États-Unis (suite)
La critique littéraire
Très influente depuis la Seconde Guerre mondiale, la critique américaine se fonde sur la reprise d'innovations européennes (notamment en linguistique, en philologie, en grammaire et en sémiotique) pour faire évoluer le travail littéraire vers plus de rationalité, de normativité et de méthode. Les critiques américains donnent de nouvelles lectures des classiques, plus systématiques et pragmatiques, qui permettent une évaluation des tendances et une approche des développements littéraires modernes et postmodernes. Quatre noms doivent ainsi être cités : Erich Auerbach, Noam Chomsky, Roman Jakobson et Michael Riffaterre.
La littérature afro-américaine
Elle se caractérise par des thèmes et des formes qui reflètent l'expérience spécifique et l'acculturation ambivalente des descendants d'esclaves africains. L'enracinement de cette littérature dans l'oralité, matrice historique du peuple noir en diaspora, conduit à présenter une vision critique de l'Amérique vilipendée pour ses pratiques d'oppression raciale. La tradition orale propose des héros noirs, symboles de résistance écrasés par des forces supérieures ou plus rarement vainqueurs par leur ruse. Cette littérature présente aussi des personnages en quête du savoir et de la maîtrise de l'expression qui garantiront leur liberté. Surtout en poésie, l'écriture a volontiers recours au dialecte, aux rythmes du parler de la plantation ou du ghetto présentés dans une transcription parfois phonétique ; la performance et la déclamation y jouent un rôle essentiel, comme dans le cas du groupe des « Last Poets ».
Les formes populaires sont les plus anciennes : l'univers sacré de l'esclave a suscité les spirituals, qui enracinent la poésie dans la Bible. Les blues se font le véhicule d'une protestation sociale explicite tout en chantant les thèmes universels de l'amour, du sexe et de la mort. La ballade campe des héros légendaires comme Casey Jones ou John Henry, le surhomme affronté à la machine, ou des « méchants » comme Stagolee, dont la démesure détruit innocents et persécuteurs. Cette production populaire et orale est restée très vivace et les écrivains ne se privent pas, tel Ralph Ellison dans son roman l'Homme invisible (1952), de puiser dans le folklore le matériau de leurs œuvres.
Imitant d'abord les écoles européennes, la littérature afro-américaine commence à l'époque révolutionnaire avec la poésie de Phillis Wheatley. Puis viennent les pamphlets politiques et abolitionnistes, les récits de fugitifs et les drames. Protestation en termes mesurés et désir de se montrer l'égal du Blanc caractérisent les romans de l'élite, « the talented tenth », jusqu'au début du XXe siècle. Dans la mouvance de la Renaissance de Harlem aux années 1920, l'image du nègre brutal et primitif ou infantile que proposait la « littérature de la plantation » se trouve supplantée par celle de l'Africain naturel, non corrompu par la civilisation. Suivant l'exemple de W.E.B. DuBois, les écrivains du mouvement « Nouveau Noir » (titre de l'anthologie-programme préparée par Alain Locke en 1925) chantent une Afrique mythique et idéalisée, comme Countee Cullen, ou bien réhabilitent le parler des rues, celui des blues de Langston Hughes, sans toutefois échapper aux clichés d'un Harlem à la mode, « paradis des nègres » débordant de joie de vivre et de rythmes de jazz.
La crise économique des années 1930 et l'engagement politique expliquent la force d'un courant réaliste, voire prolétarien, où la critique de l'Amérique capitaliste et raciste se fait explicite et violente. Il culmine avec Richard Wright, dont l'Enfant du pays (1940) et Black Boy (1945) inspirent tout un groupe de romanciers « réalistes sociaux » notamment Chester Himes, avant qu'il se spécialise dans les policiers) et conduisent Ralph Ellison et surtout James Baldwin à se définir, par opposition, comme des célébrants de la richesse de l'expérience noire. Baldwin s'y efforce dans les Élus du Seigneur (1952), mais se trouvera amené à l'engagement par le Mouvement des droits civiques dont il devient le chantre dans les années 1960.
Le théâtre noir connaît alors son apogée avec les drames polémiques de LeRoi Jones (l'Esclave ; Métro fantôme, 1964), les rituels d'Amiri Baraka (nouveau nom de Jones) et d'Ed Bullins qui prônent une esthétique en rupture avec le monde des « diables blancs ». La poésie se fait plus stridente et proche du jazz comme chez Gwendolyn Brooks. À partir de 1970, on voit le reflux de ce militantisme et l'éclosion de formes expérimentales, en même temps que la reprise d'une écriture plus classique. Dans ses parodies inspirées de la culture populaire et des médias, tel Mumbo-Jumbo (1972), Ishmael Reed propose pourtant à l'effondrement des valeurs occidentales une contre-mythologie « soul ». Charles Wright, William Melvin Kelley et Clarence Major expérimentent audacieusement dans la voie du postmodernisme, tandis qu'Ernest Gaines recrée en termes faulknériens la Louisiane de sa jeunesse. Les romanciers James Alan McPherson, John Wideman, Leon Forrest, Al Young mêlent la fresque sociale à la dénonciation apocalyptique. En poésie, Michael Harper semble continuer l'œuvre classique de Robert Hayden. Parmi les meilleures représentantes d'une littérature féminine, Toni Morrison avec le Chant de Salomon (1977), Alice Walker, Gayl Jones, Maya Angelou, June Jordan s'interrogent sur les rapports entre libération raciale et libération sexuelle.
Depuis la Renaissance de Harlem, la littérature noire des États-Unis se préoccupe de son insertion dans le contexte de la diaspora noire, de ses rapports avec les cultures des Caraïbes, de l'Afrique moderne, du tiers-monde. Pourtant, si le succès commercial de Racines (Roots, 1976), d'Alex Haley, ressortit à une quête de ses ancêtres autant qu'à une mode, les écrivains noirs contemporains en tant que groupe sont amenés à explorer, outre leurs spécificités ethniques, la mesure de leur américanité.
L'influence chicano
Le terme désigne la minorité d'origine mexicaine installée aux États-Unis, principalement en Californie, en Arizona, au Nouveau-Mexique, au Texas. Le contraste de la culture indolatine et de la culture protestante suscite des images tantôt racistes (le Chicano paresseux, immoral, inférieur), tantôt attentives aux milieux populaires (Steinbeck, Hemingway, Saroyan). Une littérature folklorique en espagnol (pastorales, contes, corridos) exprime les thèmes traditionnels mexicains et le heurt avec la société dominante. Des écrivains américains (Gertrude Atherton, Willa Cather, Stephen Crane) y puisent un certain régionalisme, mais d'autres (Kerouac, Conrad Richter) voient dans le Chicano le visage du frère mal-aimé. Après la Seconde Guerre mondiale, une littérature mexico-américaine bilingue apparaît avec José Luis Villareal, qui constate dans son roman Pocho (1959) l'échec de l'assimilation, avec César Chávez, nouvelliste, et Luis Valdez, fondateur du Teatro Campesino en Californie (1965).
La littérature juive-américaine
Définir ainsi une littérature par une référence ethnique et religieuse et la rapporter à la langue nationale pose le problème de la mesure utile pour identifier cette littérature juive d'expression anglophone : cadre proprement théologique ? formulation des idéaux du judaïsme ? ou, plus généralement, notation du judaïsme en termes d'imagologie, d'identité ethnique ou religieuse de l'écrivain ? Ces questions soulignent les divers modes d'insertion d'une littérature minoritaire dans la littérature nationale : il s'agit de littérature américaine, même si certaines thématiques, telles l'aliénation et l'expérience existentielle historique, peuvent être renvoyées à des préoccupations récurrentes dans la tradition juive. Les débats sur la littérature juive, à partir des années 1950, traduisent de fait un changement du traitement de la figure de l'Autre et de la conscience de l'altérité dans la littérature américaine. Cet autre, le Juif, qui n'est ni le Noir, ni l'Indien, mais le Blanc, exhibe la fracture de l'ego américain, auquel les références judaïques fournissent des types de représentation adéquats. La littérature de la minorité devient expression de la condition de la majorité de la nation. Philip Roth, Saul Bellow jouent explicitement, dans leurs romans qui disent l'aventure de l'écrivain juif, de cette propriété emblématique de la référence judaïque, ultime moyen de totaliser la réalité nationale et universelle à partir de l'impouvoir, ultime façon de noter le croisement des références culturelles et d'établir que la pertinence littéraire et culturelle de l'écriture juive relève d'une généalogie mêlée : par là, cette écriture devient le seul témoin authentique de la littérature américaine. Cette aptitude à la pertinence porte en elle-même une histoire : de l'évocation première du ghetto et des immigrés jusqu'à l'individu problématique de Saul Bellow ou de Bernard Malamud, la référence juive articule peu à peu sur le portrait de l'individu le renvoi à l'homme universel. Dans la variété même des types de récit, le jeu de la pertinence mêle la parabole au roman d'éducation, le réalisme au kaléidoscope picaresque : la dualité de l'assimilation et de l'assertion de l'identité propre fixe une ambivalence qui permet ces échanges formels et une vision double du réel – intérieure et extérieure. Cette ambivalence empêche que le thème de l'Autre ne soit confondu véritablement avec celui de l'absurde ou de l'étrangeté radicale. La malchance du personnage juif, le « shlemiehl », reste inséparable de l'affirmation des possibilités humaines : ainsi chez Saul Bellow, l'intellectuel juif qui a, par son intellectualisme, partie liée avec le négatif, est encore un pouvoir d'affirmation.