Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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FRANCE. (suite)

Le cinéma commercial glisse de plus en plus vers un formalisme hors de propos et un cosmopolitisme envahissant (combinaisons franco-allemandes, les Russes blancs installés aux studios de Montreuil), happant au passage un L'Herbier, un Epstein, une Dulac. Le vieux mélo refleurit, la société des Cinéromans présente des films à costumes et à épisodes, on adapte les romans à la mode, mais la production diminue tout de même, inexorablement.

En réaction contre toutes les solutions de facilité, les histoires impossibles, les décors tapageurs, les vedettes toutes-puissantes, l'avant-garde cinématographique se dresse depuis 1923, depuis que le photographe Man Ray* a fourni avec le Retour à la raison, titre qui est un programme, le premier film réalisé sans but lucratif, hors des circuits financiers habituels. Suite d'images sans sujet, combinaisons magiques de la lumière et du mouvement, poésie qui naît des courbes et des volumes, dynamitage mystificateur, épanchements du dadaïsme et du surréalisme, du cubisme et du futurisme, tentatives de cinéma pur... Aux noms de Picabia, d'Artaud* et de Desnos se raccrochent ceux de Clair (Entr'acte, 1924), de Germaine Dulac (la Coquille et le Clergyman, 1928), de Man Ray (Emak-Bakia, 1927 ; l'Étoile de mer, 1928). Henri Chomette*, le frère de Clair, présente en 1923 ses Jeux des reflets et de la vitesse et Cinq Minutes de cinéma pur. La place est libre pour qu'éclatent les bombes d'Un chien andalou (1928) et de l'Âge d'or (1930), à quoi sont liés les noms de Buñuel* et de Dalí*, et pour que le cinéma documentaire soit subtilement détourné de son propos. Ainsi le Paris de Rien que les heures (A. Cavalcanti*, 1926), de la Tour (R. Clair, 1927), d'Études sur Paris (A. Sauvage, 1928), la Côte d'Azur de À propos de Nice (J. Vigo*, 1930) et, un peu plus tard, l'Espagne de Terre sans pain (L. Buñuel, 1932).

Il faudrait voir, revoir, comparer et réévaluer. Savoir si Thérèse Raquin (J. Feyder, 1928) ne souffre pas de son tournage dans les studios allemands, découvrir les films de Mosjoukine*, ne pas recopier ce qu'on a écrit de la Cité foudroyée (Luitz-Morat, 1924), regarder Gloria Swanson dans Madame Sans-Gêne (L. Perret, 1925), Raquel Meller dans Violettes impériales (H. Roussell*, 1924), retrouver les essais comiques de Pierre Colombier et faire de la curiosité boulimique la règle d'or du critique et de l'historien.

Toutefois, avant d'aborder la révolution du parlant, il faut citer deux artistes, l'un français, l'autre polonais installé en France avec les Russes émigrés : Émile Cohl* et Ladislas Starevitch*. Émile Courtet, qui signe sous le pseudonyme de Cohl les dessins destinés aux journaux illustrés, vient au cinéma dès 1908 et passe successivement sous les bannières de Gaumont, Pathé, Éclipse et Éclair, qui lui confie la direction d'une succursale aux États-Unis. Les dessins animés de Cohl sont toujours reçus avec joie par le public car sa verve est intarissable et son imagination brillante. Il s'essaie également dans des films composés à partir de poupées animées. Ces mêmes poupées qui rendent célèbre le nom de l'artiste authentique qu'est Ladislas Starevitch. De 1920 à 1940, il émerveille le public tant par le charme qui jaillit de ses fantaisies que par le travail considérable et minutieux qu'il accomplit, en dessinant seul, comme Émile Cohl, ses personnages.

Le documentaire connaît en ces temps-là une grande vogue. Directement issu des films Lumière et d'une vocation très pédagogique, il est cité abondamment dans les catalogues des grands producteurs. Le nom de Jean Benoît-Lévy* doit figurer à ce titre puisqu'il développe à côté de réalisations d'un très honorable niveau commercial toute une branche qui groupe films éducatifs, scientifiques, voire chirurgicaux. Léon Poirier, l'auteur de Jocelyn (1922) et de la Brière (1925), suit en Afrique la Croisière noire (1926) comme il suivra plus tard en Asie la Croisière jaune. Feyder, parti pour réaliser en Indochine un film qui ne se fait pas, en rapporte des croquis de voyage saisis avec la collaboration de Chomette et intitulés Au Pays du roi lépreux (1927) et des cinéastes, dont le talent va s'épanouir dès les débuts du parlant, font leurs premières armes avec des films tels que Voyage au Congo (M. Allégret*, 1927), la Zone (G. Lacombe*, 1929), Autour de « l'Argent » (J. Dréville*, id.), Nogent, Eldorado du dimanche (M. Carné*, id.), Paris-cinéma (P. Chenal*, 1928). Le cinéma, à la suite du docteur Comandon, s'installe dans les laboratoires, découvre l'intérêt des effets de ralenti et d'accéléré dans les films scientifiques ; on retrouve avec Epstein et ses documentaires romancés l'exaltation d'une nature sauvage et de ses éléments (Finis Terrae, 1929).

L'avènement du parlant.

1929 reste une année pathétique. Si l'on feuillette les périodiques corporatifs de cette époque, on est frappé par l'angoisse qui gagne brusquement les exploitants, les techniciens, les acteurs et les producteurs devant l'arrivée du sonore et du parlant. Les voyages des représentants des firmes américaines Paramount et Metro à Paris confirment l'agonie du muet. En fait, celle-ci a commencé le 6 octobre 1926, lorsqu'on entendit l'enregistrement musical qui accompagnait le film Don Juan réalisé par Alan Crosland* pour John Barrymore*. On se rappela les tentatives de pionniers français pour doter l'écran de la parole et des sons, de 1896 (Auguste Baron*) à 1911 (Eugène Lauste*) ; les essais de Gaumont (chronophono, 1904 ; chronophone, 1906 ; chronomégaphone, 1911) visant à reproduire des morceaux chantés et des films parlants en projection publique — toutes tentatives qui furent abandonnées en raison de leur prix de revient. Déjà, en 1928, à Paris, un film français, l'Eau du Nil de Marcel Vandal, avait été projeté avec des passages sonorisés, puis Ombres blanches de R. Flaherty* et W. S. Van Dyke* ; enfin, le 25 janvier 1929, le Chanteur de jazz de Crosland, premier film parlant, est présenté avec un énorme succès. Avec fébrilité, les grandes maisons de production commencent à se battre à coups de brevets, tandis que les ingénieurs se hâtent de proposer des systèmes prétendument définitifs : disques ou son optique. En octobre 1929, les appareils d'enregistrements allemands Tobis Klang Film équipent les studios Tobis, Pathé, Éclair. Cependant, le coût des installations fait hésiter les exploitants, et les producteurs gardent en stock un nombre important de bandes muettes. On les écoule (le muet ne s'éteindra que lentement sur les écrans) et on propose des films courts parlants et chantants, ou encore on ajoute des sons et des bruits à des productions importantes (l'Argent et Nuits de princes de L'Herbier, Tarakanowa de Raymond Bernard*). Les salles qui s'équipent dès la fin de 1929 doivent prendre des bandes sous-titrées en français et s'exposer à la colère des spectateurs. Les orchestres qui accompagnaient l'action sont remerciés et les acteurs doivent subir en tremblant l'examen que leur fait passer l'ingénieur du son. Des carrières ne s'en relèveront pas, notamment celles des Russes établis à Paris, tels Ivan Mosjoukine ou Nicolas Rimsky, qui essaieront en vain de maîtriser leur accent. De nombreuses vedettes connues pour leur photogénie vont s'éclipser. Les hommes de théâtre sourient : on tente cependant de pallier l'obstacle des langues sur lequel réalisateurs et techniciens vont longtemps trébucher. Le doublage intervient vite. On essaie aussi de conserver dans certains films les voix originales (No man's land de Trivas*, Allô Berlin, ici Paris de Duvivier*, les Nuits de Port-Saïd de Mittler, plus tard la Tragédie de la mine de Pabst*). La pratique coûteuse de réaliser des films en double version (franco-américaine ou franco-allemande) est expérimentée par la MGM à Hollywood et développée à Berlin pour une période beaucoup plus longue. Plus étonnante encore va être la tentative des versions européennes multiples que la Paramount essaie d'instaurer pendant trois ans aux studios de Joinville dont elle s'est rendue propriétaire. Son but : inonder l'Europe avec des décalques d'histoires destinées à la consommation américaine mais peut-être susceptibles d'intéresser aussi bien les différents pays d'Europe. Il faudrait juger sur pièces cette énorme production qui soulève la consternation des critiques du temps, à de rares exceptions près, par exemple : Il est charmant de Louis Mercanton*, opérette aux airs plaisants qui ne s'encombre pas de souvenirs américains. C'est aussi du côté de l'opérette que se tournent les producteurs allemands pour filmer leurs doubles versions. Le genre est rafraîchi. La mise en scène du Congrès s'amuse (E. Charell, 1931) est riche et fluide. On essaie de rythmer gaiement la vie quotidienne, les joies et les déceptions de la classe moyenne, ouvriers et commerçants (le Chemin du paradis, W. Thiele* et M. de Vaucorbeil, 1930 ; Un rêve blond, Paul Martin et André Daven, 1932 ; À moi le jour, à toi la nuit, Berger et Claude Heymann*, id.). L'idée est plaisante, mais n'esquive pas la gêne de voir des acteurs français plaqués sur des décors et des extérieurs allemands, entourés de comparses berlinois. Ce malaise, valable aussi pour les coproductions américaines, diminue la valeur des versions françaises de Tumultes (R. Siodmak*, 1932), l'Opéra de quat'sous (G. W. Pabst, id.) ou le Tunnel (K. Bernhardt*, 1933). Peu à peu, on reviendra à des comédies sans envergure en dépit d'incursions du côté de l'aventure (Au bout du monde, G. Ucicky* et H. Chomette, 1933) ou de la science-fiction : I. F. 1. ne répond plus, K. Hartl*, 1932 ; l'Or, Hartl et S. de Poligny*, 1934. La colonie française installée à Hollywood s'ennuie en tournant des versions qui déçoivent. Seul Maurice Chevalier*, solidement pris en main par Lubitsch*, triomphe avec Jeanette MacDonald* et conquiert une popularité énorme qu'il va conserver aux États-Unis jusqu'à la fin de sa vie.