Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
E

ÉTATS-UNIS. (suite)

Ce second « âge d'or » d'Hollywood – après celui de la fin du muet – se prolonge pendant les années 40 mais subit de profondes mutations. Certaines sont dues à des facteurs extérieurs : la guerre mobilise les énergies contre l'Allemagne nazie, provoque l'essor de nombreux films d'espionnage et de propagande, puis des films de guerre à proprement parler ; il en va de même, ensuite, de la guerre froide, l'ennemi communiste se substituant dès lors à l'ennemi fasciste. Mais il ne faut pas négliger l'évolution propre – notamment stylistique – du cinéma en tant que moyen d'expression, avec l'apparition météorique, au firmament hollywoodien, d'Orson Welles*, auteur, acteur, metteur en scène, véritable homme-orchestre, dont Citizen Kane (1941) résume de manière brillante et provocante toutes les techniques issues du parlant et aussi de la radio. Cette œuvre maîtresse utilise en outre un mode de montage non linéaire tout à fait inhabituel à Hollywood, qui, imité et généralisé, conférera au cinéma certaines des techniques de composition dont s'était dotée, de longue date, la littérature.

L'âge d'or du film noir et du musical.

Facteurs internes et externes se conjuguent pour donner naissance au genre roi des années 40, le film criminel* dit aussi thriller (ce qui l'apparente à l'épouvante) ou film noir (ce qui en exprime la tonalité, l'atmosphère spécifiques). Films criminels proprement dits, ceux qu'interprètent des personnages de « privés », notamment les héros de Raymond Chandler* et de Dashiell Hammett* ; les modèles du genre sont le Faucon maltais (J. Huston*, 1941) et le Grand Sommeil (H. Hawks*, 1946), avec Humphrey Bogart dans les deux cas ; et encore les adaptations de James M. Cain*, comme Assurance sur la mort de Billy Wilder* (1944) et Le facteur sonne toujours deux fois de Tay Garnett* (1946). Mais l'atmosphère propre au film noir imprègne quantité d'œuvres appartenant à d'autres genres : le film de gangsters bien sûr (la Grande Évasion, Walsh*, 1941), mais aussi le western (la Vallée de la peur, id., 1947), le mélodrame (Rebecca, Hitchcock*, 1940), l'adaptation littéraire (Jane Eyre, Stevenson*, 1944 ; ou le Portrait de Dorian Gray, Lewin*, 1945), le drame politique (les Fous du roi, Rossen*, 1949) ou le film historique (le Livre noir, A. Mann*, id.), voire la comédie (Infidèlement vôtre, P. Sturges*, 1948).

Stylistiquement, comme c'était déjà le cas pour le film d'épouvante, et comme cela est également sensible dans Citizen Kane, le film noir doit beaucoup à l'expressionnisme allemand, dont il reproduit l'univers nocturne et les décors oppressants ; comme l'expressionnisme allemand, il dépeint des personnages en proie à des forces hostiles qui les dépassent et les traquent de manière presque inéluctable, que ces forces soient criminelles à proprement parler, politiques, sociales, ou psychologiques et issues du personnage lui-même. À l'influence germanique se mêle d'ailleurs un apport anglais, traditionnel dans le film d'horreur ; on le vérifie dans les thématiques de Rebecca et de Jane Eyre, issues (directement ou indirectement) du roman “gothique”, et encore si l'on observe qu'en dehors des Allemands (Siodmak*, Brahm*) et des Viennois (Lang*, Wilder, Ulmer*, Preminger*) l'un des réalisateurs qui a le plus assidûment pratiqué le thriller est l'Anglais Hitchcock (par exemple la Maison du Dr. Edwardes, 1945 ; les Enchaînés, 1946 ; la Corde, 1948).

Les films criminels, les films d'épouvante, les drames en général étaient le plus souvent réalisés en noir et blanc ; en revanche, la couleur tend à se généraliser pour la comédie musicale et le film d'aventures, autrement dit les genres d'évasion. Le musical est incontestablement dominé par les créations de la MGM, le plus souvent produites par Arthur Freed*, signées par Vincente Minnelli* ou Charles Walters*, interprétées par Judy Garland*, Gene Kelly*, Fred Astaire, et où des chorégraphies « modernes » sont serties dans de luxueux écrins nostalgiques (le Chant du Missouri, Minnelli, 1944 ; Parade de printemps, Walters, 1948), surréalisants (Yolanda et le voleur, Minnelli, 1945) ou exotiques (le Pirate, id., 1948).

Avec sa palette colorée, ses acrobaties, sa bonne humeur et ses héroïnes limpides, le film d'aventures (où Tyrone Power* a pris la place d'Errol Flynn) entretient alors avec la comédie musicale des rapports étroits. D'ailleurs, Gene Kelly, pirate d'opérette chez Minnelli, est un des trois mousquetaires de George Sidney* (1948).

Richesse du cinéma américain des années 40 et 50.

Les années 40 voient aussi l'accession à la mise en scène d'une génération qui avait d'abord fait ses preuves au théâtre ou en écrivant des scénarios : les plus talentueux de ces nouveaux venus sont Mankiewicz*, Kazan*, Rossen. Ce sont des « enfants des années 30 », mais leur idéalisme rooseveltien est en porte-à -faux à l'époque de la guerre froide ; aussi cette génération sera-t-elle affrontée au maccarthysme, idéologie anticommuniste à tendance totalitaire, qui souhaite expurger Hollywood de ses éléments “progressistes” et procède en conséquence à une “chasse aux sorcières”. Plusieurs metteurs en scène sont contraints à l'exil : Chaplin, Dmytryk*, Losey*, Dassin*, en compagnie de plusieurs scénaristes, d'autres sont placés sur une « liste noire* » et interdits de travail à Hollywood. Certains acceptent de renier leurs opinions de jeunesse (Dmytryk, Kazan) ; tous sont désormais contraints de donner des gages et de réaliser des œuvres conformes à l'idéologie dominante (ainsi Kazan signe l'anticommuniste Man on a Tightrope, 1953). Il est toujours loisible d'échapper à une trop stricte littéralité en recourant à des symboles ; c'est la tendance naturelle d'un Nicholas Ray*, qui travaillera (mais malaisément) dans le système hollywoodien. On a pu voir une dénonciation du maccarthysme dans son western Johnny Guitare (1954).

En même temps, des metteurs en scène plus âgés sont dans la plénitude de leur activité créatrice, qu'il s'agisse de John Ford, dont le nom s'identifie de plus en plus au genre du western, auquel il prête une complexité inusitée (la Poursuite infernale, 1946), ou de King Vidor, signant avec Duel au soleil (1947) un western de dimensions ouvertement épiques qui doit assurément beaucoup à son producteur David O. Selznick*.