Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
I

ITALIE. (suite)

Le cinéma à l'époque fasciste.

La faillite en 1923 de l'Union cinématographique italienne marque de façon évidente la fin de l'âge d'or du cinéma muet italien. Désorganisation industrielle, perte des marchés étrangers, concurrence américaine, blocage des crédits bancaires, absence d'aide gouvernementale sont les principales causes du déclin. La crise n'est pas seulement économique : en profondeur, le cinéma italien connaît une crise d'identité. L'Italie d'après-guerre est un pays traversé par des courants contradictoires. Les luttes politiques et économiques conduisent à la victoire du fascisme en 1922 : dans ce contexte fortement contrasté, le cinéma fait figure de bel indifférent. Il ne parvient à suivre ni son temps ni les goûts du public ; il ressasse, quelque peu alangui, de vieilles formules. Le manque de culture, le provincialisme de bon nombre de ses cadres ne favorisent guère un renouvellement nécessaire, et les meilleurs artistes (comédiens, cinéastes, techniciens) n'hésitent pas à aller chercher ailleurs, à Berlin ou à Paris, des conditions de travail plus stimulantes. Enfin, du point de vue de la production cinématographique, l'arrivée du fascisme au pouvoir n'apporte aucune modification substantielle : le nouveau régime s'intéresse rapidement aux journaux d'actualités et ne se préoccupe des films de long métrage que dans une perspective d'alourdissement de la censure — loin donc d'une politique susceptible de provoquer une reprise d'activité. Du point de vue formel, la production italienne des années 20 apparaît d'abord comme la continuatrice de la période précédente. Les genres traditionnels (drames sentimentaux servant de support aux divas, films historiques, serials et films acrobatiques) fleurissent avec plus ou moins de bonheur, le trait dominant étant le caractère répétitif de la plupart des films et leur absence d'invention ou de souci de renouvellement. Seul peut-être le film historique réussit encore à être représenté par des produits ayant une certaine allure. Les quelques entreprises qui ont réussi à surmonter des difficultés économiques grandissantes — le film historique est coûteux — témoignent d'un niveau qualitatif encore remarquable. Trois films au moins méritent d'être mentionnés, Messaline (1923) d'Enrico Guazzoni, Quo Vadis ? (1924) de Gabriellino D'Annunzio et Georg Jacoby*, et surtout les Derniers Jours de Pompéi (1926) d'Amleto Palermi* et Carmine Gallone*. Au total, les années 20 constituent une période charnière à partir de laquelle se mettent en place certaines des caractéristiques du cinéma italien à venir : déjà s'affrontent un cinéma d'évasion tournant le dos à la réalité et de timides tentatives — visibles notamment dans les films tournés à Naples — pour porter à l'écran une Italie plus authentique. Il n'est pas indifférent de constater que les deux meilleurs cinéastes des années 30, Alessandro Blasetti* et Mario Camerini*, tournent en 1928 et 1929 deux œuvres clefs du cinéma italien, Sole et Rails. En cette même année, signe d'une prochaine reprise productive, Stefano Pittaluga fait équiper pour le sonore les vieux studios romains de la Cines : en 1930 sort dans les salles le premier film parlant italien, La canzone dell'amore de Gennaro Righelli*.

Pendant les années 30, la production entre progressivement dans une phase de reprise, reprise qui atteindra son point culminant en 1942 avec 120 films (premier rang européen). Cette période se caractérise non pas tant par les films de propagande, à vrai dire très peu nombreux (Camicia nera, Giovacchino Forzano, 1933 ; Vecchia guardia, Blasetti, 1935 ; Redenzione, Marcello Albani, 1942), que par les films d'évasion : comédies sophistiquées, mélodrames mondains, films musicaux, films d'aventures, films historiques situés dans un passé plus ou moins lointain. Ce sont ces films qui constituent ce que l'on a appelé de façon péjorative le cinéma des « téléphones blancs ». Ces films, encouragés par des lois d'aide efficace (surtout à partir de 1938 avec une législation qui prévoit des primes proportionnelles aux recettes), véhiculent une idéologie implicite qui propose une vision rassurante de l'Italie fasciste. À regarder l'écran, ce pays n'a aucun problème politique, économique ou social. L'absence de conflit de classes définit un univers homogène dans lequel l'individu trouve son bonheur. Le cinéma de l'époque fasciste est pour l'essentiel un cinéma d'ordre moral : l'adultère, le suicide, la criminalité, la prostitution, la délinquance juvénile sont occultés ou traités de manière très allusive. La répression sexuelle est sous-jacente à la plupart des œuvres. On se trouve en présence d'un cinéma d'abord destiné à un public petit-bourgeois et qui, dans la plus pure tradition hollywoodienne, fonctionne comme une « usine à rêves ».

Parmi les cinéastes les plus représentatifs de la période émerge la figure de Mario Camerini, sans doute le cinéaste le plus talentueux de la période et celui dont les œuvres revues aujourd'hui semblent les moins datées. Au cours des années 30, il tourne toute une série de comédies douces-amères et de mélodrames sentimentaux qui posent un regard critique sur la société italienne. Les hommes, quels mufles ! (1932), Je t'aimerai toujours (1933), Comme les feuilles (1934), Je donnerai un million (1935), Mais ça n'est pas une chose sérieuse (1936), Monsieur Max (1937), Battement de cœur (1938), Grands Magasins (1939) constituent le tableau le plus fidèle et le plus complet que l'on puisse trouver d'une société partagée entre son souci de respectabilité, ses contraintes économiques, l'étroitesse de son horizon culturel et ses aspirations au bonheur. Dans un registre moins homogène, on peut également citer Goffredo Alessandrini*, cinéaste des évocations nostalgiques et des entreprises héroïques (Seconda B, 1934 ; Don Bosco, id. ; la Cavalerie héroïque [Cavalleria], 1936 ; Luciano Serra pilota, 1938 ; l'Apôtre du désert [Abuna Messias], 1939), ou Alessandro Blasetti, dont les films historiques profitent des vastes studios de Cinecittà inaugurés en 1937 (Ettore Fieramosca, 1938 ; Une aventure de Salvator Rosa, 1940 ; la Couronne de fer, 1941).