France (XVIIIe siècle) (suite)
Les mutations des genres et des formes
La poésie
La poésie du XVIIIe s. est méconnue et mal aimée. Elle occupa pourtant une place importante qu'on s'efforce de réévaluer. Une époque rationaliste peut-elle réussir en poésie ? Voltaire même se pose la question. On cultive encore les grands genres antiques : l'épopée (la Henriade de Voltaire, 1728, qui vaut certainement mieux par ses idées que par ses vers, on s'aperçoit que les Français n'ont pas la tête épique), l'ode (Jean-Baptiste Rousseau, Lefranc de Pompignan, Écouchard-Lebrun dit Pindare, Malfilâtre). Mais ce sont les petits genres qui s'imposent ; les élégances de la poésie fugitive et les éclairs de l'esprit : l'églogue (appréciée à la cour de Sceaux, défendue par Fontenelle), la chanson (Florian écrit le célèbre « Plaisir d'amour », Fabre d'Églantine la non moins célèbre romance « Il pleut, il pleut » qui raillait en fait les bergeries à la mode), le conte en vers (Ververt de Gresset), la fable avec, entre autres, l'abbé Aubert et Florian (« l'Aveugle et le paralytique »), l'épître (Voltaire, Sedaine), et les épigrammes et épitaphes qui firent la renommée de Piron.
La poésie descriptive illustrée par Saint-Lambert, Roucher et Delille s'appuie sur le goût pour la nature et l'intérêt pour l'observation. Parny écrit des poèmes érotiques, ses Chansons madécasses seront mises en musique par Ravel. André Chénier pratique la poésie scientifique et l'élégie (« La jeune Tarentine »). Si le vers s'essouffle et se stérilise parfois dans des clichés, une prose poétique riche d'avenir émerge au XVIIIe s. (Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre).
La tragédie
La forme, noble et vénérée, persiste. Les œuvres de Corneille et Racine sont souvent représentées. On essaie toutefois de renouveler la thématique du genre sans pouvoir empêcher son déclin. Crébillon père, rival de Voltaire, veut remplacer l'ancienne terreur par une « horreur » plus violente (Atrée et Thyeste, 1707). Houdar de La Motte privilégie l'émotion et propose l'abandon du vers (Inès de Castro, 1723). Voltaire écrit des tragédies philosophiques qui dénoncent le fanatisme religieux (Mahomet, 1741).
Shakespeare est traduit par Letourneur (1776-1783) et adapté par Ducis. Voltaire avait subi son influence (Zaïre, 1733), mais trouvait son goût barbare. Mercier le défend (Du théâtre, 1773). La tragédie subit la concurrence du drame et ne parvient pas à restaurer le sens du tragique.
La comédie
Elle s'écrit à l'ombre tutélaire de Molière et elle est le domaine exclusif des deux grands auteurs les plus marquants Marivaux et Beaumarchais. Face au théâtre français gardien de la tradition classique, les théâtres de foire et le théâtre italien, puis l'opéra comique, permettent l'émergence d'écritures nouvelles ancrées sur d'autres modes de représentation. Conformément à leur inspiration, la parodie, la parade, le proverbe dramatique connaissent un bel essor et trouvent souvent refuge dans les théâtres de société. Dans les tentatives de renouvellement, on peut retenir trois formes dominantes.
La comédie moralisante, en faveur au début du XVIIIe s. veut « corriger les mœurs » et « décrier le vice », avec Boursault Ésope à la cour, 1701), Campistron le Jaloux désabusé, 1709) et Destouches le Philosophe marié, 1727 ; le Glorieux, 1732).
La comédie larmoyante dans les années 1730-1750 soumet le comique au pathétique et à l'émotion. Issue de la comédie moralisante à la Destouches, elle se développe avec Nivelle de La Chaussée (Mélanide, 1741 ; le Préjugé à la mode, 1735) en peignant des conflits moralisés et sentimentaux. Voltaire lui-même imita La Chaussée, et Nanine ou le Préjugé vaincu est un des meilleurs exemples du « genre » dans lequel s'illustrèrent aussi Landois et Mme de Grafigny (la Fille d'Aristide, 1759).
La comédie sérieuse définie par Diderot (Entretiens sur le fils naturel, 1757) constitue un genre intermédiaire entre la comédie et la tragédie traditionnelles : grave et pathétique, elle défend une thèse morale. Les meilleurs exemples du genre sont dus à Sedaine (le Philosophe sans le savoir, 1765) et à Beaumarchais (Eugénie, 1767).
Le roman
Il est à la fois maudit et triomphant. Les censeurs le suspectent, les lecteurs le plébiscitent. La Bibliothèque universelle des romans (1775-1789) publie de nombreux extraits. Les Aventures du chevalier de Faublas (1787, 1788, 1790) de Louvet de Couvray est une œuvre divisée en épisodes annonçant le feuilleton. Le succès permet l'écriture de séries.
Le genre a divers avatars dans le siècle. Robert Challe, dans les Illustres françaises (1713), propose un romanesque « sérieux ». Lesage adopte le roman picaresque espagnol avec son Histoire de Gil Blas de Santillane (1715-1735). On assistera au succès du roman-mémoires (Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, Prévost, 1731) qui procure l'illusion de la vérité et promeut des personnages humbles (le Paysan parvenu, Marivaux, 1734-1735). Le roman épistolaire (Montesquieu, Rousseau), à une voix ou à plusieurs, sentimental ou séducteur, correspond bien à la demande d'identification et de sincérité des lecteurs, et à la rouerie des auteurs (Laclos). Le roman gothique, ou roman noir, venu d'Angleterre (Walpole) a des analogues français (Baculard d'Arnaud, Loaisel de Tréogate, Sade). La veine sentimentale a été pratiquée par tous les romanciers du siècle. La traduction de Pamela et de Clarisse Harlowe de Richardson comblera les âmes sensibles. Le fantastique s'affirme dans le Diable amoureux de Cazotte (1772).
Le conte
La forme brève du conte proche de la vivacité de l'oral correspond à l'esprit des Lumières. Diderot réfléchira aux différentes sortes de contes. Le conte exotique (Gueullette) ou oriental permet des évocations licencieuses (Crébillon, Duclos, Sabatier de Castres). Il y a des contes poissards (Caylus), des contes médiévaux (Tressan) et bien sûr des contes pour enfant (Mme de Genlis, Berquin). Marmontel va créer le genre conformiste et édifiant du conte moral. Contre les fables des « imposteurs », Voltaire propose le conte philosophique : « Je voudrais que, sous le voile de la fable, il laissât entrevoir aux yeux exercés quelque vérité fine qui échappe au vulgaire », dit-il dans le Taureau blanc (1774). Le conte se mêle souvent au genre du dialogue (Diderot). Cette symbiose est caractéristique de l'époque.
La lettre
Multiforme, plastique, propre à l'anecdote comme à la dissertation, la lettre, publique ou privée, est très pratiquée. On trouve de nombreux « secrétaires » qui enseignent les règles de son écriture. Les lettres des écrivains circulent et sont publiées. La correspondance de Voltaire est monumentale ; celles de Diderot et de Rousseau sont passionnantes. C'est au XVIIIe s. qu'on fait paraître les lettres de Mme de Sévigné (1725-1754).
Le XVIIIe s. a dû gagner sa place dans l'histoire littéraire. Michelet fit une provocation en l'appelant le Grand Siècle. Dans l'histoire des idées, on ne cesse de discuter le rôle de la raison des Lumières, de Cassirer à Adorno. Le XVIIIe s. est bien vivant par ces perpétuelles réévaluations critiques et par la présence, dans les débats de notre époque, des valeurs qu'il a définies et illustrées. On n'a pas fini d'explorer les facettes de sa sensibilité. Sa littérature peut nous séduire encore par son éclectisme créateur, ses inventions, ses styles.
Littérature française de la Révolution
La presse et l'éloquence
La révolution de 1789 fut ressentie par les contemporains comme une gigantesque prise de parole. À un Ancien Régime qui contrôlait de près toutes les formes d'édition et de communication succédait la liberté de la presse et des théâtres. Alors que l'éloquence sous la monarchie était limitée à la chaire religieuse, au barreau, aux collèges et aux académies, elle redevint un mode d'action politique. La tradition classique entretenait le souvenir plus ou moins mythique des cités grecques et de Rome, où la vie politique consistait en débats publics et en assauts rhétoriques. La plupart des orateurs de la Révolution française furent formés dans ces collèges qui cultivaient l'éloquence antique. Ils étaient souvent avocats et membres d'académies nationales ou provinciales. La parole révolutionnaire mêla la tradition antique aux modes sensibles du temps. Les périodes calquées sur la phrase latine allaient de pair avec une recherche de l'effet sur la sensibilité des auditeurs. À tous les niveaux de la vie publique, depuis le club de base jusqu'à l'Assemblée nationale, chacun fut appelé à donner son avis et à écouter celui des autres. Les salles furent installées pour recevoir un public. Les grands acteurs de la Révolution ont imposé, avec une politique, leur style de parole. Mirabeau se fit remarquer par son sens de la formule ; il savait faire préparer ses discours par une équipe de secrétaires et improviser pour tenir compte des réactions de l'auditoire. Barnave, partisan d'une monarchie parlementaire, Vergniaud, Girondin, Danton et Robespierre, Montagnards, ont tous une formation d'avocat. Condorcet, homme de sciences, est habitué aux exposés académiques. Les uns ont plutôt une éloquence écrite, ils préparent leurs interventions et les rédigent minutieusement. Les autres, comme Danton, sont plus confiants dans leur verbe et dans leur magnétisme personnel. Saint-Just enfin, compagnon politique de Robespierre, fascina ses contemporains et la postérité par sa jeunesse, son austérité et la rigueur de ses discours.
Parallèlement à cette prise de parole, on assista à un foisonnement de brochures, pamphlets et journaux. Chaque tendance politique eut son organe d'expression qui relayait les interventions oratoires de ses ténors, de l'Ami du roi de l'abbé Royou jusqu'à l'Ami du peuple de Marat. Entre ces deux antagonistes, on note les Actes des apôtres, auxquels collabora Rivarol, le Journal de Paris, où écrivirent André Chénier et Roucher, le Journal des amis de la Constitution de Choderlos de Laclos, orléaniste, les Révolutions de Paris, proches de Mirabeau, le Patriote français de Brissot, les Révolutions de France et de Brabant puis le Vieux Cordelier de Camille Desmoulins. Le Père Duchesne de Hébert se caractérisa par une affectation de langage populaire et grossier et ses positions politiques extrémistes. La Gazette nationale ou le Moniteur universel, lancé par Panckoucke, publiait un compte rendu complet des séances de l'Assemblée et devint un journal officieux sinon officiel, favorable au régime en place. Ces feuilles eurent des fortunes diverses et certains titres ne connurent que quelques numéros. Au fur et à mesure que la Révolution fut confrontée à des tensions internes plus violentes et à des menaces extérieures plus pressantes, les gouvernements successifs eurent tendance à restreindre la liberté de la presse. Le gouvernement de salut public sous la Terreur, mais aussi les thermidoriens, le Directoire et, pire encore, le Consulat réduisirent l'expansion journalistique des premières années de la Révolution. Certains journaux d'opposition royaliste éliminés en France se reconstituèrent à l'étranger dans les milieux émigrés.