Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
C

COMÉDIE AMÉRICAINE. (suite)

Chaplin devait faire école et son exemple inspirer d'autres réalisateurs comme Monta Bell, Clarence Badger (It, 1927) ou Harry d'Abbadie d'Arrast (Laughter, 1930), en qui on peut voir les premiers maîtres de la comédie américaine. (Monta Bell et Harry d'Arrast avaient d'ailleurs travaillé sur l'Opinion publique.)

L'âge d'or de la comédie américaine.

Le genre fleurit pendant toutes les années 30. On peut citer, parmi ses principales réussites, d'une part, côté « sophistiqué » : de Lubitsch, Haute Pègre (1932), Sérénade à trois (1933), Ange (1937), Ninotchka (1939) ; la Huitième Femme de Barbe-Bleue (1938) doit davantage à la comédie loufoque. De même que Cukor, avec Sylvia Scarlett (1935), Femmes (1939), Indiscrétions (1940), et Mitchell Leisen, Remember the Night (1940). Côté « screwball », on distingue d'abord les œuvres populistes, au premier chef celles de Capra : la Blonde platine (1931), New York-Miami (1934), l'Extravagant M. Deeds (1936), Vous ne l'emporterez pas avec vous (1938), M. Smith au Sénat (1939) ; et de McCarey : l'Extravagant Monsieur Ruggles (1935), Cette sacrée vérité (1937). Ensuite, un groupe d'œuvres indéniablement loufoques, mais se rapprochant davantage de la comédie sophistiquée, tant par le choix du milieu social que par le point de vue adopté, plus stylisé, voire distant ; elles sont signées surtout par La Cava : Mon mari le patron (1935), My Man Godfrey (1936), la Fille de la Cinquième Avenue (1939), Unfinished Business (1941) ; et par Mitchell Leisen : Hands Across the Table (1935), Easy Living (1937), la Baronne de minuit (1939).

On pourrait prolonger indéfiniment cette liste. Il suffira de mentionner encore Quelle joie de vivre ! de Tay Garnett (1938) et l'Impossible Monsieur Bébé de Hawks (id.). Quant à la parenté avec la comédie musicale de la même époque, notons que les films interprétés par Fred Astaire et Ginger Rogers se rapprochent, logiquement — encore que les éléments « screwball » n'y fassent nullement défaut —, de la comédie sophistiquée (par exemple le Danseur du dessus de Mark Sandrich, 1935, ou Sur les ailes de la danse de George Stevens, 1936) et les films chorégraphiés par Busby Berkeley, de la comédie loufoque populiste.

D'ailleurs, les distinctions de genres que nous avons esquissées reflètent aussi, au moins partiellement, des choix idéologiques. La comédie sophistiquée tourne en apparence le dos à l'actualité, à la réalité contemporaine de l'Amérique, à laquelle elle préfère l'« évasion ». La comédie populiste, au contraire, exalte l'« homme oublié » et, parmi les valeurs américaines traditionnelles, l'individualisme certes (voir la référence aux extravagants Deeds ou Ruggles), mais aussi la solidarité collective, la méfiance à l'égard des idéologies, bref le rooseveltisme : Capra et McCarey — ainsi que Busby Berkeley, ou encore Garson Kanin — défendent et illustrent l'esprit du New Deal. L'attitude qui veut que le progrès social dépende d'une prise de conscience individuelle (et non d'une réforme des structures) a été désignée comme la « fantaisie, ou le fantasme, de la bonne volonté » et vivement reprochée en particulier à Capra, jugé coupable d'optimisme naïf et sentimental. Il est vrai qu'en comparaison La Cava apparaît plus complexe, mais c'est qu'il est plus cynique ; son rire est plus grinçant. Le point de vue de Capra, comme celui de Roosevelt lui-même, est le résultat d'un choix délibéré, qui vise à redonner confiance (« Nous n'avons à craindre que la crainte »).

Le plus ouvertement politique des films de Capra est évidemment M. Smith au Sénat, satire, mais surtout, en dernière analyse, éloge de la démocratie américaine ; la séquence politique la plus mémorable du genre, la récitation par Charles Laughton (et dans le rôle d'un Anglais !) du discours de Lincoln à Gettysburg (Ruggles). Dans les deux cas, derrière la référence au républicain Lincoln, il n'est pas interdit d'apercevoir la silhouette du démocrate Roosevelt : le président élu incarne l'ensemble de la tradition américaine et le rejet des idéologies étrangères, fascisme ou communisme. Si La Cava lui aussi, tout en satirisant explicitement le capitalisme, tourne en dérision le communisme (voir la Fille de la Cinquième Avenue ou Living in a Big Way, 1947), c'est plutôt par cynisme que par idéalisme et foi en la démocratie : l'homme est trop veule pour renoncer à l'esprit de lucre. C'est, à nu, le message que Lubitsch habille d'un certain romantisme dans l'antisoviétique Ninotchka. King Vidor signe une autre comédie anti-communiste, Comrade X (1940). Avec les années 40, la comédie américaine se fait plus volontiers antinazie : To Be or Not to Be (Lubitsch, 1942), Lune de miel mouvementée (McCarey, id.).

Malgré ces incursions dans la politique planétaire, cependant, le décor de la comédie loufoque ne varie guère. Comme toile de fond, la dépression, la crise économique, les millions de chômeurs, les fortunes faites et défaites. Des oppositions criantes entre pauvres et riches, oppositions susceptibles de se renverser en un clin d'œil. Le thème le plus souvent traité est celui de Cendrillon, mais inversé : la jeune fille riche, l'« héritière fugitive  », doit échapper à son milieu pour retrouver naturel, simplicité, joie de vivre (et satisfaction sexuelle) grâce à un jeune homme d'humble extraction. On fait l'apologie de l'amour, moteur du brassage social ; on substitue la réconciliation à la lutte des classes et on fait l'économie de la révolution violente. Dans le détail, nuances, « touches » et commentaires colorent ce schéma général, que les auteurs présentent avec plus ou moins de conviction ou d'ironie. Chez le Capra de New York-Miami, avec Claudette Colbert et Clark Gable, on a la version du conte, au premier degré ; chez le La Cava de My Man Godfrey, en revanche, le faux clochard, véritable aristocrate (William Powell), finit par retrouver sa place « naturelle » dans la (bonne) société et par épouser quelqu'un qui est, malgré tout, « de son monde » (Carole Lombard).