Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
I

INVENTION DU CINÉMA. (suite)

L'analyse du mouvement.

Inventée par Nicéphore Niepce, la photographie entra dans les mœurs avec le daguerréotype (1839). Diverses améliorations, notamment le procédé au collodion humide, accrurent considérablement la sensibilité des plaques photographiques. Cette sensibilité demeurait toutefois insuffisante pour permettre les instantanés rapides nécessaires à l'analyse photographique des mouvements, ce qu'on appellerait plus tard chronophotographie. C'est seulement à la fin de la décennie 1870 que le gélatino-bromure ( COUCHE SENSIBLE) offrit enfin cette possibilité.

Muybridge.

L'histoire de la chronophotographie s'ouvre sur une réalisation retentissante. Tout commença avec les travaux du physiologiste français Étienne-Jules Marey, qui étudiait les allures du cheval grâce à des capteurs de pression placés sous les sabots de l'animal et reliés à un cylindre enregistreur tenu par le cavalier. Marey établit ainsi notamment que c'est au moment où les quatre pattes sont repliées sous l'animal (et non allongées, comme le croyaient jusqu'alors les peintres) que le cheval au galop n'a aucun contact avec le sol. Des dessins réalisés à partir de ces indications seraient parvenus jusqu'à un riche Californien, amateur de chevaux, Stanford, qui aurait refusé d'y croire. (Selon d'autres sources, c'est à un médiocre instantané de cheval au galop réalisé par le photographe Eadweard Muybridge que Stanford aurait refusé de croire.) Stanford demanda à Muybridge de lever le doute.

En 1878, Muybridge installa, face à un long mur blanc, une série de 24 appareils photographiques déclenchés lorsque le cheval, dans sa course, brisait les fils tendus en travers de la piste. Les silhouettes obtenues sur les clichés ne confirmèrent pas seulement les résultats de Marey ; Muybridge put aussi, en montant ses clichés sur un Stroboscope, réaliser, vers 1880, aux États-Unis et à l'étranger (notamment à Paris), les premières projections animées reconstituant un mouvement à partir d'instantanés successifs de ce mouvement. (Des reconstitutions de mouvements humains avaient été effectuées auparavant, mais à partir de photographies posées des différentes phases du mouvement.)

Marey.

Dans les années 1880 et même 1890, de nombreux chercheurs — outre Muybridge — pratiquèrent la chronophotographie, tel l'Allemand Anschütz ou le Français Albert Londe, lequel employait un appareil à neuf (puis douze) objectifs qui enregistraient côte à côte, sur la même plaque, autant d'instantanés successifs du mouvement. C'est toutefois le nom de Marey qui s'impose ici.

Marey réalisa d'abord, en 1882, son fusil photographique : contenu dans une large « culasse » cylindrique montée sur une crosse de fusil, un disque rotatif portait à sa périphérie douze petites plaques sensibles s'immobilisant tous les 1/12 de tour derrière le tube porte-objectif qui faisait figure de « canon », la plaque étant alors démasquée par une étroite fenêtre découpée dans un second disque animé d'un mouvement continu. L'ensemble, actionné par un mécanisme d'horlogerie déclenché par la détente, fournissait en une seconde douze instantanés au 1/720 de seconde. (Cet appareil était inspiré du revolver astronomique, conçu par Janssen pour enregistrer en 1874 douze poses successives du passage de Vénus devant le Soleil. Janssen avait pressenti qu'un tel dispositif portait en germe l'enregistrement des mouvements, mais il n'existait pas alors de plaques suffisamment sensibles.)

Grâce à ce « fusil », Marey obtint des vues de vol d'oiseau qui constituent les premiers documents enregistrés selon le principe de la prise de vues cinématographique.

En raison de la limitation à douze vues et de la médiocre qualité de ces dernières, Marey se tourna ensuite vers d'autres procédés qui ne préfigurent pas le cinéma. Certes, l'apparition des pellicules en Celluloïd permit à Marey de réaliser en 1887 son Chronophotographe à bande souple, où la pellicule, tirée de façon continue par la bobine réceptrice, était immobilisée à intervalles de temps réguliers grâce à un presseur, commandé par une came, qui la plaquait contre la fenêtre d'exposition. Mais ce dispositif, assez brutal, était incapable d'assurer l'équidistance des images, ce qui n'était d'ailleurs pas le but recherché par Marey, puisqu'il s'intéressait à l'analyse des mouvements, non à leur restitution.

Georges Demenÿ, jusqu'alors collaborateur de Marey, conçut en 1893 un mécanisme d'avance intermittente plus élaboré. Dans son Biographe, la pellicule contournait, en sortie du couloir de prise de vues, un doigt porté par une came tournante et qui « tirait » à chaque tour une certaine longueur de film. Mais la came Demenÿ n'assurait pas, elle non plus, l'équidistance des images. (Pour restituer le mouvement, il fallait reporter les vues sur le Bioscope, une des innombrables variantes du Stroboscope.)

La naissance du cinéma.

À la fin des années 1880, les deux principes de base étant désormais acquis (créer l'illusion du mouvement, analyser le mouvement), l'idée du cinéma était tout naturellement dans l'air.

Edison.

Les premiers à réussir furent l'Américain Thomas Alva Edison et son collaborateur William Kennedy Laurie Dickson. Inventeur du phonographe (1877), Edison entreprit vers 1887 de réaliser pour le mouvement ce qu'il avait réalisé pour le son. (Un premier dispositif de Dickson ressemblait d'ailleurs beaucoup à un phonographe : de petites photographies, inscrites autour d'un cylindre, étaient « immobilisées au vol » par de brefs éclairs lumineux.) Edison et Dickson eurent recours, comme Marey, à la pellicule Celluloïd. Mais ils introduisirent un perfectionnement décisif : des encoches régulièrement espacées, abandonnées en 1889 au profit de perforations, permettaient d'assurer l'équidistance des images. Pour obtenir le mouvement intermittent du tambour denté qui entraînait le film, Edison et Dickson essayèrent d'abord des mécanismes issus de l'horlogerie (échappement à ancre, puis croix de Genève) avant de retenir un mécanisme d'échappement à disques perpendiculaires : tournant de façon continue, un disque percé d'une fente libérait une fois par tour la rotation d'un second disque qui revenait buter par une excroissance, après une rotation rapide, contre le premier disque, etc. En 1890-91 naissait ainsi le Kinetograph, qui était la première véritable caméra de l'histoire du cinéma. Et il est assez extraordinaire que les spécifications définies dès cette époque par Edison — pour la largeur du film, la disposition et l'engagement des perforations, le nombre de perforations par image — soient aujourd'hui encore, à quelques détails près, celles du standard.