Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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PATHÉ (Charles) (suite)

Charles Pathé vit le jour dans une famille de condition modeste, de souche alsacienne. Ses parents tiennent une charcuterie à Vincennes. Obligé de travailler dès son plus jeune âge, il ira tenter sa chance en Amérique du Sud, avant de se lancer, sans grand succès, dans le commerce du vin. C'est alors que, à la foire de Vincennes, il découvre un pactole : le phonographe Edison. « Mon parti fut pris, raconte-t-il. Instantanément, je décidai de me procurer un de ces appareils et de l'exploiter à mon tour. » Nous sommes en 1894. Il fait, à bicyclette, la tournée des foires d'Île-de-France, un équipement de fortune sous le bras. En moins d'un an, son affaire devient florissante, au point de concurrencer les importateurs anglo-saxons. En même temps, suivant l'exemple d'Edison, Pathé mise sur l'avenir de la photographie animée et, en juin 1895, s'associe avec un jeune inventeur, Henry Joly, qui a mis au point un appareil dérivé du Kinetoscope et nettement plus perfectionné : le Photozootrope. Il l'alimente au moyen de courtes bandes réalisées à ses frais, dont un Coucher de la Parisienne, contemporain des premiers films Lumière — et un peu plus polisson... Menant de pair l'industrie de la phonographie et celle, naissante, de la cinématographie, il fonde en 1896, avec ses frères aînés Émile, Jacques et Théophile, la société Pathéfrères, au capital de 35 000 F. En 1898, il se lie avec un fabricant d'appareils électriques, M. Grivolas, pour créer la Compagnie générale des phonographes, cinématographes et appareils de précision (il abandonnera bientôt à son frère Émile la responsabilité du département phonographique, très prospère). C'est ensuite la rencontre avec Ferdinand Zecca, lequel restera vingt ans durant son homme de confiance. Des studios de prises de vues sont édifiés à Vincennes. Zecca y tournera pour Pathé — qui s'est choisi pour héroïque emblème un coq gaulois, dressé sur ses ergots — de nombreuses bandes, très souvent plagiées de Méliès (le Voyage dans la lune, l'Affaire Dreyfus), mais témoignant parfois d'une réelle originalité (l'Histoire d'un crime). Par la suite, Pathé s'adjoindra les services de réalisateurs tels que Lucien Nonguet, Gaston Velle, Louis Gasnier, André Heuzé, etc. Son flair légendaire lui fait engager un débutant nommé Max Linder. Il cherchera même à « débaucher » Méliès, mais à des conditions par trop humiliantes. On tourne surtout à Vincennes de grosses farces et des films-poursuites, qui remportent un énorme succès populaire — et qui influenceront par la suite les burlesques américains de Mack Sennett. Pour en faciliter le tirage, un laboratoire est construit à Joinville-le-Pont en 1904 (il est toujours en activité). L'argent afflue, mais le nombre de copies ne suffit plus à la demande. Pathé a alors un coup de génie : substituer à la vente des films leur location (1907). C'est le point de départ de ce qu'il appelle « l'industrie intégrale » appliquée au cinématographe. Il fonde d'innombrables succursales : à Londres, Moscou, New York, Bruxelles, Berlin, Vienne, Amsterdam, Barcelone, Milan, Odessa, Budapest, Calcutta, Singapour, etc. La clientèle foraine ne lui suffisant plus, il vise un public plus large. Sa fière devise est : « Le cinéma sera le théâtre, le journal et l'école de demain. » Il commandite les premiers films scientifiques du Dr Jean Comandon et s'intéresse au développement du Film d'Art (en France, puis en Italie). Il crée une revue d'actualités, Pathé-Journal, développe ses filiales à l'étranger (Pathé Exchange à New York, Pathé Limited à Londres, Litteraria à Berlin), enfin n'hésite pas à ravir à George Eastman — au terme d'une compétition implacable — le monopole européen de la fabrication de la pellicule vierge. En 1910, son chiffre d'affaires est évalué à 60 millions de francs-or.

Pendant la Grande Guerre, Pathé doit faire face, comme Gaumont, à l'âpre concurrence américaine. Il réussit à se maintenir à flot grâce à l'édition deserials, qu'il va produire sur place (c'est grâce à son impulsion que sont tournés les fameux Mystères de New York, que dirige Louis Gasnier : il s'en est assuré, bien entendu, l'exclusivité mondiale). Il réussit d'autre part à imposer sur l'ensemble du territoire des États-Unis la diffusion de Pathé News, version américaine de Pathé-Journal. Mais ses autres relais étrangers (Berlin, Vienne, Moscou) sont, du fait de la guerre, durement éprouvés. Lorsque celle-ci s'achève, son empire bat de l'aile, et il doit céder un certain nombre de parts dans la constitution d'une nouvelle société, qui prend le nom de Pathé-Cinéma, puis de Pathé-Consortium-Cinéma. Il renonce bientôt à la plupart de ses marchés extérieurs, se consacre au format réduit, exploite ses salles parisiennes et le circuit rural, ne produisant plus que rarement (la Sultane de l'amour, les Trois Mousquetaires, J'accuse et la Roue, de Gance ; l'Auberge rouge et Cœur fidèle, de Jean Epstein), fusionnant à l'occasion avec la société des Cinéromans. Le déclin s'annonce pourtant, qui se traduit en 1926 par l'abandon à Kodak de la fabrication du film vierge et, surtout, en 1929, par la mise en gérance de la société entre les mains d'un nouveau venu, aux ambitions assez démesurées : Bernard Natan, alias Natan Tanenzapf, un Roumain qui s'était principalement illustré jusqu'alors dans la réalisation de films pornographiques. Il se peut que Charles Pathé, fortune faite et sentant le vent tourner, n'ait pas été autrement fâché de passer la main... Il affirme dans ses Mémoires s'être opposé de toutes ses forces à la « ténébreuse mégalo-manie » de son successeur, dont la première décision fut de modifier le sigle de la firme en Pathé-Natan. Après quoi, il emprunta à tout va, mettant en chantier des films souvent médiocres. Le fameux coq de Pathé n'était plus qu'une vulgaire poule aux œufs d'or, qui allait être plumée sans vergogne. En mai 1930, Charles Pathé prend définitivement ses distances et laisse Natan seul en piste.

Sur la soixantaine de longs métrages (sans compter une foule de « premières parties ») qui vont être produits chez Pathé-Natan entre 1929 (les Trois Masques, un des tout premiers « parlant français ») et 1935 (l'Équipage), on note cependant, parmi un flot de Roi des resquilleurs et autres Âne de Buridan, des œuvres plus ambitieuses, telles que la Petite Lise, de Jean Grémillon, les Croix de bois et les Misérables, de Raymond Bernard, le Dernier Milliardaire, de René Clair, et quelques excellents Maurice Tourneur. Ce qui n'est pas, artistiquement un si mauvais bilan. En 1939, c'est pourtant une banqueroute retentissante, la dissolution de la société et la condamnation de Natan pour escroquerie (non sans arrière-pensées antisémites). Mais de même que dans le cas de Gaumont, qui connaît à cette époque de semblables péripéties, moins spectaculaires, le coq-phénix va bientôt renaître de ses cendres, grâce au soutien des banques, sous le vocable de Société d'exploitation des établissements Pathé-Cinéma. Le passif est épongé, les affaires peuvent reprendre. Pathé va produire, entre autres films de prestige, Pontcarral, Premier de cordée et les Enfants du paradis. En 1944, nouveau sigle : Société Nouvelle Pathé-Cinéma, au capital de 110 millions. Distribution, exploitation, ventes à l'étranger, fabrication d'appareils, édition du Pathé-Journal hebdomadaire, tout est remis en marche — à l'exclusion de la gestion des studios et des laboratoires de Joinville. Le blason est redoré. De nouveaux films sont entrepris, à commencer par les Beaux Jours du roi René, de... Théophile Pathé (l'un des neveux de Charles) ; mais aussi les Portes de la nuit, Le silence est d'or (en association avec la RKO), Nez de cuir, la Femme et le Pantin, une nouvelle version des Misérables et des comédies signées Berthomieu, Borderie ou Hunebelle. Ajoutons, à l'aube des années 60, des coproductions de qualité telles que La dolce vita et le Guépard. Pathé-Cinéma a également restructuré et développé son réseau de salles (plus de 110 écrans). Elle a créé un important département de production télévisuelle (Belphégor, Arsène Lupin, Nana, les Grandes Batailles, Histoire de l'aviation), et constitué un réseau de distribution international.