Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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URSS. (suite)

Cependant, vers 1963-64, cette renaissance artistique paraît s'essouffler et l'académisme revient en force dans les studios de Moscou et de Leningrad. Les autorités freinent une fois de plus l'ardeur de certains metteurs en scène. Curieusement, alors que Khrouchtchev avait permis en 1962 la publication de l'Ivan Denissovitch de Soljenitsyne et la parution du poème d'Evtouchenko les Héritiers de Staline, le « dégel » semble menacé dès la fin de cette même année. La peinture moderne se voit condamnée tout comme le film de Khoutsiev la Porte Illitch, qui ne sortira sur les écrans que dix-huit mois plus tard dans une version légèrement remaniée et sous le titre J'ai vingt ans. Andreï Tarkovski* voit la diffusion de son film (Andreï Roublev) longtemps différée dans son propre pays, alors même qu'il remporte un grand succès de prestige partout dans le monde. Tandis que Bondartchouk adapte consciencieusement un monumental Guerre et Paix, quelques individualités apparaissent : Sergueï Paradjanov*, Andreï Mikhalkov-Kontchalovski*, Gleb Panfilov*, Larissa Chepitko*, Mikhaïl Boguine*, Otar Iosseliani*. Ce seront les grands noms du cinéma soviétique de la décennie suivante. Paradjanov, après son Sayat-Nova (1968) qui l'impose comme un grand créateur insolite, original, poétique, connaîtra la disgrâce, les procès, la prison, avant de retrouver en 1984 seulement le droit de tourner un nouveau film. Andreï Mikhalkov-Kontchalovski (le Premier Maître, 1965 ; Oncle Vania, 1970 ; Sibériade, 1978), Gleb Panfilov (Pas de gué dans le feu, 1968 ; Début, 1970 ; Je demande la parole, 1975), Larissa Chepitko (les Ailes, 1966 ; l'Ascension, 1976) seront bientôt épaulés par Vassili Choukchine* (À bâtons rompus, 1972 ; l'Obier rouge, 1974), Nikita Mikhalkov (l'Esclave de l'amour, 1975 ; Cinq Soirées, 1978 ; Oblomov, 1979), Nikolaï Goubenko* (les Orphelins, 1976 ; De la vie des estivants, 1980), Elem Klimov (Agonia, 1975), Mikhail Belikov, Vadim Abdrachitov, Sergueï Soloviev, Vladimir Mendev. Quant à Tarkovski, il signe Solaris (1971), le Miroir (1974), Stalker (1979), Nostalghia (1983) avant d'opter pour un douloureux exil en 1984.

La diffusion du cinéma dans les républiques fédérées.

L'un des phénomènes les plus marquants de la seconde moitié des années 60, c'est sans aucun doute l'essor du cinéma dans toutes les républiques fédérées d'Union soviétique. Certaines d'entre elles, comme l'Ukraine, la Géorgie, l'Arménie, la Biélorussie, avaient déjà une tradition cinématographique nationale depuis le temps du muet, d'autres, comme le Kazakhstan, avaient accueilli des équipes de tournage contraintes de s'éloigner des studios de Moscou lors de la Seconde Guerre mondiale et avaient entrepris quelques productions lors des années 50. Mais, dès 1965, des réalisateurs de talent surgissent dans toutes ces contrées, aussi bien à l'Est qu'à l'Ouest, au Nord qu'au Sud : Vitautas Jalakiavicius*, Arunas Jebrunas, Marionas Gedris, Algimantas Pujpa en Lituanie ; Kalie Kiisk*, Grigori Kromanov, Juri Muur, Olev Neuland en Estonie ; Leonid Lejmanis, Aloiz Brentch en Lettonie ; Lev Goloub, Valeri Roubintchnik en Biélorussie ; Valeriu Gajiu, Emil Lotianou* en Moldavie ; Youri Ilienko*, Leonid Ossyka en Ukraine ; Tofik Tagi-Zade, Eldar Kouliev en Azerbaïdjan ; Tenguiz Abouladzé*, Revaz Tchkheidzé*, Otar Iosseliani*, Lana Gogoberidzé*, Eldar Chenguelaïa*, Gueorgui Chenguelaïa*, Merab Kokotchachvili, Irakli Kvirikadze, Mikhaïl Kobakhidzé en Géorgie, qui est l'une des terres cinématographiques les plus fertiles des années 70 et 80 ; Frounze Dovlatian, Guenrikh Malian en Arménie ; Ali Khamraev*, Eler Ichmoukhamedov* en Ouzbékistan ; Takhir Sabirov au Tadjikistan ; Khodjakouli Narliev* au Turkménistan ; Tolomouch Okeev*, Bolot Chamchiev*, Dinara Asanova en Kirghizie ; Eldor Ourazbaev et Abdulla Karsakbaev au Kazakhstan.

L'ouverture politique et la renaissance du cinéma.

Si les années Brejnev (que l'on nommera plus tard les années de la stagnation) ont permis à certains créateurs de s'exprimer lorsqu'ils n'abordaient pas un sujet social ou politique trop contestataire, elles ont aussi freiné dans leur élan les plus dynamiques parmi les metteurs en scène (Tarkovski, Paradjanov, Iosseliani, Panfilov). Aussi la venue des années Gorbatchev et l'arrivée de la perestroïka vont-elles considérablement modifier le paysage cinématographique en URSS. Repentir (réalisé en 1984, distribué en 1986) de Tenguiz Abouladzé a été sans doute l'hirondelle qui a annoncé le printemps de la libération. Cette violente attaque contre les dictatures en général et celle de Staline en particulier, largement diffusée en URSS et dans le monde entier, a entraîné une suite de mesures spectaculaires (les films « interdits » des années 60 — comme la Commissaire d'Aleksandr Askoldov ou Une source pour les assoiffés de Youri Ilienko — , ceux des années 70 — les œuvres de Mouratova, Guerman, le Thème de Panfilov — ont été soudainement « libérés »). Simultanément, une nouvelle vague de metteurs en scène, dont plusieurs avaient connu la censure ou l'étouffement pour leurs premiers essais, a pu s'épanouir et s'imposer dans la plupart des festivals internationaux : ainsi Aleksandr Sokourov* (les Jours de l'éclipse, 1988), Vassili Pitchoul (la Petite Vera, [Malenkaja Vera], id.), Karen Chakhnazarov (la Ville Zéro, [Gorod zero], 1989), Aleksandr Rogochkine (la Garde, [Karaul] id.), Serguei Bodrov* (la Liberté c'est le paradis, id.), Aleksandr Kaïdanovski* (la Femme du livreur de pétrole, id.), Konstantin Lopouchanski (Lettres d'un homme mort [Pisma mertvogo čeloveka], 1986), Ivan Dikhovitchnij (le Moine noir [Černyi monah], 1988), Viatcheslav Krichtofovitch, Sergueï Ovtcharov, Youri Mamine, Boris Froumine, Aleksandr Prochkine, Igor Minaiev, Arvo Iho, Valeri Ogorodnikov, Rachid Nougmanov, Timour Bablouani, Nana Djordjadzé ou Vitali Kanevski (ces deux derniers vainqueurs de la Caméra d'Or au festival de Cannes, la première avec Robinsonade en 1987, le second avec Bouge pas, meurs et ressuscite [Zamri, umi, voskreni] en 1990). De même, une brillante génération de documentaristes explore les drames du passé (Marina Goldovskaia, Semen Aranovitch) ou les inquiétudes de la jeunesse contemporaine (Youri Podnieks). Les années 1989-1990 avec le réveil des nationalités, les bouleversements de l'économie (le putsch du 19 août 1991) sont des années charnières : les monopoles (de la production et de la distribution) sont irréversiblement ébranlés, des coproductions avec l'étranger sont mises en place (Taxi Blues de Pavel Lounguine, par exemple, en 1990 avec la France), les figures de proue du cinéma qui ont été l'objet des attaques permanentes des idéologues en place et qui ont été des victimes célébres de la censure sont « moralement » réhabilitées (mais Tarkovski a disparu en 1986, Paradjanov en 1990). Une incertitude néanmoins pèse sur l'avenir : les lois impitoyables du commerce et de la rentabilité financière ne vont-elles pas détruire ou du moins fortement contrarier la liberté créatrice retrouvée ?