Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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DOCUMENTAIRE. (suite)

Quelques cinéastes tentent d'intégrer le regard sur une œuvre plastique à une fiction biographique scrupuleuse (Frida, naturaleza viva de Paul Leduc, Mexique, 1984 ; sur Frida Kahlo, peintre et compagne de Diego Rivera) ou à un essai onirico-romanesque (Permeke de Henri Storck et Patrick Conrad, Belgique, 1984) ou en associant création picturale et adaptation littéraire (Franta de Mathias Allary, RFA, 1989).

Les pays de l'Est.

Une abondante production documentaire se développe dans les pays de l'Est après la guerre. Les problèmes du passé dominent longtemps le cinéma soviétique : célébration de la révolution (les Années inoubliables, Ilia Kopaline, 1957), bilan de la guerre et du fascisme (la Raison contre l'insanité, A. Medvedkine, 1960 ; le Fascisme ordinaire, M. Room, 1965), évocation de la guerre d'Espagne (Grenade, ma Grenade, R. Karmen, 1967).

Certaines œuvres, connues tardivement en Occident, se sont développées dans un relatif isolement, notamment dans les pays baltes et dans les pays du Caucase, ainsi celles de l'Estonien Mark Soosar (les Femmes de Kihnu, 1974 ; la Concupiscence, 1977 ; Miss Saaremaa, 1988), du Letton Hercs Franks (Zone interdite, 1975 ; le Jugement dernier, 1987) et celles de l'Arménien Arthur Pelechian, dont les films associent la puissance du montage et un reflet poétique de l'âme de son peuple : Nous (Menk, 1969), les Saisons (Yeghanaknere, 1975). Les années de glasnost ont favorisé l'éclosion d'un documentaire qui se libère des directives d'État et porte témoignage sur les problèmes du moment, en particulier en Arménie, dans les pays baltes et à Moscou.

La production polonaise joue un véritable rôle de sismographe de la vie sociale. En 1956, le régime se libéralise et un nouveau groupe de documentaristes, qui aborde de front des sujets brûlants comme la délinquance, la misère, la prostitution, se forme autour de Jerzy Bossak. Leurs films portent le nom de “ série noire ” : Attention, houligans (J. Hoffman et Edward Skorzewski, 1955), Paragraphe zéro (Borowik, 1957), Varsovie 56 (J. Bossak, 1954).

À partir de la fin des années 50, on ne se contente plus de signaler le malaise, on en cherche les conséquences : Les Polonais ne sont pas des oies (Jerzy Ziarnik, 1959), les Mémoires de Son Altesse (Bohdan Kosinski, 1959). L'autoréflexion se développe chez Tadeusz Jaworski (J'ai été kapo, 1963) et Krystyna Gryczelowska (Il s'appelle Blazej Rejdak, 1968). La génération des années 70 insiste sur le fossé qui se creuse entre la société et l'appareil d'État : les Ouvriers 71 (K. Kieslowski et Tomasz Zygadlo, 1971), 450 % des normes (Wojciech Wiszniewski, 1973), les Ouvriers 80 (Andrzej Chodalowski et Andrzej Zajaczkowski, 1980).

En Hongrie, le documentaire se diversifie dans les années 60, grâce, surtout, au Studio Bela Balazs : Tziganes (S. Sara, 1962), Où finit la vie ? (J. Elek, 1967), Coups de bâtons sur demande (J. Rózsa, 1972), Film-Roman (Istvan Darday et György Szalai, 1978). Pal Schiffer est, aujourd'hui, avec Sandor Sára et Judit Elek, le plus doué des cinéastes de sa génération. Le problème de l'intégration sociale est au centre de ses films : Que font les Tziganes ? (1973), le Protégé (1982).

Le documentaire renaît en RDA grâce à Annelie et Andrew Thorndike. Bâti comme les œuvres d'Esther Choub, Toi et d'autres camarades (Du und Mancher Kamerad, 1956) évoque la vie de l'Allemagne entre 1896 et 1956. Urlaub auf Sylt (1957) et Opération teutonique (1958) sont des dossiers à charge contre des personnalités nazies. Nous devons à Karl Gass un document accablant sur le colonialisme français : Allons enfants pour l'Algérie (1961). En 1974-75, Walter Heynowski et Gerhardt Scheumann nous proposent une remarquable trilogie sur les événements chiliens : la Guerre des momies ; J'étais, je suis, je serai ; le Putsch blanc. Signalons ici les travaux d'Erwin Leiser, un Allemand travaillant en Suède : Mein Kampf (1960), Eichmann, l'homme du IIIe Reich (1961), qui constituent de pertinentes synthèses, faites à base d'archives, sur le régime nazi.

Des documentaristes se révèlent également dans d'autres pays de l'Est : Jan Kádár et Elmar Klos en Tchécoslovaquie ; Ion Bostan et Savel Stiopul en Roumanie ; Ante Babaja, Purisa Djordjevi en Yougoslavie ; Roumen Grigorov, Nevena Toshava et surtout Hristo Kovatchev (le Berger, 1978 ; les Âmes mortes, 1979) en Bulgarie.

Le Free Cinema.

Le documentaire contemporain, annonçant le cinéma direct, apparaît en février 1956 en Grande-Bretagne lors de la présentation d'un programme de quatre films intitulé « Free Cinema » : O Dreamland (L. Anderson, 1953), Together (Lorenza Mazetti, 1954-1956), Thursday's Children (Anderson et Guy Brenton, 1954), Momma Don't Allow (K. Reisz et T. Richardson, 1955).

Les fondateurs du Free Cinema s'inspirent, malgré quelques réserves de fond, de l'école documentariste de Grierson et, surtout, des travaux de Jennings ( Listen to Britain, 1941 ; Diary for Timothy, 1946). Ils veulent traiter sans emphase de la réalité quotidienne des gens simples. Ils préfèrent donner la parole au sujet filmé au lieu de l'enfermer dans une vision préétablie du monde. Lindsay Anderson s'investit physiquement dans Thursday's Children, qui traite de l'éducation des sourds-muets. Mais dans Every Day Except Christmas (1957), consacré aux porteurs du marché de Covent Garden, il renoue avec l'impressionnisme des documentaires des années 30.

Le Free Cinema, en tant que groupe lié à une période d'effervescence culturelle, ne produit qu'une dizaine de films avant de se saborder en 1959. Cette même année, Karel Reisz réalise We Are the Lambeth Boys, une vision réaliste de la vie de quelques jeunes issus de milieux populaires.

Le cinéma militant ou d'intervention sociale explose, en Grande-Bretagne comme dans beaucoup de pays, à la fin des années 60. Des collectifs comme Libertion Films, Cinema Action, Newsreel confectionnent des bandes sur des sujets brûlants : les grèves, les conditions d'existence des travailleurs, l'avortement. On note également le travail des documentaristes Nick Broomfield et Joan Churchill, à qui l'on doit Juvenile Liaison (1975) et Tattoed Tears (1978), tourné dans une prison californienne. Spécialistes du film de montage, Lutz Becker et Philippe Mora nous proposent, avec L'aigle avait deux têtes et Swastika (1973), deux volets, sans commentaire, sur la saga hitlérienne.