Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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FRANCE. (suite)

À Paris, la plupart des réalisateurs notoires montrent de la perplexité lors de l'avènement de la parole. L'Herbier met son espoir dans la musique conjuguée avec les recherches décoratives. Clair avoue son scepticisme. Tourneur, engagé chez Pathé, entame une production abondante où il va tenter de combiner son sens heureux de la plastique avec des arguments relevant du théâtre (Accusée, levez-vous, 1930). Abel Gance adopte d'emblée les possibilités nouvelles et, dans la Fin du monde (1931), veut dompter le son, les bruits et les plier à sa conception du spectacle cinématographique : il échoue par la faute d'un scénario grandiloquent et cette erreur va contrarier ses projets. Renoir*, gêné comme ses collègues par le lourd appareil des studios, prend le parti de se moquer des effets sonores dans une pochade : On purge Bébé (1931). Le mélo réaliste la Chienne (id.), avec les rumeurs de la rue, les bribes de la chanson, les paroles parfois estompées, lui permet de maîtriser rapidement les problèmes qui lui sont soumis. Le David Golder de Duvivier (1931) démontre aussitôt que ce réalisateur n'attendait que la parole et la musique pour s'épanouir. Il réussit là où les recherches de Grémillon* se heurtent à une incompréhension générale, qui va sérieusement compromettre l'avenir du réalisateur de la Petite Lise (1930). Sous les toits de Paris (1930) et le Million (1931) de Clair s'amusent à des jeux de cache-cache entre parole et musique agrémentés de farandoles et pirouettes. Quatorze-Juillet (1933) souligne à la fois l'exaspération et l'affaiblissement d'un style qui surprit et ravit. À nous la liberté (1931) vibre d'une certaine violence ; l'air du temps s'y insinue et stimule le scénario. On sent passer le même courant dans le Dernier Milliardaire (1934), satire d'une dictature, sur laquelle on fit la fine bouche. Raymond Bernard est en passe de devenir le cinéaste officiel de la IIIe République : les Croix de bois (1932) ressuscitent l'enfer de la Grande Guerre et les Misérables (1934) exaltent en un vaste triptyque les créatures de Hugo. Il ne manque à ces fresques que le souffle épique ou lyrique d'un Gance. Epstein, décontenancé et freiné dans ses tentatives, est obligé de faire alterner des œuvres commerciales médiocres avec des recherches sonores poussées dans le domaine du documentaire romancé. Germaine Dulac ne s'occupe plus que du secteur Actualités de la maison Gaumont. Baroncelli, à de rares exceptions près (Cessez le feu, 1934), enregistre avec conscience des œuvres banales comme le fait aussi Tourjanski. Mathot* tourne n'importe quoi, Hugon de même et n'importe comment. Colombier exploite une veine comique plutôt lourde faite pour des vedettes comme Milton* (le Roi des resquilleurs, 1930) ou Raimu* (Ces Messieurs de la Santé, 1933).

L'énumération de ces titres donne le panorama de la production française jusqu'en 1940. Les adaptations littéraires (certaines très soignées à l'instar des films d'un nouveau venu, Pierre Chenal) alternent avec la reprise des vieux succès du Boulevard : vaudevilles (la Dame de chez Maxim's, A. Korda*, 1933), comique troupier (Tire au flanc, Henry Wulschleger, 1933 ; les Dégourdis de la onzième, Christian-Jaque*, 1937), drames policiers (le Mystère de la chambre jaune et le Parfum de la dame en noir, M. L'Herbier, 1931), mélos (les Deux Orphelines, M. Tourneur, 1933 ; les Deux Gosses, F. Rivers, 1936), pièces de Bernstein (le Bonheur, L'Herbier, 1935), de Bataille (le Scandale, id. 1934), de Flers et Caillavet (le Roi, P. Colombier, 1936), de Verneuil (Ma cousine de Varsovie, C. Gallone*, 1931), etc. Dans cette production usée, ressassée, deux auteurs à succès vont faire circuler de vifs courants d'air. Sacha Guitry* enregistre ses répliques à l'intention des plus lointaines campagnes et déplace son climat euphorique de la scène à l'écran. Pagnol* affirme, lui aussi, la primauté du texte qui doit libérer une émotion simple et vraie mêlée à la saveur de l'accent provençal. Le public suit, ce qui explique en partie l'engouement manifesté pour les films « marseillais » avec ou sans musique de Vincent Scotto*.

L'âge d'or du réalisme poétique.

Le film populiste cher à Clair et à ses élèves (Jeunesse, 1934, les Musiciens du ciel, 1939, de Georges Lacombe) reste vivace, mais, peu à peu, les aquarelles prennent des teintes plus sombres (la Rue sans nom, P. Chenal, 1933 ; le Paquebot Tenacity, J. Duvivier, 1934 ; la Marmaille, Bernard-Deschamps*, 1935) pour incliner vers le réalisme ( Justin de Marseille, M. Tourneur, id.), puis dériver dans le réalisme poétique qui reste l'un des aspects les plus attachants du cinéma parlant de l'entre-deux-guerres. Un mal de vivre qui se complaît dans les rues mouillées, les ports nocturnes, qui passe de la nostalgie à l'amertume, va chanter la geste des voyous, des marlous et des déserteurs. C'est le règne de Carné*, de Gabin*, de Prévert*, de Duvivier. Le légionnaire de la Bandera (Duvivier, 1935) est le cousin du soldat de Quai des brumes (Carné, 1938). Pépé le Moko (Duvivier, 1937), enfermé dans le labyrinthe de la casbah, devient finalement l'ouvrier du Jour se lève (Carné, 1939) que la police traque dans sa chambre barricadée. Et c'est encore, et c'est toujours Gabin, russe improbable des Bas-Fonds (Renoir, 1937), qui va devenir le repris de justice soucieux de refaire sa vie sur le Récif de corail (M. Gleize, 1938). Les femmes traînent avec elles en même temps le bonheur fugitif et la mort inévitable : Edwige Feuillère* (l'Émigrante, L. Joannon*, 1939 ; Sans lendemain, Max Ophuls*, 1940), Viviane Romance* (la Tradition de minuit, R. Richebé*, 1939) et Michèle Morgan*, tantôt désespérée (Quai des brumes, Carné, 1938), tantôt révoltée (l'Entraîneuse, A. Valentin*, id.), rarement apaisée (le Récif de corail).

Réalisme poétique que celui de Jean Vigo. Ni mauvais garçons ni filles de joie dans l'Atalante (1934) ; un marinier qui rêve, sa jeune épouse qui s'ennuie, l'équipage qui inquiète, la grande ville qui menace, et, en conclusion, la péniche qui fend les flots avec une grâce inexprimable. Le film sort mutilé, alors que Vigo meurt à l'hôpital et que son premier film, Zéro de conduite (1933), frappé par la censure, ne fera carrière qu'après la Libération.