Poulaille (Henry)
Écrivain français (Paris 1896 – Cachan 1980).
Fils d'ouvriers, dans son combat pour une littérature prolétarienne qui soit l'héritière de l'anarcho-syndicalisme du XIXe s., il fut amené à critiquer l'art pour l'art, l'art social, le populisme traditionnel et le réalisme prétendument socialiste. Seule importe à ses yeux l'authenticité du jugement et de la description. Il a brossé une fresque de la vie ouvrière (le Pain quotidien, 1930 ; les Damnés de la terre, 1935) et a publié des ouvrages d'érudition et des essais.
Poulet (Robert)
Écrivain belge de langue française (Liège 1893 – Marly-le-Roy 1989).
Ce journaliste de droite donna, en 1931, avec Handji, l'un des chefs-d'œuvre du réalisme magique de l'entre-deux-guerres. De la même veine sont Ténèbres (1934), l'Ange et les Dieux (1942) et Prélude à l'Apocalypse (1944). Accusé de collaboration, il fut condamné à mort en 1945, puis libéré en 1951. Il se consacra ensuite surtout à l'autobiographie, à la critique et à l'essai (J'accuse la bourgeoisie, 1978), restant fidèle à son extrémisme.
Poulin (Jacques)
Romancier québécois (Saint-Gédéon-de-Beauce 1937).
Psychologue de formation, il commence son œuvre par un cycle de l'enfance (Mon cheval pour un royaume, 1967 ; Jimmy, 1969 ; le Cœur de la baleine bleue, 1970) où la tendresse le dispute à la violence sous toutes ses formes. La question de l'auteur et du « commis aux écritures » est au cœur de Faites de beaux rêves (1974), où une mystérieuse Limoilou côtoie deux frères, Amadou et Théo, en marge d'une course automobile de formule un. Dans les Grandes Marées (1978), composé de « morceaux de réel » faussement journalistiques, des visiteurs importuns envahissent l'espace insulaire d'un traducteur de bandes desinées. Volkswagen Blues (1984) est une traversée oblique de l'Amérique historique, géographique et culturelle, de Gaspé à San Francisco, par Jack Waterman (un nom de plume) et une Amérindienne. Si l'on peut faire des « lectures américaines » (Brautigan, Vonnegut, Carver...) du deuxième cycle des romans de Poulin, c'est une « lecture ralentie » qui convient aux trois récits intimistes écrits à Paris, mais situés autour du Saint-Laurent : le Vieux Chagrin (1989), la Tournée d'automne (1993), le Chat sauvage (1998).
Pound (Ezra)
Écrivain américain (Hailey, Idaho, 1885 – Venise 1972).
Poète, critique, traducteur, essayiste, dénonciateur de l'Amérique et du capitalisme, obsédé des âges classiques et des cultures hiérarchisées et homogènes, Pound a défini avec T. S. Eliot le modernisme américain. Sa vocation littéraire est en elle-même une vocation éthique, qui fait de l'écrivain le garant du mot juste et de la circulation légitime des connaissances et des valeurs. Cette vision économiste du langage se fonde sur une vision pour le moins originale des sociétés capitalistes. De son expatriation européenne (Londres, Paris, Venise), Pound entreprend ainsi de donner des leçons d'économie politique au monde occidental. L'écriture est un magistère, qui appelle le réseau des revues, l'influence de la correspondance, la concentration dans l'œuvre de toutes les époques, et l'obstination à identifier le créateur à l'esprit où s'assemblent les témoignages idéaux de l'humanité. Dans cet entêtement politique et didactique, Ezra Pound va jusqu'au fascisme : il participe, pendant la Seconde Guerre mondiale, aux émissions de Radio-Rome et, arrêté en 1945 par les autorités américaines, est interné, pour trahison, jusqu'en 1958. Les Cantos Pisans évoquent l'emprisonnement en Italie, opposant au constat de la claustration et du pouvoir l'ultime affirmation d'un « Ego scriptor », juge de l'histoire et guide de l'humanité. Or dire l'histoire, comme dans les Cantos, c'est remonter le cours de l'humanité pour retrouver le langage correct que le poète déchiffre dans les témoignages culturels et qu'il organise dans son œuvre. Cette approche de la transparence du langage, qui commande la reprise de l'idéogramme chinois, fait de l'écrivain à la fois un savant et le capteur de l'instantané. Telle est la leçon de l'imagisme : rendre le poème équivalent à la cristallisation d'une perception et la lecture égale à la stricte perception de l'objet. L'image est alors à elle-même sa propre objectivité et riche d'une charge émotionnelle et intellectuelle. Le vorticisme ajoute à cette esthétique de la précision et de la concision la référence à l'énergie, qui invite à interpréter l'écriture comme un jeu de coalescence. Les premiers recueils poétiques (A Lume Spento, 1908 ; Personae, 1909-1926 ; Hugh Selwyn Mauberley, 1920) illustrent l'inspiration imagiste, le refus de la civilisation philistine, la mission du poète de rendre compte de son temps et de le sacraliser. Ni l'imagisme ni le vorticisme ne se confondent avec une sorte d'impressionnisme. Si le poème surgit du néant de l'inarticulé, il est un moment magique, une percée dans le quotidien : l'exactitude du langage touche à la pérennité des dieux. L'hétéroclité des Cantos (commencés en 1915, achevés en 1972) n'est pas celle d'une compilation, d'un jeu de citations et de collages, mais celle de l'actualité, toujours reprise de la composition et de la lecture ; le texte procède par révélations, tentant de défaire l'insondable de l'histoire et l'obscurité des langages et des temps. La poésie est à la fois une cure et une axiologie. Écrivain et lecteur sont, par le jeu de la persona, acteurs de la scène intemporelle du langage correct. L'évocation des figures passées ne correspond pas tant à l'appréhension du développement historique qu'au dessin d'un univers mental, pour toujours présent. La variation des temps et des langages conduit à un spectateur unitaire. L'écriture du spectacle du présent continu, du cosmopolitisme et de la tradition sans cesse recomposée rappelle toujours l'isolement du moi, mais elle fait interpréter cet isolement comme la forme de l'unité où le monde, par le jeu de la perception, de la mémoire, des rappels légendaires, historiques, littéraires, afflue et devient lui-même unité. Pound, essayiste (l'Esprit des littératures romanes, 1910 ; ABC de la lecture, 1934), critique de la civilisation (Guide de la kulture, 1938 ; Impact, 1960), dénonciateur de l'usure, traducteur de Cavalcanti et de Gourmont, du japonais et du chinois, commentateur de Confucius, ne cesse de légitimer son entreprise poétique, et de tenter de définir un système apte à corriger l'ordre des valeurs. La dénonciation du capitalisme est celle d'une injustice sociale et de la régulation symbolique de la société par l'argent. Contre cet abus, Pound entend retrouver un Tout de la loi, fondée sur les valeurs qu'il attribue aux sociétés agraires et moteur de son adhésion au fascisme de Mussolini. L'ABC de l'économie (1933) ne se sépare pas de l'ABC de la lecture (1934) : au mot juste doit correspondre un prix juste. L'entreprise poétique se confond avec la recherche d'une économie générale et d'une historiographie, inscrite dans les Cantos, qui échappe à la loi de l'usure. L'utopie d'un langage correct porte ainsi le secret souhait de déplacer l'Amérique, de la ramener à une forme d'agrarianisme, de faire que l'histoire ne soit pas advenue. Cela se lisait déjà dans l'esthétique imagiste : la cristallisation de l'instant est révocation de la durée. S'il y a une folie du poète, elle est dans cet effort, proprement impérial et mégalomaniaque, pour tirer du poétique le pouvoir de réformer la nécessité de l'histoire.