Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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EFFETS SPÉCIAUX. (suite)

C'est d'ailleurs pour éviter les étapes intermédiaires, préjudiciables à la qualité du résultat final, que l'on pratique parfois le travelling matte avec des caméras spéciales dotées, derrière l'objectif, d'un prisme diviseur qui dédouble l'image vers deux films distincts défilant en synchronisme. (À cette occasion, on a réutilisé les vieilles caméras Technicolor, inemployées depuis l'arrivée de l'Eastmancolor.) Un des films enregistre normalement l'image des comédiens. L'autre film, filtré de façon appropriée, enregistre uniquement l'image du fond, et fournit ainsi directement un cache. Les comédiens évoluent ici devant un fond soit bleu comme précédemment, soit éclairé en infrarouge ou en ultraviolet, soit encore (Mary Poppins) éclairé par des lampes à vapeur de sodium.

On notera que le dunning et la projection frontale, rangés plus haut dans les truquages de décor, peuvent tout aussi bien être regardés comme des procédés de travelling matte automatique.

Un cas particulier de cache mobile est celui des caches tracés à la main, vue par vue, d'après un agrandissement des images du film à truquer. La méthode a été notamment employée dans le Passe-Muraille (J. Boyer, 1951) pour faire disparaître Bourvil à mesure qu'il était censé pénétrer dans les murs.

L'image aérienne.

Différent dans son principe du cache-contre-cache, le procédé de l'image aérienne permet lui aussi de fabriquer des images composites. Un exemple fameux est la séquence d'Invitation à la danse (1956), où Gene Kelly, également réalisateur du film, danse avec des personnages de dessin animé. De l'autre côté des cellulos, par rapport à la caméra, un projecteur agrandissait l'image du film montrant Kelly et le décor, cette image agrandie venant se former dans le plan du cellulo. Là où le cellulo était transparent, la caméra voyait Kelly et le décor ; ailleurs, elle voyait les personnages du cellulo, dont la gouache occultait les rayons lumineux provenant du projecteur.

Les maquettes.

Fixes ou animées, les maquettes sont employées depuis les premières années du cinématographe. La réalisation est souvent fort délicate si l'on veut créer une illusion crédible, comme le prouvent a contrario certaines scènes de tempête en mer où les vagues éclatent sur les obstacles en projetant... des gouttes. Une façon d'améliorer la crédibilité est souvent de réaliser plusieurs maquettes de taille croissante : une à petite échelle pour les plans d'ensemble, une plus partielle pour les plans rapprochés, une très partielle — à échelle 1 — pour les gros plans. Un des problèmes à résoudre est celui de la perspective : vues par un objectif usuel, les maquettes ont le même aspect visuel qu'un objet de taille réelle vu par un téléobjectif ; une solution peut être apportée par des objectifs spéciaux de très courte focale, incorporés à un périscope qui permet de les faufiler entre les maquettes. Un autre problème est la cadence de prise de vues pour les maquettes de mobiles (trains, bateaux, etc.) : en règle générale, plus la maquette est petite, plus il faut ralentir le mouvement apparent.

De l'usage des truquages.

À l'instar du cache-contre-cache, les procédés rangés plus avant dans les truquages d'écriture ou de décor sont aussi bien utilisables comme trucs. Des exemples ont déjà été mentionnés (Top Hat, Peau d'âne). Bien d'autres pourraient être cités. Par exemple, c'est grâce à la marche arrière que l'homme invisible marchait dans la neige, les empreintes de ses pas étant effacées au fur et à mesure. Par exemple, la transparence a été abondamment employée dans King Kong, etc.

Les truquages vidéo.

La reproduction sur film d'images de télévision, avec tous les truquages que permet la technique télévisuelle, peut difficilement être considérée comme un truquage cinématographique, compte tenu notamment de la médiocre définition de l'image de télévision. Les truquages vidéo de qualité cinématographique se limitent aujourd'hui, pour l'essentiel, à l'incorporation dans le film d'images de synthèse (c'est-à-dire générées par ordinateur d'après les instructions de l'artiste), dans lesquelles les personnages sont éventuellement insérés par cache-contre-cache. Il s'agit toutefois d'un domaine où les choses évoluent très vite. Ainsi, de nouveaux standards de télévision fournissent une image dont la finesse se rapproche de celle du cinéma. Il est donc concevable que les techniques vidéo prennent dans l'avenir une place accrue, voire prépondérante. À la limite, on peut imaginer que les images portées par le négatif soient transcrites sous forme vidéo, truquées sous cette forme, et enfin reportées sur film pour l'exploitation en salle, ce qui périmerait nombre de procédés de truquage décrits précédemment.

Ce panorama des effets spéciaux ne prétend pas à l'exhaustivité, tant l'imagination a, dans ce domaine, la part belle. Il est rare, toutefois, que les techniques employées ne dérivent pas, peu ou prou, des procédés évoqués ci-dessus. Magic ride, film publicitaire français des années 60, montrait un couple évoluant sur une route aux places avant d'une voiture... invisible. Pour le spectateur averti, l'aspect de l'image excluait les truquages (cache-contre-cache, transparence, etc.) venant naturellement à l'esprit. Finalement, c'était par un système de miroirs et de prismes qu'était dissimulé, dès la prise de vues, le support sur lequel étaient installés les comédiens.

La description des procédés ne doit pas conduire à considérer les effets spéciaux sous l'angle simplement technique, même si la maîtrise de la technique est évidemment fondamentale. (Certains plans de films de truquage contemporains sont obtenus en mariant sur tireuse optique, par cache-contre-cache, jusqu'à 6 ou 8 éléments d'image distincts !) La réussite d'un film de truquages est liée à la capacité des cinéastes de combiner tout ce qui peut contribuer à la création de l'illusion. Combinaison des procédés de truquage, à l'intérieur du film ou à l'intérieur du plan. Combinaison, surtout, des divers moyens de l'expression cinématographique : bruitage (le crissement des chaussures dans la neige renforce la vue des pas de l'homme invisible), éclairage, maquillage, etc., jusqu'au découpage et au montage (les gros plans de l'héroïne effrayée rendent King Kong encore plus crédible).