Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
A

ANIMATION. (suite)

Presque au même moment et simultanément aux découvertes abstraites de Wassily Kandinsky, Arnaldo Ginna, l'un des protagonistes italiens du mouvement futuriste naissant, réalise plusieurs œuvres animées et abstraites peintes directement sur pellicule (Accordo di colore, Canto di primavera, les Fleurs..., en 1908-1910 environ). Il fait écho à la conviction de Baudelaire que « les parfums, les couleurs et les sons se répondent ». À partir de 1908 aussi, le cinéma d'animation connaît une évolution décisive sous l'impulsion du caricaturiste français Émile Cohl. Après avoir vu, en 1907, The Haunted Hotel de Blackton, il présente au Théâtre du Gymnase à Paris son premier dessin animé, Fantasmagorie (août 1908). Très bien accueilli par le public, il inaugure pour la première fois, avec le personnage du Fantoche, une série. Celle-ci, par son insurpassable qualité, fait de l'animation un art majeur. Inventeur également du flip-book, Émile Cohl explore en deux ans les multiples possibilités du cinéma d'animation : marionnettes, papier découpé, volumes animés, images colorisées. Son succès l'entraîne aux États-Unis dès 1912 où il travaille au développement du personnage de Snookums (Zozor en France). Ses films l'ont précédé sur le territoire américain dès 1909. L'Américain Winsor McCay, qui vient de prendre connaissance des films de Blackton, découvre cette année-là ceux de Cohl. On mesure à la fois l'extraordinaire et rapide « passage de témoins » dans ces années décisives et le rôle majeur que jouent les caricaturistes dans cette naissance du cinéma d'animation : Blackton vient du New York World, Cohl du Charivari, McCay du New York Herald . Déjà célèbre pour sa fantastique bande dessinée Little Nemo — l'une des premières à paraître en couleurs —, Winsor McCay décide de l'adapter à l'écran. Premier dessin animé de celui-ci et première adaptation d'une bande dessinée dans l'histoire du cinéma d'animation, Little Nemo est montré à partir d'avril 1911. Sa partie animée est colorisée manuellement. Grand moment de l'extravagance et de l'imaginaire fou, le film préfigure les grandes féeries musicales américaines des années 40. Empêché par son éditeur de réutiliser le personnage de Little Nemo, Winsor McCay n'en continue pas moins dans la voie tracée (Comment opère un moustique, 1912). En 1914, à New York, Winsor McCay crée avec Gertie le Dinosaure les prémices du spectacle interactif : l'animateur, sur scène, s'adresse à Gertie qui, sur l'écran, exécute ses ordres. Le Naufrage du Lusitania (1918), reconstitution documentaire animée de l'incident qui fit entrer en guerre les États-Unis, préfigure les actuelles reconstitutions télévisuelles animées de catastrophes. L'œuvre constitue l'apogée du travail de Winsor McCay – qui prend place parmi les fondateurs du cartoon.

Seconde génération.

Les années de guerre et la destruction massive du tissu industriel européen pénalise l'Europe au profit des États-Unis : au sortir de la Première Guerre mondiale, la suprématie américaine dans le cinéma d'animation s'esquisse puis s'affirme progressivement. Les premiers studios organisés sont ceux de Raoul Barré (fin 1913) puis de John Randolph Bray (1914). Le Raoul Barré Studio naît de la Biograph Company appartenant à Edison et réunit, un court laps de temps, quelques-uns des futurs pionniers du cartoon (Gregory La Cava, Frank Moser, Pat Sullivan). Surtout, il invente la perforation standard des feuilles de dessin, qui évite les « sauts » dans la succession des images. Puis John Randolph Bray (venue de Life, Puck et du Brooklyn Eagle), initialement stimulé par les créations de Winsor McCay, est remarqué pour The Artist's Dream (1913) par le producteur français Charles Pathé, alors dominant aux États-Unis. Sa commande de six films à John Randolph Bray permet à ce dernier de créer les Bray Studio (1914). Bray axe ses efforts sur l'innovation technique pour rationaliser et accélérer la production des dessins animés. Son alliance avec l'animateur Earl Hurd le rend codétenteur du brevet de celui-ci : invention capitale, le cellulo, ou cell, va peu à peu permettre la transformation du dessin animé en industrie. Une première application du procédé est utilisée dans Bobby Bump (1915). Il permet d'effectuer un traçage à la gouache sur des feuilles translucides. Le décor, qui jusque-là devait être redessiné à chaque dessin, désormais indépendant, s'en trouvera bientôt révolutionné. Les innovations de Bray se poursuivront jusqu'en 1920, date de la création d'un premier système industriel de mise en couleurs de l'image animée (Brewster Color), malheureusement peu fiable. En quatre ans, les studios américains se multiplient. Ils sont, en 1918, près d'une dizaine. En 1915, Raoul Barré se groupe avec le studio de Charley Bowers (du Chicago Tribune) pour tourner les aventures de Mutt et Jeff, deux héros de bandes dessinées. Bowers deviendra à partir des années 20 l'un des grands artisans du burlesque américain, mêlant savamment prise de vues réelles et tournages en volumes animés (Pour épater les poules, 1925). John Randolph Bray, quant à lui, crée les studios d'animation de la Paramount, avec le personnage du fermier Al Falfa de Paul Terry. Il est surtout l'employeur puis le producteur de Max et Dave Fleischer. Ceux-ci, après avoir inventé en 1915 le Rotoscope (breveté en 1917), créent une première série de films (Out of the Inkwell) à partir de 1919 qui inaugurent le règne d'une des premières grandes stars de l'animation : Koko le Clown, directement sorti de son encrier pour envahir les tables d'animation, dans un mélange débridé d'image par image et de prises de vues directes. La même année 1919, le dessinateur Otto Messmer met au monde, avec la collaboration du producteur Pat Sullivan, l'autre star de l'animation : Félix le Chat. Son style, d'une rare élégance, est d'une invention prolixe et audacieuse. La série existera jusqu'à la mort de Sullivan en 1932. Koko le Clown et Félix le Chat, dans des genres différents, symbolisent à eux seuls l'orientation suivie dès ce moment par le cinéma d'animation américain : focalisée par la caractérisation du personnage héroïsé, elle est celle du star-system. Son esthétique est définie par un jeu véloce de contrastes du noir et blanc où la densité de masses opposées et fluides domine. Le star-system a une logique dévorante. Il crée le besoin et son absorption : les années 20 sont, aux États-Unis, celles d'une course folle pour parvenir à imposer au spectateur le personnage le plus séducteur. Dès 1921, les frères Fleischer créent le Max Fleischer Studio. Il va devenir le studio américain dominant jusqu'à la veille de la Seconde Guerre mondiale, se posant, stylistiquement, en héritier de la caricature et donnant naissance, dans un premier temps à la mythologique Betty Boop, au chien Bimbo puis plus tard au Popeye d'Isidore Sparber, Seymour Kneitel et Dave Tendlar, d'après Elzie Segar. Il est bien difficile de suivre à partir de là et à la trace tous les embranchements de la filiation américaine de l'image par image. Paul Terry, séparé des Fleischer, se lance dans les Fables d'Ésope (1921) puis dans les Terrytoons (où débuta Tex Avery), qui furent dès lors développés par Mannie Davis et George Gordon (1930). Du syndicat de presse William Hearst et de la King Features naissent les aventures de Krazy Kat (par Frank Moser et Bill Nolan), qui connurent des rebondissements jusque dans les années 30... Dans ce contexte d'émulation apparaît, à partir de 1920, Walter Elias Disney qui commence, contrairement à ses prédécesseurs caricaturistes, dans la réclame publicitaire (Kansas City Film and Company). Il fonde à Kansas City, en 1922, avec son frère Roy, Laugh-o-Gram-Films, studio qui produira, avant de faire faillite l'année suivante, un court métrage de série prototype, mêlant la prise de vues réelles et le dessin animé, Alice in Wonderland.