Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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SERIAL. (suite)

Comme bien d'autres genres cinématographiques, le serial est une invention française : c'est à l'imaginatif Victorin Jasset qu'on en doit la conception, avec les petits films « à suivre » qu'il tourna à partir de 1908 pour la firme Éclair et qui mettaient d'ailleurs en scène des héros américains (Nick Carter, Riffle Bill). Mais c'est incontestablement aux États-Unis que se produit l'épanouissement, avec les fameux Mystères de New York (1914-15), lesquels seront supervisés, juste retour des choses, par un cinéaste français, Louis Gasnier. Ses quelque 36 épisodes content les démêlés d'une riche héritière, la belle Elaine, avec une horde de trafiquants acharnés à sa perte, qui signe ses forfaits du nom de guerre de « La main qui étreint ». On en veut à sa fortune, à sa beauté, à sa vie. Chaque épisode apporte un frisson nouveau. De mystérieux Chinois, experts en supplices, s'en mêlent... À la fin, on apprendra que le chef de bande n'est autre que le propre cousin de l'héroïne. Le succès du film, dû pour une large part au charme et à l'abattage de la vedette féminine, Pearl White, fut immense. Il fut imité et plagié un peu partout (Jacques Feyder, par exemple, tourna en France en 1916 un Pied qui étreint, en quatre épisodes). Selon Fereydoun Hoveyda, la raison de cet engouement tient à ce que, dans une époque troublée, une telle attraction « apportait une sorte de libération des personnages et des sujets » et « exaltait une jeunesse insoucieuse des préjugés littéraires et sociaux ». Le fait est que des artistes comme Apollinaire, Aragon, Breton, Cendrars ou le jeune Jean Renoir se passionnèrent pour ce type de récit, qu'ils opposaient à un cinéma gourmé et cocardier. Aragon va jusqu'à s'écrier : « Voilà bien le spectacle qui convient à ce siècle ! »

L'Italie, la Suède, l'Allemagne produisirent de nombreux films à tiroirs calqués sur le modèle américain, avec de menues variantes liées au caractère national — l'Italie saupoudrant ses péripéties d'un zeste de mélodrame, l'Allemagne de nostalgies totalitaires, etc. En France, le genre connut une sorte d'apogée avec Louis Feuillade, déjà célèbre pour ses admirables cinéromans : Judex et surtout Tih-Minh et Barrabas furent d'éclatantes réussites, dans la voie d'un certain réalisme fantastique. On citera également les alertes réalisations de son disciple Henri Fescourt : Mathias Sandorf et Rouletabille chez les bohémiens (d'après Gaston Leroux, 1922).

Au parlant, seule l'Amérique continuera sur sa lancée, en puisant anarchiquement dans le répertoire-pactole des comics : Flash Gordon, Dick Tracy, Jim-la-Jungle, l'agent secret X9, The Lone Ranger, Buck Rogers, Batman, tous les héros de bande dessinée furent « sérialisés ». Le résultat fut rarement heureux, à l'exception du délirant Flash Gordon, de Frederick Stephani, avec Larry « Buster » Crabbe (1936). C'est plutôt, si l'on ose dire, l'esprit que la lettre des comics qui inspira les meilleurs serials parlants : The Phantom Empire (1935) ou G. men contre Dragon noir (1943), ce dernier dû à un excellent réalisateur de films d'aventures « classiques » : William Witney. À signaler aussi un Tarzan (1935) qui eut l'aval de son créateur, Edgar Rice Burroughs, et un réjouissant Zorro (1939).

La vogue du serial s'éteignit au début des années 50. Elle semble connaître un regain de vitalité à la télévision. Jacques Champreux, petit-fils de Louis Feuillade, en a réussi l'acclimatation au petit écran avec les Compagnons de Baal (1968) et l'Homme sans visage, mis en scène par Georges Franju (1972). Les Anglo-Saxons, pour leur part, ont opté pour la formule plus souple du « récit complet » : les Incorruptibles, les Mystères de l'Ouest, le Prisonnier, etc.

Bien que le serial demeure, tout compte fait, un sous-produit du récit cinématographique traditionnel, il serait injuste de ne pas rendre hommage à ses pionniers : Jasset, Feuillade, Gasnier ; à ses interprètes : Pearl White, Buster Crabbe, Herman Brix ; à son charme candide, générateur aujourd'hui encore de bien des nostalgies. Évoquant les fastes défunts des dime novels, ces livraisons aux couvertures bariolées qui enchantèrent des générations d'adolescents et furent à l'origine de maint serial, Jean-Louis Bouquet, un orfèvre en matière de littérature populaire, a bien défini les caractéristiques des deux genres, également méprisés des esthètes, en s'écriant (dans un article de la revue Bizarre, 1953) : « Où sont les délirantes imaginations d'antan, les galipettes dans le surnaturel, le macabre corsé, l'horreur style musée de cire ? Où sont, surtout, les héros dans le plein sens du terme, qui profilaient leurs extraordinaires silhouettes sur des décors confondants ? »

Principaux films :

Ne sont mentionnés ici, avec quelques références minimales (date de tournage, titre original et éventuellement titre français, nombre d'épisodes, interprètes principaux), que quelques serials typiques, soit du fait de leur importance historique, soit plus rarement de leurs qualités formelles. Priorité est donnée aux serials sortis en France, et encore visibles aujourd'hui. Le nombre d'épisodes indiqué est celui de la version d'origine. Très souvent, il a été « contracté » du tiers ou de la moitié, voire ramené à un long métrage de durée normale, pour la distribution à l'étranger.

1908-09 : Nick Carter, le roi des détectives (FR, 6 épisodes), suivis des Nouveaux Exploits de Nick Carter (2 ép., PR Éclair, Victorin Jasset, INT Pierre Bressol).

1913 : What Happened to Mary ? (US, 12 ép., PR Edison, INT Mary Fuller).

1914 : The Adventures of Kathlyn (US, 13 ép., PR Selig, F. J. Grandon, INT Kathlyn Williams).

1914-15 : The Perils of Pauline (les Exploits d'Elaine, US, 20 ép.) suivis de The Exploits of Elaine, The New Exploits of Elaine et The Romance of Elaine (les Mystères de New York, 36 ép., PR Pathé-Exchange, Donald Mackenzie ; supervision : Louis Gasnier, INT P. White).

1916 : Homunculus (ALL, 6 ép., Otto Ruppert).

1916-17 : Judex (FR, 1 prologue et 12 ép.) suivis de la Nouvelle Mission de Judex (12 ép., L. Feuillade, INT René Cresté, Musidora).