Corée (suite)
Le roman
Période ancienne
Comme pour la poésie, les premiers témoignages, écrits en chinois classique, se trouvent dans des textes beaucoup plus tardifs tels que les Récits de l'époque des Trois Royaumes (1279) ou la Chronique des Trois Royaumes (1145). À cette époque, on ne peut pas encore parler de roman. Les spécimens de prose apparemment les plus anciens sont les légendes et les mythes concernant les anciens royaumes de Corée, tels que celui de Tangun, le Grand Ancêtre, père des Coréens, ou de Kija, le Civilisateur, porteur de la culture chinoise. Toutefois, on trouve dans ces mêmes chroniques, sous l'appellation de chon (biographie), de brèves notices consacrées à des personnages célèbres et dont beaucoup frappent par le caractère vivant de leurs descriptions et l'art du récit. C'est le cas des « vies » de Pak Chesang (vers 426), modèle du vassal fidèle jusqu'à la mort, ou des généraux Ulchi Mundok (vers 612) et Kim Yu-sin (595-673).
Période moyenne
L'évolution vers le roman se poursuit à l'époque de Koryo avec les P'aegwan sosol (récits des fonctionnaires appelés p'aegwan). Ces p'aegwan étaient chargés par la cour de recueillir les anecdotes et les histoires étranges circulant dans le peuple. Ce genre subit aussi l'influence des littératures chinoises Tang puis Yuan. Le premier exemple de ces recueils d'histoires est l'Histoire du nuage blanc de Yi Kyu-bo (1168-1241). On trouve aussi le Recueil des œuvres de Yi Sang-guk (1251) par Yi Kyu-bo, le Recueil divertissant (1254) par Ch'oe Cha (1188-1260) et le Recueil pour chasser l'ennui par Yi Il-lo (1152-1120), compilé en 1210 ou 1214. On note également toute une série d'histoires dont le personnage principal est la personnification d'un objet : ainsi Histoire du vin (1170) par Im Ch'un, à qui l'on doit aussi l'Histoire d'une pièce de monnaie ; l'Histoire de Maître la Levure par Yi Kyu-bo ; l'Histoire de la femme en bambou par Yi Kok (1298-1351) ; l'Histoire du papier par Yi Ch'om (1345-1405). Ces objets personnifiés permettaient de critiquer indirectement les maux de l'époque et les travers des contemporains.
Période moderne
Il faut attendre la dynastie des Yi pour trouver le premier vrai roman : Nouvelles Histoires de la tortue d'or, écrit par Kim Si-sup (1435-1493). Cette œuvre composée de cinq récits diffère sur deux points importants des précédentes : l'action se situe en Corée alors qu'auparavant les histoires se passaient invariablement en Chine avec des personnages chinois ; la fin est tragique, contrairement aux récits antérieurs où, sous l'influence de la morale confucianiste, il faut toujours un heureux dénouement. Kumo shinhwa a cependant été écrit en chinois classique. Son auteur a été le dernier écrivain coréen à oser écrire que l'amour à lui seul constituait un motif suffisant pour se marier. La deuxième étape du roman coréen est marquée par l'Histoire de Hong Kiltong, de Ho Kyun (1569-1618), premier récit écrit en hangul. Cette œuvre, très influencée par le roman Ming, à commencer par Au bord de l'eau, donne une place importante à la critique sociale. Avec les œuvres de Kim Man-jung (1637-1692), le Rêve des neuf nuages et le Récit du voyage vers le Sud de Dame Sa, le roman coréen classique est à son zénith. Le premier de ces textes, fortement influencé par le bouddhisme, est construit autour de l'idée que la vie n'est qu'un rêve ; le second dissimule derrière la critique du système des concubines une attaque contre le roi Sukchong (r. 1674-1720), qui bannit la reine pour faire plaisir à une favorite. Mais tout le monde s'accorde pour voir dans l'Histoire de Ch'unhyang, écrite au XVIIIe s. par un auteur inconnu, le chef-d'œuvre du roman coréen classique : l'œuvre montre comment l'amour entre Yi Mongyong, un jeune aristocrate, et Ch'unhyang, fille d'une kisaeng, parvient à surmonter les barrières sociales et à triompher de la corruption des fonctionnaires. Parmi les autres variantes du roman coréen, il faut citer le roman satirique et humoristique, représenté par Pak Chi-won (1737-1805) qui, dans les Fonctionnaires, critique l'hypocrisie de la société confucianiste, ainsi que le roman historique et patriotique inspiré par les deux invasions de la Corée et dont le plus célèbre est la Chronique de l'année Imjin (1592, date de l'invasion japonaise), dont l'auteur est inconnu. Très intéressants non seulement du point de vue de l'histoire mais aussi par la langue, les romans de cour relatent les intrigues du palais : le Kyech'uk ilgi, qui évoque la période allant de 1609 à 1623, l'Histoire de la reine Inhyon et, surtout, la Chronique des jours de chagrin, écrite par la princesse Hyegyong (1735-1815) et consacrée à la vie tragique de son mari, le prince Sado, psychopathe que le roi son père fit étouffer dans un coffre en 1762. Signalons enfin l'existence de romans policiers (kong'an sosol) et d'histoires de fantômes telles que l'anonyme Kim Won chon (Histoire de Kim Won, XVIIIe s.). À partir du XIXe s., le roman coréen classique entre dans sa période de déclin.
Le théâtre
Le théâtre en Corée n'a jamais connu le développement qu'on lui connaît en Chine ou au Japon. On trouve des germes de représentations théâtrales dans les fêtes qui accompagnaient les actions de grâce aux divinités antiques mais, de bonne heure, l'élite des lettrés s'opposa farouchement à ce genre de spectacle : le théâtre traditionnel en Corée est donc essentiellement folklorique et populaire. Théâtre de masques et de marionnettes, il critique crûment la classe dirigeante ainsi que le clergé bouddhiste. Les formes les plus connues de ce théâtre sont la danse de masques de sandae, celle de Haeso dans le nord de la Corée et celle de Hahoe dans le sud. La même critique sociale se retrouve dans le théâtre de marionnettes, kkoktukaksi. Ch'unhyang chon et d'autres romans célèbres sont issus d'un genre théâtral populaire, le p'ansori, ou « récit chanté ». C'est un spectacle à deux personnages : le kwangdae, sorte de trouvère, et un musicien qui l'accompagne au tambour et l'encourage de la voix.
La littérature coréenne moderne (avant 1945)
Caractéristiques générales
La littérature coréenne moderne voit le jour à l'une des périodes les plus sombres de l'histoire du pays. Sous les coups combinés de la pénétration économique des puissances étrangères et des luttes de factions, la monarchie et la société traditionnelle sont en pleine décomposition ; la menace de colonisation japonaise se précise. L'apparition d'un « nouveau roman » (sin sosol) et d'une « poésie nouvelle » (sinsi) représente l'effort désespéré des intellectuels coréens pour sauvegarder non seulement leur langue et leur culture mais aussi le peuple et la nation. Dans une première période (1880-1905), la Corée découvre la littérature occidentale. Vient ensuite l'époque des pionniers : Yi In-jik (1862-1916), qui publie en 1906 le premier roman moderne, Larmes de sang ; Ch'oe Nam son (1890-1957), fondateur en 1908 de la première revue littéraire Sonyon (les Jeunes), où il publie les premiers poèmes modernes ; Yi Kwang-su, qui donne à la jeune prose coréenne ses premières œuvres de qualité. À ce stade, il s'agit surtout d'une « littérature du sermon » qui veut propager les idées occidentales et inciter les lecteurs à se rallier à la modernisation. Au cours de la troisième période (1919-1922), de jeunes auteurs regroupés autour de la revue Ch'angjo (Création) essaient de donner à la littérature naissante une véritable qualité esthétique et y parviennent, comme le romancier Kim Tong-in (1900-1951). À cette date, la Corée a déjà été annexée par le Japon et les jeunes auteurs fuient leur réalité de colonisés, dans le symbolisme, le romantisme, l'imitation du style « décadent » que l'on trouve dans leurs productions, essentiellement poétiques, qui paraissent dans les revues P'yeho (Ruines), fondée en 1920, et Paekcho (Marée blanche), créée en 1922. En réaction contre cette attitude défaitiste, d'autres écrivains, rassemblés autour de la revue Sin Kyonghyang (Tendances nouvelles), fondée en 1923, vont employer comme arme le naturalisme : ainsi Yom Sang-sop (1897-1963), Hyon Chin-gon (1900-1943) et Ch'oe So-hae (1901-1933). Ce mouvement se poursuivra jusqu'à la fin des années 1920 avec la « littérature prolétarienne », mais l'impossibilité d'agir et la poigne de fer de l'administration japonaise détournent les écrivains des idéologies de l'époque. C'est le retour à la Corée de toujours, à la beauté immuable de ses paysages, au petit peuple des campagnes, symbole de ses vertus et de ses traditions, avec Kim Yu-jong (1908-1937), Pak Tae-won (né en 1909), Kim Tong-ni (né en 1911). Inmun P'yongnon (Critique de la culture), créée en 1938, et Munjang (Littérature), fondée en 1939, seront les deux dernières revues à voir le jour. La guerre du Pacifique va faire entrer la littérature coréenne dans la nuit. Les Japonais interdisent les publications en langue coréenne, obligent les Coréens à prendre des noms japonais ; parler coréen en public est puni de prison.