Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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SIMON (François Michel, dit Michel) (suite)

Pitoyables ou princiers, bafouilleurs ou sûrs d'eux-mêmes, les personnages qu'il nourrit de sa propre expérience et de sa prodigieuse sensibilité gagnent une complexité psychologique fondée sur l'ambiguïté des sentiments, indépendamment de la qualité spécifique des œuvres qui les portent. Il a, de la sorte, su dessiner une extraordinaire suite de héros contradictoires illustrant les principaux aspects de la comédie humaine ; plusieurs de ces figures, liées à l'écriture inspirée de cinéastes qui en ont compris la richesse cordiale, sont désormais devenues des « types » inoubliables : le pitoyable caissier de la Chienne (J. Renoir, 1931), l'ébouriffant clochard de Boudu sauvé des eaux (id., 1932), le marinier tatoué de l'Atalante (J. Vigo, 1934), le Molyneux — alias Félix Chapel — de Drôle de drame (M. Carné, 1937), le Zabel de Quai des brumes (id., 1938), le Lemel des Disparus de Saint-Agil (Christian-Jaque, id.), le Jo de Fric-Frac (Maurice Lehmann et C. Autant-Lara, 1939), Cabrissado l'éternelle doublure de la Fin du jour (J. Duvivier, 1939), le bizarre, inquiétant et néanmoins innocent M. Hire de Panique (id., 1947), le Méphistophélès de la Beauté du diable (R. Clair, 1950), le machiavélique braconnier de la Poison (S. Guitry, 1951), le vieux grognard d'Austerlitz (A. Gance, 1960). Michel Simon a tourné plus de cent films.

Ouvert aux beautés de la nature, à l'innocence des bêtes, aux cris du désespoir et de l'injustice, il ne regardait pas sans étonnement ni dégoût les petitesses insultantes ou les vanités sanglantes des mœurs contemporaines. D'où ses attitudes boudeuses, ses éclats de colère ou son comportement de misanthrope. Mais, en même temps, il avait un formidable sens de l'humour et une conscience claire de la relativité des codes moraux. Par conséquent, il ne pouvait professer qu'un anarchisme souriant lié directement à un sentiment grave du bonheur fraternel. Dès la salle de classe du collège Calvin à Genève, il manifesta des signes de liberté qui le rendirent toujours proche des marginaux, des défavorisés qui luttent avec leurs propres moyens pour opposer aux ordres de la société l'inaliénable autonomie du rêve et du merveilleux. C'est pour cette raison que ses personnages les plus touchants s'inscrivent dans la lignée du père Jules de l'Atalante ou de Boudu sauvé des eaux.

Son génie, il en témoignait à chaque instant dans l'existence quotidienne et, par grâce naturelle, cette présence aux choses et aux êtres devenait plus rayonnante encore sous le feu des projecteurs : jouer, pour lui, ne relevait donc pas d'une technique apprise mais d'une manière de joindre, en l'assumant, l'intelligence du cœur à la mobilité d'esprit. Sa culture narguait malicieusement les valeurs académiques ; il préférait le discours d'un clochard à celui des littérateurs distingués, mais il possédait un incroyable don pour détecter le livre, le tableau, le disque parfaitement adaptés à ses aspirations passagères ou, au contraire, à d'intérieures exigences. Les classiques, avec lui, redevenaient ainsi gentiment familiers : Tchekhov donnait alors la main à Colette ou Courteline et les nus de Clovis Trouille répondaient, sur un autre ton, à ceux de Renoir : il ne voyait aucune limite aux registres de la sensualité. D'où l'énergie rayonnante de sa personne, et son unité confondante.

Films  :

la Vocation d'André Carrel (Jean Choux, 1925) ; Feu Mathias Pascal (M. L'Herbier, 1926) ; l'Inconnue des Six-Jours (René Sti, id.) ; Casanova (A. Volkov, 1927) ; la Passion de Jeanne d'Arc (C. Dreyer, 1928) ; Tire-au-flanc (J. Renoir, id.) ; Pivoine (André Sauvage, 1929, inachevé)  ; l'Enfant de l'amour (L'Herbier, 1930) ; Jean de la Lune (Choux, 1931) ; On purge Bébé (Renoir, id.) ; la Chienne (id., id.) ; Baleydier (Jean Mamy, id.) ; Boudu sauvé des eaux (Renoir, 1932) ; Miquette et sa mère (H. Diamant-Berger et D. B. Maurice, 1933) ; Du haut en bas (G. W. Pabst, id.) ; Léopold le bien-aimé (Arno-Charles Brun, id.) ; l'Atalante (J. Vigo, 1934) ; Lac aux dames (M. Allégret, id.) ; le Bonheur (L'Herbier, 1935) ; le Bébé de l'escadron (Sti, id.) ; Ademaï au Moyen Âge (Jean de Marguenat, id.) ; Amants et Voleurs (R. Bernard, id.) ; Sous les yeux d'Occident (M. Allégret, 1936) ; Moutonnet (Sti, id.) ; les Jumeaux de Brighton (C. Heymann, id.) ; le Mort en fuite (A. Berthomieu, id.) ; Jeunes Filles de Paris (Claude Vermorel, id.) ; Faisons un rêve (S. Guitry, 1937) ; la Bataille silencieuse (P. Billon, id.) ; Naples au baiser de feu (A. Genina, id.) ; Boulot aviateur (M. de Canonge, id.) ; Drôle de drame (Carné, id.) ; Mirages/Si tu m'aimes (Alexandre Ryder, 1938) ; le Choc en retour (Georges Monca et Maurice Keroul, id.) ; les Disparus de Saint-Agil (Christian-Jaque, id.) ; Quai des brumes (Carné, id.) ; les Nouveaux Riches (Berthomieu, id.) ; la Chaleur du sein (J. Boyer, id.) ; le Ruisseau (Maurice Lehmann, id.) ; Belle Étoile (J. de Baroncelli, id.) ; Eusèbe député (Berthomieu, 1939) ; le Dernier Tournant (P. Chenal, id.) ; Noix de coco (Boyer, id.) ; la Fin du jour (Duvivier, id.) ; Fric-Frac (Lehmann, id.) ; Circonstances atténuantes (Boyer, id.) ; Derrière la façade (G. Lacombe et Y. Mirande, id.) ; Cavalcade d'amour (Bernard, 1940) ; les Musiciens du ciel (Lacombe, id.) ; Paris-New York (Heymann et Mirande, id.) ; la Tosca (C. Koch, 1941) ; Le roi s'amuse (M. Bonnard, id.) ; la Comédie du bonheur (L'Herbier, 1942) ; la Dame de l'Ouest (Koch, id.) ; Au bonheur des dames (A. Cayatte, 1943) ; Vautrin (Billon, 1944) ; Un ami viendra ce soir (Bernard, 1945) ; Panique (Duvivier, 1947) ; la Taverne du Poisson couronné (René Chanas, id.) ; Non coupable (H. Decoin, id.) ; les Amants du pont Saint-Jean (id. ; id.) ; la Carcasse et le tord-cou (Chanas, id.) ; Fabiola (A. Blasetti, 1949) ; la Beauté du diable (R. Clair, 1950) ; Hôtel des Invalides (G. Franju, 1951) ; la Poison (Guitry, id.) ; les Deux Vérités (Antonio Leonviola, 1952) ; la Fille au fouet (J. Dreville, id.) ; Brelan d'as (H. Verneuil, id.) ; Monsieur Taxi (A. Hunebelle, id.) ; le Rideau rouge (A. Barsacq, id.) ; le Chemin de Damas (Max Glass, id.) ; la Vie d'un honnête homme (Guitry, 1953) ; le Marchand de Venise (Billon, id.) ; Femmes de Paris (Boyer,  id.) ; l'Étrange Désir de M. Bard (G. Radvanyi, id.) ; Saadia (A. Lewin, 1954) ; Par ordre du tsar (André Haguet, id.) ; Quelques pas dans la vie (Blasetti, id.) ; l'Impossible Monsieur Pipelet (Hunebelle, 1955) ; les Mémoires d'un flic (Pierre Foucaud, 1956) ; la Joyeuse Prison (Berthomieu, id.) ; Les trois font la paire (Guitry, film achevé par Clément Duhour, 1957) ; Un certain M. Jo (René Jolivet, id.) ; ça s'est passé en plein jour (L. Vajda, id.) ; la Femme nue et Satan (V. Trivas, id.) ; Austerlitz (A. Gance, 1960) ; Pierrot la Tendresse (François Villiers, id.) ; Candide (N. Carbonnaux, 1961) ; le Bateau d'Émile (D. de la Patellière, id.) ; le Diable et les Dix Commandements (Duvivier, 1962) ; Cyrano et d'Artagnan (Gance, 1963) ; le Train (J. Frankenheimer, 1964) ; Deux Heures à tuer (Yvan Govar, 1965) ; le Vieil Homme et l'Enfant (C. Berri, 1966) ; Ce sacré grand-père (J. Poitrenaud, 1967) ; Contestazione generale (L. Zampa, 1970) ; la Maison (G. Brach, id.) ; Blanche (W. Borowczyk, 1971) ; la Plus Belle Soirée de ma vie (E. Scola, 1972) ; le Boucher, la Star et l'Orpheline (Jérôme Savary, 1975) ; l'Ibis rouge (J.-P. Mocky, id.).