Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
M

Murry (John Middleton)

Écrivain anglais (Londres 1889 – Bury Saint Edmonds, Suffolk, 1957).

Directeur de revues littéraires, il est l'auteur de biographies critiques (Dostoïevski, 1916 ; Souvenirs sur D. H. Lawrence, 1931 ; Shakespeare, 1936 ; Swift, 1954). Ses tentatives de vie communautaire, sa dévotion à son épouse, Katherine Mansfield, dont il assura la publication de nombreux inédits, font de ce pacifiste chrétien, attiré un temps par le marxisme, l'un des précurseurs du renouveau religieux utopique.

Musa (Salama)

Critique égyptien (près de Zagazig 1887 – Le Caire 1958).

Après des études à Londres et à Paris, il revint en Égypte, profondément influencé par Shaw, Wells et la Fabian Society, mais aussi par Marx, Darwin et Spencer, pour fonder en 1920 un parti socialiste et en 1929 la revue al-Majalla al-jadîda. Se consacrant à la propagation des idées darwino-spencériennes en Orient, il prôna également une simplification de la langue arabe et même une latinisation de son écriture. Il a marqué toute une génération d'intellectuels égyptiens, dont Luwîs 'Awad et Najîb Mahfûz, qui débuta dans al-Majalla al-jadîda. Il a laissé une cinquantaine d'ouvrages variés, parmi lesquels des essais et des Mémoires (l'Éducation de Salâma Mûsâ, 1924 ; Aujourd'hui et Demain, 1928).

Musaraj (Shevqet)

Écrivain albanais (Vlorë 1914 – 1986).

Il commença à écrire dès les années 1930 et s'affirma pendant la Seconde Guerre mondiale grâce à des articles littéraires, reportages ou pamphlets politiques, et un long poème satirique, l'Épopée du Front national (1944). On lui doit depuis de nombreux ouvrages, poèmes, nouvelles ou romans, décrivant, sur un ton souvent humoristique, la nouvelle société socialiste Llaz Qesarati, 1959 ; C'était moi, Çobo Rrapushi, 1960 ; Lumière, 1973) ou reprenant les événements de la dernière guerre (Avant l'aube I, 1965 ; Avant l'aube II, 1966 ; Nouvelles, 1975).

Musäus (Johann Karl August)

Écrivain allemand (Iéna 1735 – Weimar 1787).

Précepteur puis professeur à Weimar, il y fréquente Herder, Goethe et Wieland. Dans ses romans satiriques, il s'attaque aux ridicules de ses contemporains, en particulier à la mode du sentimentalisme introduite par Richardson (l'Allemand Grandison, 1760-1762 ; repris dans Grandison Second, 1781-82) et à l'engouement pour les théories de Lavater (Voyages physionomiques, 1778-1779). Il reste connu comme prédécesseur des frères Grimm, puisqu'il a recueilli, transcrit et publié huit volumes de contes et légendes populaires (Contes populaires des Allemands, 1782-1786).

Muschg (Adolf)

Écrivain suisse-allemand (Zollikon 1934).

La sagacité dont fait preuve dans des essais de ce professeur de germanistique (études sur G. Keller et Goethe, 1980 et 1987) ne cesse de provoquer la hargne de ses compatriotes : Cinq Discours d'un Suisse à sa nation qui n'en est pas une (1997) remet en cause le mythe d'une Helvétie peuplée de justes. Ses romans érudits et virtuoses  prônent l'écriture comme succédané de la vie (l'Été du lapin, 1965 ; l'Impossible Enquête, 1974 ; Bayoun ou le Voyage en Chine, 1980) et témoignent d'un talent de conteur incisif (Visite en Suisse, 1978 ; Corps et vie, 1981 ; le Chevalier rouge, 1993 ; le Bonheur de Sutter, 2001).

Mushanokoji Saneatsu

Écrivain japonais (Tokyo 1885 – id. 1976).

Né dans une famille noble, il perdit son père à 2 ans. Ayant subi dès l'adolescence l'influence de la pensée chrétienne et des idéaux humanitaires de Tolstoï, il contribua en 1910, avec Shiga Naoya, à la fondation de la revue Shirakaba, qui chercha à opposer un humanisme positif à la sombre vision du monde des naturalistes japonais. En 1918, il fonda une communauté utopique appelée « Nouveau village ». Parmi ses très nombreuses œuvres, on peut citer : Un garçon né coiffé (roman, 1911), l'Amitié (récit, 1919), Vive l'homme ! (théâtre, 1922), et Maître Sincère (roman, 1949-1950).

Musil (Robert)

Écrivain autrichien (Klagenfurt 1880 – Genève 1942).

Issu d'une vieille famille de Carinthie (son père sera anobli en 1917), il fut envoyé dans une école militaire (d'où il sortit officier), mais il se tourna vite vers les sciences appliquées (ingénieur en 1901, il devint assistant à l'université technique de Stuttgart), puis vers la philosophie (il suivit, à Berlin, des cours de logique et de psychologie expérimentale et soutint, en 1908, une thèse sur le physicien-philosophe empiriocriticiste Ernst Mach).

La démarche scientifique comme modèle

Cette formation « pluridisciplinaire » l'amena à tenter une synthèse originale : transposer en littérature, domaine du mouvant et de la subjectivité, la rigueur de la démarche scientifique – qui précisément à cette époque découvrait que l'univers n'avait plus la simplicité de la mécanique et de la physique classiques. Le monde de Boltzmann et de Max Planck, aléatoire et probabiliste, ne peut être « traduit » par une vision univoque et une écriture linéaire : Musil s'efforce de transposer cette vision « ouverte » des choses dans le domaine psychologique et littéraire. Dans cette recherche, l'écrivain est amené à réévaluer le rapport entre le sentiment et l'analyse rationnelle. Musil s'en prend ainsi aux belles-âmes et aux idéalistes de toutes sortes qui clament qu'il faut « moins d'esprit et plus de sentiment ». Il dénonce l'absurdité de cette revendication et s'attache à montrer que la seule façon d'atteindre une plus grande richesse de sentiment passe par un surcroît d'intelligence et de lucidité. Aussi ses romans mêlent-ils situations émotionnelles fortes (amour, sexualité, états extatiques) et réflexions.

   Le premier récit de Musil, les Désarrois de l'élève Törless (1906), combine déjà fiction narrative, description d'un microcosme social et digressions philosophiques. Incorporant au récit de nombreux éléments autobiographiques, l'auteur y raconte la découverte de la sensualité par un adolescent, au sein d'un internat militaire. La sensualité ambiguë de son camarade Basini plonge Törless dans la région obscure de l'âme où naissent à la fois le désir et la cruauté. Les nouvelles de Noces (1911) et de Trois Femmes (1924) entreprennent une analyse clinique de l'univers du sentiment et de la sexualité féminine : le vivant exige pour être transcrit une forme ouverte et suggestive ainsi qu'un langage imagé, supposant à la fois compréhension et distance. À travers cette « ironie constructive » percent les éléments constants du mythe personnel : la fascination pour l'androgyne, la prédilection pour les situations limites, les comportements pathologiques, les figures de la remise en cause de l'ordre. Musil a mis beaucoup de lui-même dans Ulrich, l'antihéros de l'Homme sans qualités, qui réalise son fantasme d'une « vivisection de l'esprit ». Trois volumes de plus de mille pages (Une manière d'introduction et Toujours la même histoire, 1930 ; Vers le règne millénaire, ou les criminels, 1932 ; Fragments posthumes, 1943) n'ont pas suffi à fixer une réalité difficilement cernable. Un monde en mutation, dont l'ébranlement intellectuel, politique et idéologique s'opère dans toutes les couches de la société, ne pouvait qu'aboutir à une œuvre inachevée.

   Musil transcende les genres littéraires pour s'efforcer de poser clairement des problèmes sans imposer de solution. À l'inverse de ceux qui, à son époque, acceptent tout des Églises mais rien de la foi, Musil poursuit « une entreprise religieuse sans dogmatisme ». Le refus de l'aliénation et du conformisme, la confiance dans la possibilité d'appliquer à l'irrationnel des méthodes quantifiables de contrôle et d'élucidation débouchent sur l'utopie d'une synthèse entre la vie et la pensée, le rationnel et l'irrationnel. L'art, conçu comme un formidable instrument de connaissance complémentaire des sciences exactes, est avant tout un laboratoire éthique, dans lequel peuvent s'esquisser de « nouvelles solutions à de très anciens problèmes ». Le roman notamment, genre hybride par essence, autorise en son sein la confrontation des discours, produisant ce que Bakhtine appelle le « dialogisme expérimental ». Le héros de Musil tient à la fois de l'« homme du souterrain » de Dostoïevski et du M. Teste de Valéry. Être double, il est apte à saisir la double dimension du monde : logique et visionnaire, intelligente et sensible, réfléchie et instinctive. Toute sa vie, Musil tente de rendre compte de cette richesse contradictoire de l'humain dans une oeuvre qui comporte de nombreux essais (l'Obscène et le malsain dans l'art, 1911 ; l'Homme mathématique, 1913 ; Esquisse de la connaissance de l'écrivain, 1918), des pièces de théâtre (les Exaltés, 1921 ; Vincent et l'Amie des personnalités, 1923), ou des œuvres en prose (Œuvres préposthumes, 1936).