancée au conflit en cours en s'appuyant sur la mythologie chinoise, et annonce l'éclosion d'un style chinois. Durant cette période, le cinéma d'animation aux États-Unis s'emballe : développement des truquages et création de multiples personnages aujourd'hui associés à l'âge d'or hollywoodien. Côté truquage, domine Willis O'Brien qui, après avoir réalisé quelques films en volume animé dans les années 10, est unanimement reconnu avec ses truquages animés de The Lost World (1925) et surtout de King-Kong (1933). Côté dessin animé, entre 1922 et 1927, Walt Disney s'affirme. Il crée le personnage d'Oswald, The Lucky Rabbit puis s'en fait voler le copyright par Charles Mintz. De retour à Kansas City, il imagine en 1928 le personnage d'une souris, Mortimer, que dessine Ub Iwerks. Très vite devenue Mickey Mouse, elle va connaître le succès que l'on sait. Plane Crazy, Gallopin'Gaucho et surtout Steamboat Willie (novembre 1928), premier dessin animé sonore, synchrone et musical, vont consacrer la gloire de Mickey. En 1928, le studio compte 6 personnes. Mickey devient une mascotte populaire. Dès 1930, paraissent les premières bandes dessinées consacrées à Mickey. Cette même année, le merchandising, apparu précédemment à petite échelle avec le personnage de Félix le Chat, se développe dans la stratégie de ventes des dessins animés. De 1928 à la fin de la carrière de Mickey à l'écran (1953), 121 courts métrages voient le jour. L'émergence et le triomphe du sonore poussent Walt Disney dans plusieurs directions. Sous l'impulsion du compositeur et chef d'orchestre Carl Stalling, les studios produisent dès l'année suivante la série des Sillies Symphonies. Puis, après avoir acquis une exclusivité sur le droit d'exploitation du procédé technicolor, le studio produit le premier court métrage animé en couleurs, Flowers and Trees (1932). Deux ans plus tard, le studio compte 187 employés. Walt Disney risque tous les bénéfices du studio dans la réalisation du premier long métrage de dessin animé en couleurs, Blanche-Neige (1937). Après avoir frôlé la faillite, il l'emporte : l'empire Disney est né. En 1940, alors que le studio récidive en éditant coup sur coup, dans les nouveaux studios de Burbank, les longs métrages Pinocchio puis Fantasia (dont l'argument de départ est dessiné par Oskar Fischinger, qui se brouille ensuite avec Disney), 1600 employés sont désormais au travail. Cette année-là, les enquêtes d'opinion commencent à basculer en faveur de Walt Disney contre les frères Fleischer. En une décennie, le dessin animé s'est totalement industrialisé, standardisant toutes les spécialités. Mais 1941 va être aussi l'année de la crise centrale de l'empire en construction. Les cadres du premier noyau se révoltent, à la fois contre les conditions de travail et contre les contraintes graphiques. Ces dissidents sont Art Babbitt, Wladimir Williams, Tytla, John Hubley, Stephen Bosustow, Dave Hilberman et Walt Kelly. Une grève de grande ampleur touche le studio. Une sécession s'ensuit, sous l'impulsion de Stephen Bosustow qui fonde l'UPA (United Productions of America) dont le travail novateur se développera après guerre. Parallèlement, les frères Fleischer poursuivent leur ascension : en 1923, leur studio compte 16 personnes et demeure familial. En 1924, ils réalisent les premiers films sonorisés et synchronisés avec le système Phonofilm (Oh Mabel). Mais des dissensions familiales entraînent, à la fin des années 20, une modification de statut de leur studio, dont l'effet sera primordial dans leur future faillite : en 1927, Paramount devient distributeur et financeur de leurs films et les dessaisit de tous droits sur ceux-ci. Répondant à la révolution du parlant, Betty Boop (1930) puis Popeye (1933), provocateurs et grinçants à souhait et dans la note des meilleures comédies musicales de l'époque, obtiennent les faveurs du public, malgré les tentatives de la censure puritaine, et les gardent jusqu'en 1941. À partir de 1936, les films des Fleischer passent à la couleur. Les réalisateurs s'installent par la suite à Miami, en Floride, et se lancent dans le long métrage avec les Voyages de Gulliver (1939) puis Douce et Criquet s'aimaient d'amour tendre (1941), qui scelle la faillite de leur studio. De leur côté, les studios fondés à la Universal par Walter Lantz (1927) — futur père du provocant et insolent pivert Woody Woodpecker (1940) — mettent au point Oswald le Lapin, de Bill Nolan. Hugh Harman et Rudolph Ising, fondateurs des Looney Tunes et des Merrie Melodies, sont eux à l'origine du studio de la Warner (1934), où le producteur Leon Schlesinger réunit une équipe exceptionnelle, dont Chuck Jones, Tex Avery, Friz Freleng, Robert Clampett, Robert Cannon, Frank Tashlin. Ils créent une galerie animalière suractive : Bugs Bunny, Daffy Duck, Sylvestre et Speedy Gonzales, le duo sadomasochiste du coyote des sables et de l'oiseau Mimi, etc. Aux studios MGM, qui lancent les Happy Harmonies de Harman et Ising en 1934, s'ouvre, sous Fred Quimby, une unité brillante, où travaillent William Hanna, Friz Freleng et Milt Gross. Dans les années 40, ils développent la série des Tom et Jerry, dirigée par Bill Hanna et Joe Barbera, et accueillent un temps le météorique Tex Avery, maître incontesté du dessin animé paroxystique.