Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
C

CAGNEY (James) (suite)

Cagney débute avec le sonore, et se conçoit mal dans un autre médium. Son débit haché, son staccato haletant sont une autre manifestation, essentielle, de sa vitalité, un autre moyen de triompher dans la lutte perpétuelle qui l'oppose à ses semblables, hommes et femmes confondus.

Un quart de la filmographie de James Cagney se rattache directement au film de gangsters, genre auquel l'acteur vouera très tôt une franche hostilité. La comédie (L'affaire se complique, le Tombeur, Tête chaude) et le musical (Prologues) lui offrent des échappatoires transitoires, mais il continuera de chercher le salut hors du studio, entraînant d'autres comédiens à sa suite. En 1935, il rompt avec la Warner et signe un contrat avec la Grand National, où il interprète un film d'inspiration progressiste, Great Guy, et une satire du star-system, Something to Sing About. L'expérience tourne court, mais l'acteur, de retour au studio, parvient à imprimer à ses personnages une plus grande maturité. C'est ainsi que le gangster des Anges aux figures sales se rachète in extremis (en une troublante variation sur le thème du sacrifice, précédemment développé dans The Mayor of Hell et Brumes), tandis que le journaliste héros de À chaque aube je meurs défend les vertus de la presse selon la grande tradition réformatrice des années 30. Le gangster, lorsqu'il revient sur le devant de la scène (Roaring Twenties), n'est déjà plus qu'une figure nostalgique, témoin d'une ère révolue.

En 1942, James Cagney aborde avec la Glorieuse Parade une nouvelle phase de sa carrière. Cette évocation spectaculaire, sentimentale et patriotique d'une des grandes figures du music-hall américain, George M. Cohan, revêt pour lui un sens symbolique : elle est la revanche longtemps attendue de l'homme de spectacle et fixe, dans l'étonnante diversité de ses talents, la bête de scène qu'il n'a jamais cessé d'être.

Fort de ce triomphe critique et commercial (sanctionné par un Oscar), Cagney tente une nouvelle échappée. Il quitte la Warner et organise les Cagney Productions, dont son frère, William, devient président. Il met en œuvre un radical changement d'image, s'efforçant de privilégier aux dépens du dur l'artiste porteur d'un message humaniste. Sa première production, Johnny le Vagabond, d'inspiration capraesque, en fait un clochard, poète et samaritain, échoué dans un univers allégorique, où s'affrontent les forces de la corruption et les vertus de l'Amérique éternelle. Ce changement de cap se solde par un échec prévisible, qui ne découragera cependant pas Cagney de tenter une aventure similaire dans le Bar aux illusions, sans plus de succès d'ailleurs.

En 1949, Cagney retourne à la Warner pour L'enfer est à lui, qui marque l'apothéose de son cycle gangstérien. À la différence de ce qui se faisait dans les années 30, l'œuvre s'interdit tout discours sociologique et dépouille son protagoniste jusqu'à l'abstraction. Glacial, muré dans sa solitude, Cody Jarrett n'est plus qu'une force lancée à l'assaut du monde. La dimension œdipienne, présente dans plusieurs films antérieurs de Cagney, prend ici une importance centrale, une tonalité nouvelle : l'immaturité, qui excusait tous les excès des héros juvéniles de la Dépression, devient, dans l'environnement culturel des années 40, porté au déterminisme et à l'objectivité, un ressort purement tragique.

La dernière période de la carrière de Cagney, bien que caractérisée par des emplois très divers, garde des traces manifestes de ce film charnière. Le personnage de Cagney tend désormais à s'enfermer dans sa solitude et cède à la tentation de l'autocratie (l'acteur, jadis démocrate convaincu, s'oriente au même moment vers des positions conservatrices) : le Fauve en liberté, adaptation timide et décevante du roman de Horace McCoy, fait de lui un chef de gang mégalomane ; A Lion is in the Streets (sa dernière production), un leader populiste et démagogue à la Huey Long ; les Pièges de la passion, Permission jusqu'à l'aube et la Loi de la prairie, un tyran fruste exerçant sur son entourage une implacable domination. L'énergie du personnage, qu'il soit gangster, capitaine de vaisseau ou rancher, est ici tout entière vouée à la préservation d'un pouvoir chèrement acquis, d'un territoire ou d'une femme convoités par des rivaux plus jeunes. Le rêve de conquête dégénère en philosophie de l'autodéfense. L'allégresse des années 30 prend une coloration sarcastique et misanthrope. Le dur des faubourgs, l'arriviste qui faisait flèche de tout bois, le rebelle qui se battait pour sa dignité, l'artiste de music-hall connaissent alors leur dernier avatar. Cagney s'installe en patriarche. Il a perdu l'appui de sa famille et de ses amis, et ne peut plus compter sur l'antagonisme fraternel d'un Pat O'Brien, garant, dans huit de ses films, de l'ordre moral, pour se définir et légitimer son action. Il reste un lutteur, solitaire, attaché seulement à survivre. Il a perdu son statut d'Américain moyen, sans gagner l'aisance naturelle de l'artistocrate. Il lui reste la pugnacité et le franc-parler d'un homme de la rue : les vieux réflexes sont intacts.

C'est sur ces composantes que Billy Wilder bâtit, en 1960, Un, deux, trois, satire explosive, tous azimuts, où le système communiste, le « miracle économique » allemand et l'arrivisme yankee sont pris tour à tour pour cibles, avec une égale férocité. Mué en capitaliste, plus acide et forcené que jamais, Cagney y saisira l'occasion de livrer son dernier numéro de virtuose, d'une surprenante fébrilité. C'est sur ce feu d'artifice que sa carrière s'interrompt brutalement. Vingt ans s'écouleront avant qu'il ne revienne à l'écran, dans Ragtime, pour incarner le préfet de police Rheinlander Waldo : un personnage quasi immobile, cachant derrière une apparence bénigne une volonté de fer, une vivacité intacte, et l'habileté hors pair d'un manipulateur-né...

Films :

Sinner's Holiday (John G. Adolfi, 1930) ; Au seuil de l'enfer (Doorway to Hell [A. Mayo], id.) ; Other Men's Women (W. A. Wellman, 1931) ; The Millionaire (Adolfi, id.) ; l'Ennemi public (Wellman, id.) ; Smart Money (Alfred E. Green, id.) ; Blonde Crazy (R. Del Ruth, id.) ; Taxi (Del Ruth, 1932) ; La foule hurle (H. Hawks, id.) ; Tout au vainqueur (Winner Take All [Del Ruth], id.) ; L'affaire se complique (Hard to Handle [M. Le Roy], 1933) ; Picture Snatcher (L. Bacon, id.) ; The Mayor of Hell (Mayo, id.) ; Prologues (Bacon, id.) ; le Tombeur (Del Ruth, id.) ; Jimmy the Gent (M. Curtiz, 1934) ; He Was Her Man (Bacon, id.) ; Voici la marine ! (Here Comes the Navy [Bacon], id.) ; The St. Louis Kid (R. Enright, id.) ; le Bousilleur (Devil Dogs of the Air [Bacon], 1935) ; les Hors-la-loi (G-Men [W. Keighley], id.) ; Tête chaude (The Irish in Us [Bacon], id.) ; le Songe d'une nuit d'été (M. Reinhardt, W. Dieterle, id.) ; Émeute (Frisco Kid [Bacon], id.) ; Brumes (Ceiling Zero [Hawks], 1936) ; le Brave Johnny (Great Guy [J. G. Blystone] 1937) ; Hollywood ! Hollywood ! (Something to Sing About, V. Schertzinger, id.) ; le Vantard (Boy Meets Girl [Bacon], 1938) ; les Anges aux figures sales (Curtiz, id.) ; Terreur à l'Ouest (Bacon, 1939) ; À chaque aube je meurs (Keighley, id.) ; The Roaring Twenties (id. [R. Walsh], id.) ; le Régiment des bagarreurs (The Fighting 69th [Keighley], 1940) ; Torrid Zone (Keighley, id.) ; Ville conquise (City for Conquest [A. Litvak], 1940) ; The Strawberry Blonde (id. [Walsh], 1941) ; The Bride Came C. O. D. (Keighley, id.) ; les Chevaliers du ciel (Curtiz, 1942) ; Parade de la gloire (Curtiz, id.) ; Johnny le Vagabond (Johnny Come Lately [W. K. Howard], 1943) ; Du sang dans le soleil (Blood on the Sun [F. Lloyd], 1945) ; 13, rue Madeleine (id. [H. Hathaway], 1947) ; le Bar aux illusions (The Time of your Life [H. C. Potter], 1948) ; L'Enfer est à lui (Walsh, 1949) ; les Cadets de West Point (The West Point Story [Del Ruth], 1950) ; le Fauve en liberté (G. Douglas, id.) ; Feu sur le gang (Come Fill the Cup [Douglas], 1951) ; Starlift (Del Ruth, id.) ; What Price Glory (J. Ford, 1952) ; A Lion Is in the Streets (Walsh, 1953) ; À l'ombre des potences (N. Ray, 1955) ; les Pièges de la passion (Ch. Vidor, id.) ; Permission jusqu'à l'aube (J. Ford, M. LeRoy ; id.) ; Mes sept petits chenapans (The Seven Little Boys [M. Shavelson], id.) ; la Loi de la prairie (R. Wise, 1956) ; These Wilder Years (R. Rowland, id.) ; l'Homme aux mille visages (Man of a Thousand Faces [J. Pevney], 1957) ; À deux pas de l'enfer (Short Cut to Hell [J. Cagney], id.) ; Never Steal Anything Small (Charles Lederer, 1959) ; l'Épopée dans l'ombre (Shake Hands With the Devil [M. Anderson], id.) ; le Héros du Pacifique (The Gallant Hours [R. Montgomery], 1960) ; Un, deux, trois (B. Wilder, 1961) ; Ragtime (id. [M. Forman], 1981).