Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
C

CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE. (suite)

En février 1968 éclate l'affaire Langlois. L'État a tenté, à plusieurs reprises, de couper en deux la direction de la Cinémathèque, laissant à Henri Langlois la direction artistique et mettant en place une direction administrative afin de régler les problèmes financiers et techniques, et de mettre de l'ordre dans la gestion. Langlois, refusant cette décision, est écarté de la Cinémathèque. Alors que le mouvement étudiant est en train de naître, une énorme campagne de protestation se met en place, exigeant un peu hâtivement le retour sans conditions de Langlois. Ce mouvement est appuyé par tout ce que le cinéma mondial compte de cinéastes prestigieux : Charles Chaplin, Orson Welles, Fritz Lang, etc. Le gouvernement recule et Langlois est réintégré, mais la subvention est réduite.

De 1968 à la mort de Langlois en 1977, la Cinémathèque française survivra, entourée d'un culte fervent, mais criblée de dettes. En 1974, Henri Langlois reçoit, à Hollywood, un Oscar, preuve nouvelle de son prestige. Après 1977, l'État renforce sa subvention, des assemblées générales de déposants se tiennent. Un nouvel incendie, dans un dépôt de la Cinémathèque, cause des pertes sans doute irréparables en août 1980.

Présidée par Costa-Gavras de 1982 à 1987, par Jean Rouch de 1987 à 1991, par Jean Saint-Geours de 1991 à 2000, par Jean-Charles Tacchella depuis 2000, la Cinémathèque française a renforcé et diversifié ses activités par des expositions temporaires, des conférences sur l'histoire de l'art cinématographique. Un effort particulier est entrepris en matière d'inventaire et de restauration des films et des appareils faisant partie de ses collections. Les collections « papier » (ouvrages, mémoires, scénarios, maquettes, photos, affiches...) sont traitées désormais par la Bibliothèque de l'image - filmothèque, créée en 1992 et rassemblant l'ensemble des collections « papier » du CNC, de la Cinémathèque française et de la FEMIS.

CINÉMATOGRAPHE.

Nom de marque, devenu nom commun, de l'appareil inventé par les frères Lumière. ( aussi INVENTION DU CINÉMA.)

CINÉMATOGRAPHE.

Ce terme apparut d'abord comme dénomination d'appareils brevetés par l'inventeur français Bouly en 1892-93. Mais c'est comme nom de marque de l'appareil Lumière ( INVENTION DU CINÉMA) qu'il passa à la postérité, devenant très vite un nom commun, synonyme de l'actuel cinéma.

Ce nom commun engendra :

— d'une part, les dérivés cinématographie (ensemble des méthodes et procédés mis en œuvre pour reproduire le mouvement par le film, en opposition à la vidéo ; cf. Centre national de la cinématographie), cinématographier (synonyme vieilli de filmer), cinématographique (dans la réglementation française, les salles de cinéma sont toujours appelées « théâtres cinématographiques »), cinématographiquement ;

— d'autre part, les diminutifs successifs cinéma et ciné.

CINÉMATOGRAPHER.

En anglais, autre façon de désigner le director of photography.

CINÉMATOGRAPHIE.

Ensemble des méthodes et procédés mis en œuvre pour reproduire le mouvement par le film. ( CINÉMATOGRAPHE.)

CINÉ-ŒIL (Kino-Glaz).

Théorie et méthode de travail mise au point, sous sa forme définitive, par le cinéaste soviétique Dziga Vertov en 1923 et qui milite en faveur d'un cinéma non joué, sans acteurs, dans lequel la fonction du montage et la spontanéité des prises de vues contribuent à une réorganisation idéologique du « monde tel qu'il est », du moins dans une optique marxiste.

Le Ciné-Œil a plusieurs origines.

— Il prend sa source dans les bouleversements qui touchent l'art moderne au début du siècle. En effet, futuristes, dadaïstes, écrivains et peintres emploient énormément, dans leurs travaux, des éléments qu'ils n'ont pas créés : le collage, l'assemblage d'objets, le photo-montage sont alors des méthodes esthétiques novatrices. On peut citer les cas de Duchamp ou de Rodtchenko.

— Le Ciné-Œil s'enracine aussi dans le propre passé de Vertov qui met sur pied en 1916 un Laboratoire de l'ouïe, lui permettant de promouvoir des recherches sur le montage des bruits. Il revient, à l'avènement du parlant, à ces pratiques qui l'autorisent à adjoindre au Ciné-Œil ce qu'il appelle la « Radio-Oreille ».

— La révolution d'Octobre et son entrée, dès 1918, comme rédacteur au Kino Nedelja (Ciné-semaine), le premier hebdomadaire soviétique d'actualités filmées, offrent enfin au cinéaste les bases idéologiques de son Ciné-Œil.

Théorie — un texte est déjà publié en 1919 — et pratique aboutissent à la formalisation des idées du Ciné-Œil dans les années 1922-23. Alors se crée le Conseil des Trois, qui, outre Vertov, comprend son épouse Elizaveta Svilova et son frère Mikhaïl Kaufman. Les participants de ce groupe qui s'élargit rapidement se dénomment les « Kinoks » ou « Kinoki » (littér. : kino, cinéma, et oko, œil ; d'où ce mot, désignant ceux qui pratiquent le Ciné-Œil). Vertov actualise ses théories dans les divers numéros de son magazine Kino Pravda (Cinéma-vérité) : il s'agit alors d'une référence explicite à l'organe du PC, la Pravda ; en ce sens, on peut le traduire par « ciné-journal ». (L'auteur n'envisagera ce terme dans son acception moderne que bien plus tard, entre 1922 et 1924.)

C'est en juin 1923 que paraît, dans le numéro 3 de la revue Lef, le manifeste du Ciné-Œil (« Kinoks-Révolution »). Dans ce texte, Vertov s'oppose au film narratif, aux acteurs, mais aussi au traitement paresseux appliqué aux « ciné-actualités » ; il préconise une réorganisation du monde visible grâce au montage. Le Ciné-Œil, pour l'auteur, c'est l'œil plus un cinéaste — un je vois plus un je pense ; un œil armé (la caméra qui voit mieux que l'œil humain).

Le montage se situe à toutes les étapes de la confection du film (pendant la période d'observation, après cette période ; pendant les prises de vues, après ces dernières ; enfin, montage final). La pratique du montage appliquée par Vertov ne concerne pas uniquement le domaine du plan mais touche aussi au mouvement entre les images, aux transitions entre les impulsions visuelles : c'est ce que le cinéaste appelle le « montage des intervalles ». Les événements ainsi organisés par le Ciné-Œil ne sont pas d'abord préparés, mis en scène, mais piégés à l'improviste, afin d'éviter toute tricherie avec le réel. « La vie saisie à l'improviste » (Žizn vrasploh) permet d'appréhender les gens et les choses sans fard. Il faut dissimuler « l'œil armé » afin qu'il passe aussi inaperçu que l'œil humain : sa grande acuité lui fait saisir des données imperceptibles à l'organe.