Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
C

CRIMINEL (cinéma). (suite)

D'autre part, du film de gangsters situé en milieu urbain se distingue le film de « bandits » situé en milieu rural. Ce sous-genre partage la convention d'une fin sanglante ; il se prête soit à l'explication par l'environnement, soit à un traitement plus proprement tragique. Il met souvent en scène un jeune couple fugitif d'abord innocent mais pris dans l'engrenage de la violence. Il conserve, au fil des années, sa cohérence : J'ai le droit de vivre (Lang, 1937) ; les Amants de la nuit (Ray, 1949) ; le Démon des armes (J. H. Lewis, 1950) ; Bonnie and Clyde (Penn, 1967) ; Nous sommes tous des voleurs (Altman, 1974) ; la Balade sauvage (T. Malick, id.). Il ne se confond nullement avec le western : il a pour cadre le Midwest ou le Sud des États-Unis, souvent à l'époque de la Dépression.

On isolera enfin ce que les Anglo-Saxons désignent comme « big caper film », le film de « coup » ou de « casse », dont le modèle est Quand la ville dort de Huston (1950), mais que Kaminsky fait remonter jusqu'à l'Attaque du Grand Rapide (E. S. Porter, 1903). Constitué pour l'occasion et dispersé aussitôt ensuite, le gang compte ses personnages types, le chef, l'intellectuel, les exécutants (techniciens ou tireurs). Citons Ultime Razzia (Kubrick, 1956) ; le Coup de l'escalier (Wise, 1959) ; les Sept Voleurs (Hathaway, 1960) ; Dollars (Brooks, 1971) ; Tuez Charley Varrick (Siegel, 1973).

Dans les années 80 et 90, le film criminel est probablement le genre le plus riche de tous. Inévitablement, c'est dans ce domaine qu'un jeune cinéaste fait souvent ses premières armes, par exemple James Gray, avec l'attachant et émouvant Little Odessa (1994), et, bien sûr, Quentin Tarantino. Cette vogue engendre des sous-genres. Deux dominent, que l'on pourrait appeler « le polar à deux flics » et « le faux Hitchcock ». La formule du « polar à deux flics » vient en droite ligne de la télévision et du succès de séries comme les Rues de San Francisco, Starsky et Hutch et Deux Flics à Miami. Les deux personnages sont fortement contrastés : différence d'âge, de culture, de race. Mais leur réunion permet de toucher pratiquement toutes les franges sociales du public. La formule est transposée telle quelle au cinéma dans des films comme Étroite Surveillance (J. Badham, 1987), Affaires internes (M. Figgis, 1990) ou la série des Armes fatales réalisée par Richard Donner. Cela reste souvent psychologiquement peu fouillé et fait la part belle au spectacle (fusillades, poursuites en voitures sont des passages obligés). Cette formule binaire connaît quelques variations : le flic et son prisonnier (Midnight Run, Martin Brest, 1988) ou le professionnel et l'amateur (la Manière forte, Badham, 1991). Le « faux Hitchcock » est un phénomène à ce jour unique. Le style, l'iconographie et la thématique d'un cinéaste engendrent pour la première fois un sous-genre. Certes, Brian De Palma a beaucoup pastiché Hitchcock (Pulsions, 1977 ; Body Double, 1982) et Scorsese lui-même ne dédaigne pas de le faire de temps à autre (les Nerfs à vif, 1992). Mais il s'agit plus souvent de bons techniciens qui, ne se contentant plus d'un coup de chapeau à un maître, exploitent systématiquement le fonds hitchcockien. Les thèmes sont souvent issus de Fenêtre sur cour et de Vertigo : voyeurisme (The Bedroom Window, C. Hanson, 1985 ; Sliver, P. Noyce, 1993), transfert de meurtre (Bad Influence, C. Hanson, 1990 ; Pacte avec un tueur, John Flynn, 1988), amour meurtrier (Basic Instinct, P. Verhoven, 1992 ; Sang chaud pour meurtre de sang froid, Phil Joannou, 1992). L'iconographie est également réutilisée : on retrouve dans tous ces films la sylphide blonde (au chignon près, dans Basic Instinct), l'objet tranchant venu de Psychose et le dénouement au sommet d'une construction verticale. Le genre s'attache enfin au phénomène de société du tueur en série et les nombreux films qui sont consacrés au personnage finissent par constituer un ensemble cohérent. On remarquera tout particulièrement le Silence des agneaux (J. Demme, 1990), où la création d'Anthony Hopkins en psychiatre cannibale était inoubliable, Tueurs nés (O. Stone, 1994), bon scénario de Quentin Tarantino desservi par un style boursouflé qui se voudrait lyrique et Seven (D. Fincher, 1995), qui utilise également avec une ironie tragique des motifs du « polar à deux flics ». On a affaire à une violence rendue en images crues et sanglantes qui nous fait mesurer le chemin parcouru depuis les meurtres suggérés avec finesse dans les films noirs de l'époque classique.

Iconographie.

Le gangster se reconnaît d'abord à ses vêtements, qui restent, au fil des années, entachés d'une élégance très voyante. Venant d'un milieu humble, il doit afficher sa réussite sociale et s'habille trop. Le type est fourni par Robinson dès Little Caesar : chapeau melon, gilet, guêtres. Le grand chapeau mou, la veste à larges revers, les rayures, les cravates criardes, le cigare enfoncé dans le coin de la bouche suffisent à dénoter le gangster. Dans Johnny, roi des gangsters, Robert Taylor choisit la cravate « la plus voyante ». Le type sera reproduit par les gangsters des années 50 (Lee Marvin dans Règlement de comptes) mais on en trouvera des traces tardives dans la prédilection d'Al Pacino pour le cuir dans L'Impasse ou celle de Robert De Niro pour chemises et cravates en soie assorties dans Casino. Même les gangsters qui ont à la ville l'apparence de businessmen se trahissent dans le privé : ils portent des peignoirs de soie d'un luxe excessif (Robinson dans Key Largo, Alexander Scourby dans Règlement de comptes, Neville Brand dans Les Incorruptibles défient Al Capone). Il en va de même de la « ganster's moll », aux toilettes tapageuses et vulgaires. Ailleurs synonyme de statut mondain, le manteau de fourrure peut désigner l'amie du gangster ; dans Règlement de comptes encore, Gloria Grahame (« gangster's moll ») dit à la femme du policier corrompu, habillée comme elle : « Nous sommes sœurs sous le manteau de vison. »

C'est ensuite seulement que le gangster se définit par le port – et par l'usage – d'une arme à feu, caractère qu'il partage avec le policier, le détective privé, le criminel non professionnel... Comme dans le western (Winchester 73, A. Mann, 1950), les titres témoignent de l'importance des armes à feu : Magnum Force (Ted Post, 1973). Dans le film de gangsters, on utilise volontiers l'arme mi-lourde (cf. Mitraillette Kelly) ; dans le film noir, la violence est plus insidieuse : le poison voisine avec l'arme à feu (le Grand Sommeil). Vers la fin des années 40, la violence prend les formes les plus extrêmes, à la fois en quantité (cf. les Démons de la liberté ou L'enfer est à lui) et en raffinement de cruauté. Cela culminera chez Aldrich dont le film de « privé » En quatrième vitesse (1955) se termine par une explosion atomique.