Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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PORTUGAL.

La première projection cinématographique a lieu le 18 juin 1896 au Real Coliseu de Lisbonne. Elle est organisée par Edvin Rouby, l'un des agents du Britannique William Paul qui cherche à promouvoir son Animatograph. Le succès public sera immédiat. À Porto, l'accueil est moins enthousiaste mais un spectateur au moins se montre conquis par la nouvelle invention : c'est le photographe Aurelio da Paz dos Reis. Il n'aura de cesse de se procurer un appareil, se verra éconduire par les frères Lumière, mais, à force de ténacité, parviendra à acheter un modèle de l'une des marques concurrentes du Cinématographe apparues sur le marché de Paris. Véritable pionnier du cinéma portugais, il tourne à Porto la Sortie des ouvriers de la chemiserie Confiança. À la même époque, mais à Lisbonne cette fois, Manuel Maria da Costa Veiga joue les chasseurs d'images et signe quelques reportages sur les personnalités en visite dans la capitale. Quelques années plus tard, un photographe professionnel, João Freire Correia, fait construire le Salão Ideal, première salle de cinéma de Lisbonne, et fonde en 1909 la Portugalia Film, société de production qui réalisera le premier film de fiction national, les Crimes de Diogo Alves (Os Crimes de Diogo Alves, 1911), mis en scène par João Tavares, qui curieusement, deux ans plus tôt, avait participé comme acteur cette fois à une version avortée du même film.

Les sociétés au temps du muet se multiplient mais le manque de moyens financiers et une distribution très aléatoire à l'intérieur même du pays rendent leur existence très précaire. À la suite de la Portugalia Film, on assiste à la naissance de la Filmes Ideal de Júlio Costa, de la Lusitânia Film de Celestino Soares, Luis Reis Santos et Júlio Fernandes Potes. Cette firme confie ses premiers essais à un jeune homme de talent, José Leitão de Barros* (Malmequer, MM, 1918). Apparaît aussi l'Invicta Film d'Alfredo Nunes de Matos, qui engage le Français Georges Pallu (auteur notamment de la première version d'Amour de perdition [Amor de Perdição], 1921, d'après le roman de Camilo Castelo Branco). Sitôt sa création, la Fortuna Filmes produit notamment A Sereia de Pedra (Roger Lion, 1922) et Os Olhos da Alma (id., id.). La Caldevilla Film, quant à elle, emploie un autre Français, Maurice Mariaud, tandis que l'Iberia Film s'attache les services du réalisateur italien Rino Lupo (les Loups [Os Lobos], 1923), et que la Reporter X Films de Reinaldo Ferreira produit notamment le Taxi 9297 [O Taxi 9297] en 1927.

Cet afflux de « superviseurs » étrangers ne laisse pas d'inquiéter ceux qui souhaitent l'éclosion d'un cinéma véritablement national. À la fin du muet, quelques films, essentiellement des documentaires même si certains éléments fictionnels viennent s'y glisser, apportent l'espoir : Leitão de Barros réalise Nazaré, plage de pêcheurs (Nazaré, Praia de Pescadores, 1928), Maria do Mar (1930) et Lisboa, Crónica Anedótica (id.). João de Sá se fait le chroniqueur d'un quartier de Lisbonne (Alfama, id.). Le 19 juin 1931, le premier film sonore est programmé à Lisbonne : la Severa, adapté du roman de Júlio Dantas par Leitão de Barros et interprété par Dina Teresa. Il développe le mythe du machisme simultanément aristocratique et populaire, qui trouve dans les courses de taureaux sa concrétisation suprême et dans le fado les déchirements de la passion amoureuse. Au même moment, Manoel de Oliveira*, un amateur inconnu mais promis à un bel avenir — qui, faute d'appuis économiques, tardera néanmoins à se dessiner —, signe un court métrage, Douro, Faina Fluvial, qui assimile les leçons d'Eisenstein et de Poudovkine avec originalité et poésie (le film qui date de 1930 sera sonorisé en 1934). En 1932 est fondée la Tobis Portuguesa, dont le premier succès est la Chanson de Lisbonne (A Canção de Lisboa, Cotinelli Telmo, 1934).

Le développement d'un cinéma national.

Le cinéma se tourne petit à petit vers les thèmes de la tradition nationale de la littérature et du théâtre populaire, abordant des sujets qui évitent le social et la politique. Cette tendance est soutenue par le secrétariat de la Propagande nationale, qui a à sa tête António Ferro. La soumission à l'idéologie de l'État est néanmoins discrète (seules des œuvres comme la Révolution de mai [A Revolução de Maio] d'António Lopes Ribeiro en 1937 ou Sortilèges de l'Empire [O Feitiço do Império, id., 1940] laissent apparaître en clair les courants de pensée officiels). Si l'on excepte la Chanson de la terre (A Canção da Terra, Jorge Brum do Canto, 1938), qui aborde le problème de la pauvreté et des rapports de classe, la plupart des films portugais des années 30 et 40 sont des comédies populaires (Marie Coquelicot [1937] et la Veranda des Rossignols [1939] de Leitão de Barros ; le Trèfle à quatre feuilles [O Trevo de Quatro Folhas, 1936], le Village du linge blanc [A Aldeia da Roupa Branca, 1938] de Chianca de Garcia ; le Père tyran [O Pai Tirano, 1941] d'António Lopes Ribeiro ; O Costa do Castelo [1943] d'Artur Duarte), des films historiques (Bocage, 1937 ; Inês de Castro, 1945 ; Camoens [Camões], 1946, tous de Leitão de Barros), des films à caractère rural (João Rato [1940] et les Loups de la montagne [Lobos da Serra, 1942] de Jorge Brum do Canto ; Un homme du Ribatejo [Um Homem do Ribatejo, 1946] d'Henrique Campos), des adaptations littéraires (la deuxième version d'Amour de perdition [1943] d'António Lopes Ribeiro). La renommée du cinéma portugais hors de ses frontières reste timide (bien qu'en 1942 deux productions aient été représentées au festival de Venise : Aniki Bobo de Manoel de Oliveira et Alà Arriba de Leitão de Barros). Il n'y a pas de vraie politique cinématographique, la distribution reste peu dynamique et l'exportation très faible. Les années 50 n'apportent aucune évolution : Artur Duarte poursuit une carrière qui s'essouffle, le néoréalisme italien influence Manuel Guimarães dans Saltimbanques (Saltimbancos, 1951), les thèmes d'outre-mer reviennent à la mode (Chaimite, 1953, J. Brum do Canto), un mouvement documentaire apparaît (Manoel de Oliveira, António Campos*). En 1962, un film, Dom Roberto, d'Ernesto de Sousa, provoque des controverses et ravive l'espoir des jeunes cinéastes qui jusqu'alors n'avaient que peu de possibilités de tourner leur premier film. Un mouvement de renouveau se dessine sous l'égide du producteur António da Cunha Telles qui lance Fernando Lopes* (Belarmino, 1964), Paulo Rocha* (les Vertes Années, 1963 ; Changer de vie, 1966), António de Macedo (Dimanche après midi [Domingo à Tarde], 1965), Carlos Vilardebó (les Îles enchantées [As Ilhas Encantadas], 1965). Cunha Telles rompt avec le système habituel de distribution (il fonde Animatógrafo, qui fait connaître au Portugal des classiques étrangers jusqu'alors ignorés) et tourne lui-même O Cerco (1970). Les difficultés économiques freinent néanmoins quelque peu l'élan d'un mouvement qui reste soumis à l'esprit d'entreprise de quelques-uns mais ne modifie guère les structures de production à l'échelle nationale jusqu'à la « révolution des œillets » le 25 avril 1974. Tandis que se révèle un excellent documentariste, António Campos*, attentif à la transformation du monde paysan (Vilarinho das Furnas, 1971), le changement brutal de politique au Portugal a des incidences directes sur le cinéma qui « descend dans la rue ». De très nombreux documents sont tournés au cours des années qui suivent le coup d'État : films d'intervention politique ; films militants ; films de synthèse historique (Dieu, Patrie, Autorité [Deus, Pátria, Autoridade], 1976, et Bon Peuple portugais [Bom Povo Português], 1980, de Rui Simões) ; films de fiction à caractère politique (œuvres d'Eduardo Geada, António Pedro de Vasconcelos, Alberto Seixas Santos, José Fonseca e Costa) ; films cherchant à cerner l'identité portugaise et son imaginaire traditionnel (Trás-os-Montes d'António Reis et Margarita Martins Cordeiro, 1976).