Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
A

ALLEMAGNE. (suite)

Wiene et Murnau.

Mais c'est le Cabinet du Dr Caligari (1919), de Robert Wiene*, d'après l'histoire de Carl Meyer et Hans Janowitz, qui va symboliser à lui seul la naissance d'un cinéma allant au-delà de la fausse réalité. Film-manifeste de l'expressionnisme, Caligari en marque aussi les limites : décors stylisés, maquillages outranciers des acteurs (Werner Krauss* dans le rôle du Dr Caligari et Conrad Veidt* dans celui du somnambule).

« Ici, écrit Jean Mitry, les décors ne stylisent plus. Ils créent un univers discordant qui accuse le déséquilibre mental du héros : les rues contrefaites, les maisons de travers, les ombres et les lumières, qui s'opposent en de violentes taches blanches et noires peintes à même le décor, participent de la ligne brisée... On voit quels sont les buts de l'expressionnisme : traduire symboliquement, par les lignes, les formes ou les volumes, la mentalité des personnages, leur état d'âme, leur intentionnalité aussi, de telle façon que le décor apparaisse comme la traduction plastique de leur drame. »

Caligari, au demeurant, restera sans vraie postérité. Wiene lui-même tentera de prolonger le caligarisme dans ses films suivants : Genuine (1920), Raskolnikov (1923) et les Mains d'Orlac (1924). Seul, Paul Leni* dans le Cabinet des figures de cire (1924), sur un scénario de Henrik Galeen, reprendra la leçon à son compte. Dans Torgus (1920), de Hans Kobe, et dans De l'aube à minuit (Von Morgens bis Mitternachts, id.) de Karl Heinz Martin, l'expressionnisme devient synonyme d'atmosphères oppressantes et de stylisations déformantes. Dans le second Golem (1920), Wegener ressuscite le robot d'argile des légendes rabbiniques dans les décors de l'architecte Hans Pölzig. Particulièrement féconde, l'année 1921 verra apparaître des œuvres aussi essentielles que Nosferatu le Vampire de Friedrich Wilhelm Murnau*, chef-d'œuvre du réalisme fantastique, et le Rail, de Lupu Pick*, sur un scénario de Carl Meyer, où tout est dit par l'image et l'image seule.

C'est Nosferatu (tourné en décors naturels) qui apportera à Murnau la consécration internationale. Beaucoup plus qu'un simple film de terreur, le chef-d'œuvre du cinéma vampirique, que brandira en son temps le surréalisme naissant, est une épure admirablement mise en scène. La forme hideuse du comte Orlok, alias Nosferatu (l'acteur Max Schreck), avance lentement de la profondeur d'un plan jusqu'à nous. Le Maître approche et son souffle glacé annonce une autre peste sur le monde. Par la suite, d'autres films de Murnau tels que la Terre qui flambe (1922), le Fantôme (id.) et surtout le Dernier des hommes (1924) développeront la symbolique de ce visionnaire qui multipliait les angles de prise de vues pour mieux saisir « la réalité submergée par le rêve ». Après l'accueil triomphal du Dernier des hommes aux États-Unis, Murnau sera invité par la Fox et partira pour Hollywood en 1927. Il y réalisera notamment l'Aurore (1927), grand chant fluide dans lequel il oppose mélodiquement la ville à la campagne, et Tabou (1931), tourné à Tahiti en collaboration avec Robert Flaherty*, où il invente la fiction documentaire, mêlant étroitement fantastique et réalisme.

Fritz Lang et G. W. Pabst.

Marquées par les séquelles de la guerre, les années 20 voient se multiplier déchirements sociaux et difficultés économiques. Le climat d'insécurité et d'inquiétude qui en découle influencera, comme il se doit, l'inspiration des cinéastes. Et Fritz Lang*, fils d'un architecte viennois, plus que tout autre. Il va en effet mêler son attirance pour le fait divers réaliste et sa conception du monde, selon laquelle l'homme n'échappe jamais à son destin. Déjà, en 1919, avec les Araignées, abracadabrante suite d'aventures, se profilait le thème du surhomme. Tandis que dans les Trois Lumières (1921), écrit en collaboration avec son épouse Thea von Harbou*, Lang inscrivait sur l'écran le combat allégorique et délirant de l'ombre et de la lumière.

Avec le Docteur Mabuse (1921-22), Lang met en scène un être maléfique qui règne sur la masse par l'hypnose et la terreur. Écoutons-le : « La toile de fond de ce film était le présent d'alors, les années qui suivirent immédiatement la Première Guerre mondiale. Les hommes de cette époque devaient, pour la première fois, affronter une situation qui leur était inconnue : l'inflation. Ce fut une période d'incertitude, d'hystérie et de corruption effrénée. Je m'inspirai, consciemment, d'épisodes réellement survenus en Allemagne et ailleurs... Au début du film, je montrai en des images rapides des combats de rues et de barricades semblables à celles qui se dressèrent dans une Allemagne qui avait perdu la guerre... Sur cet arrière-plan, j'ai voulu placer le supercriminel, l'homme qui prépare ses méfaits quasi scientifiquement avant de les exécuter en personne ou de les faire exécuter par d'autres avec une précision mathématique. Il contrôle les membres de son organisation par la terreur. Le Dr Mabuse, qui dit lui-même : « Je suis la loi », est le criminel parfait, le grand montreur de marionnettes. Il est en lutte ouverte avec les institutions sociales existantes, il est le grand joueur qui joue en Bourse avec l'argent, avec l'amour et avec le destin des hommes. »

Dans les Nibelungen (1924), film en deux parties, Lang atteint à la plus haute expression de son art : par l'équilibre plastique entre décor et tragédie. Metropolis (1927), fable apocalyptique dans la ville-usine du futur, systématise encore un peu plus la stylisation géométrique. Suivront les Espions (1927-28), M le Maudit (1931), son premier film parlant, avec Peter Lorre*, et le Testament du Dr Mabuse (1933). Peu après, Lang choisira l'exil (plutôt que d'accepter la direction du cinéma allemand que lui offre Goebbels) et commencera sa carrière américaine.

Autrichien, comme Fritz Lang, Georg Wilhelm Pabst* a toujours soigné lui aussi ses effets de lumière et de clair-obscur. Dans la Rue sans joie (1925), tableau de la vie à Vienne pendant l'inflation, il donne ses lettres de noblesse au mélodrame social et au réalisme de tendance libertaire. Le film s'attirera les foudres de maintes censures de par le monde et sera largement mutilé. Greta Garbo* devait y trouver son premier grand succès à l'écran. De même, dans les Mystères d'une âme (1926), Loulou (1929) ou Journal d'une fille perdue (id.), Pabst témoigne de son intérêt pour la psychanalyse et le rêve. Une lourde sensualité, une inquiétante poésie contribuent à donner à Loulou son intensité dramatique incomparable. Inspiré de deux pièces de l'écrivain Frank Wedekind, le film se confond désormais avec son interprète, Louise Brooks*. Le cinéaste retrouve une tonalité voisine dans l'Opéra de quat'sous (1931), d'après Brecht et Weil, parabole provocante sur un air de bastringue qui tourne à la fête noire et prophétique.