Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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TRACY (William Lee, dit Lee)

acteur américain (Atlanta, Ga., 1898 - Santa Monica, Ca., 1968).

Il débute sur scène en 1921 et à l'écran en 1929. Son débit vertigineux, ses interprétations brillantes de personnages ambigus font rapidement de lui une vedette bien adaptée au parlant. Il excelle dans les rôles de journaliste cynique et vachard à la repartie foudroyante : le rôle de Hildy Johnson dans The Front Page de Ben Hecht et Charles MacArthur qu'il a créé sur scène lui colle d'une certaine manière à la peau. Au cinéma, il ne joue que de brillantes variations de cet emploi. Cependant, il est souvent succulent en chroniqueur radio sans scrupules (Blessed Event, R. Del Ruth, 1932), en agent de publicité escroc (Bombshell, V. Fleming, 1993) ou en courriériste du cœur vénal (Advice to the Lovelorn, A. Werker, id.). Son comportement extravagant dû à son penchant prononcé pour la boisson provoqua un boycott subit et radical des grands studios en 1935. Lee Tracy y perdit se carrière et survécut tant bien que mal avec de petits rôles dont le dernier dans Que le meilleur l'emporte (F. Schaffner, 1964).

TRACY (Spencer)

acteur américain (Milwaukee, Wis., 1900 - Los Angeles, Ca., 1967).

Élève chez les jésuites, un temps se destinant à la prêtrise, il monte sur les planches en amateur, à la fin de ses études. En 1930, il triomphe dans le premier rôle de la pièce The Last Mile et reçoit des propositions d'Hollywood. À la fin de l'année, il est la vedette de Up the River, aux côtés d'un autre débutant, Humphrey Bogart. La Fox le prend sous contrat et le lance comme un nouveau James Cagney. Mais ce n'est qu'en 1936, à la MGM, que sa carrière s'affirme : le studio lui offre des rôles et des cinéastes à sa mesure. Après qu'on l'a opposé à Jean Harlow (Riffraff, 1936 ; Une fine mouche, id.), et après quelques rôles de complément (San Francisco, id.), il devient l'une des plus grandes stars de la compagnie. Il était marié et père de famille quand, en 1942, lors du tournage de la Femme de l'année, il fait la connaissance de Katharine Hepburn : ce fut une histoire d'amour qui dura discrètement jusqu'à la mort de Tracy. Il avait reçu deux Oscars, fait exceptionnel, deux années consécutives, pour Capitaines courageux (1937) et pour Des hommes sont nés (1938).

Il avait un physique presque anonyme. Massif, solide, avec les traits peu marqués des roux et les cheveux vite blanchis. Mais, de ce physique, il faisait ce qu'il voulait. Laurence Olivier, un acteur d'une tout autre école, a avoué qu'il avait plus appris sur son métier en regardant Spencer Tracy jouer que de toute autre manière. Ignorant le cabotinage, il paraissait toujours d'un naturel désarmant. Acteur de cinéma jusqu'au bout des ongles, son art est des plus subtils : un clin d'œil, un mouvement amorcé ou suspendu, et, surtout, une impression totale d'improvisation. On n'en finirait pas de s'émerveiller à ce plan, apparemment si simple, de Mannequin (1938), où, d'un geste à la fois amoureux, amical, charmeur..., il décoiffait Joan Crawford. Dans son dernier film, pourtant médiocre, la magie était intacte quand, dans un instant miraculeux, l'action s'effilochait et que, sans que cela ait une importance quelconque pour l'histoire, il mangeait une glace aux fraises, dans un drive-in, avec Katharine Hepburn. Or, s'il a eu tendance à limiter son emploi vers la fin de sa carrière, ses premiers rôles ont été extrêmement divers. Il incarne un gangster paresseux et cynique (Quick Millions, son deuxième film), un prolétaire farceur (Me and My Gal, 1932), un prisonnier muré dans son secret (Vingt Mille Ans sous les verrous, 1933), un clochard tendre et rigolard, épris de liberté (Ceux de la zone, id., où il forme un couple lumineux avec Loretta Young), un aboyeur forain (Dante's Inferno, 1935), un innocent qui se venge (Furie, F. Lang, 1936), un prêtre (San Francisco, id.) ou un marin portugais pittoresque (Capitaines courageux, 1937). Ce furent tous des personnages auxquels il a donné une vie authentique. L'autorité avec laquelle il s'impose dans Des hommes sont nés (1938) suscite une certaine spécialisation. Spencer Tracy joue à partir de ce film de nombreuses figures paternelles, pétries d'humanité, dont l'autorité est quelquefois battue en brèche. Il peut même aller jusqu'à se rendre odieux dans certains de ces rôles. Les personnages qu'il incarne dans Édouard, mon fils (1949), malgré les difficultés qu'on a à le croire anglais, et dans la Lance brisée (1954) donnent froid dans le dos dans leur aveuglement insensé. Mais, le plus souvent, il est irrésistiblement sympathique, ce qui le porte parfois à donner un poids inattendu à ce qui pourrait n'être qu'une bluette (le Père de la mariée, 1950, et sa suite Allons donc, Papa !, 1951).

Enfin, si dans les années 50 Tracy a joué un peu sur le velours de la routine, auparavant, il a prêté son talent à de grands cinéastes : Frank Borzage (le chauffeur de taxi de la Grande Ville, 1937), Henry King (le journaliste Stanley dans Stanley and Livingstone, 1939), Fritz Lang, King Vidor (le major intransigeant du Grand Passage, 1940), George Cukor (cinq rôles, tous remarquables, dont le plus méconnu est le père si drôle et émouvant de The Actress, 1953), Vincente Minnelli ou John Ford (une autre création réussie et peu connue, celle du politicien au seuil de la mort dans la Dernière Fanfare, 1958) ont gagné à sa présence. Et même si, dans les années 50 et 60, il a travaillé pour des cinéastes assez ternes comme Stanley Kramer (Procès de singe, 1960 ; Jugement à Nuremberg, 1961), il a sauvé de nombreux films.

Il a tourné avec de très nombreuses actrices avec lesquelles il a souvent formé des couples contrastés mais inoubliables : Loretta Young, Joan Crawford, Lana Turner, Hedy Lamarr, Deborah Kerr, Joan Bennett ou Marlene Dietrich ont eu avec lui des instants magiques. Mais aucune ne peut se comparer à Katharine Hepburn avec laquelle il a travaillé neuf fois. Ils ont formé un couple harmonieux, spécialement dans la comédie, la nervosité d'Hepburn, son charme strident, équilibrés par le calme olympien de Tracy. C'est Cukor qui les a portés à leurs plus hauts sommets. Madame porte la culotte (1949), où elle était avocate et lui procureur, s'affrontant âprement en cour et s'aimant conjugalement à la maison, est un classique. Moins connu est la Flamme sacrée (1942), où elle était la veuve récente d'un homme en vue et lui un journaliste à la recherche de la véritable personnalité du défunt. Il est dommage aussi que Mademoiselle Gagne-tout (1952) soit un film peu vu ; lui en manager sportif bonasse et elle en athlète énergique, ils représentaient, sans se prendre au sérieux, une manière pourtant adulte et responsable de voir les problèmes du couple. Leur dernier film, Devine qui vient dîner (1967), Tracy miné par le cancer, reste un témoignage de fidélité commune. Il a été certainement l'un des plus grands acteurs que l'écran (américain ou autre) ait connus.