Derème (Philippe Huc, dit Tristan)
Poète français (Marmande 1889 – Oloron-Sainte-Marie 1941).
Il joua dans sa jeunesse un rôle actif dans le groupe des poètes fantaisistes (le Renard et le Corbeau, 1905 ; le Tiroir secret, 1908), dont il conservera l'ironie sentimentale (la Verdure dorée, 1922) jusque dans ses « exercices de style » en prose ou en vers (l'Enlèvement sans clair de lune, 1924 ; la Tortue indigo, 1937).
Derjavine (Gavriil Romanovitch)
Poète russe (Kazan 1743 – Zvanka, vers Novgorod, 1816).
Ses premiers vers, influencés par Lomonossov et Soumarokov, lui valurent un certain renom, mais il connut le triomphe avec son ode à Catherine II, mi-louangeuse mi-satirique, Felitsa (1783). Ses odes constituent des méditations philosophiques sur la mort (Ode sur la mort du prince Mechtcherski, 1779), l'instabilité des destinées humaines (la Cascade, 1791-1794), le sentiment religieux (Dieu, 1784). Ces pièces de circonstance sont néanmoins originales en ce qu'elles reflètent le tempérament du poète, dont le lyrisme personnel trouve son épanouissement pendant sa période anacréontique : lassé de ses fonctions officielles, il se retire dans sa propriété et chante, à la manière d'Horace, les charmes de la vie dans l'Invitation à dîner (1795), l'Éloge de la vie à la campagne (1798) ou la Vie à Zvanka (1807). Derjavine fut un novateur en ce qu'il apporta au classicisme la touche de sentiment et de réalisme qui le rendit familier au lecteur russe.
Dermée (Camille Jansen, dit Paul)
Écrivain belge de langue française (Liège 1886 – Paris 1951).
Il fonda à Liège la Revue mosane, puis s'établit en France et collabora à Sic et à Nord-Sud. Il publia des poèmes modernistes (Spirales, 1917 ; Films, 1919). Directeur avec Ozenfant et Le Corbusier de l'Esprit nouveau (1920), il fut aussi un pionnier de la radio (premier journal parlé en 1924), tout en illustrant l'« esprit nouveau » par ses recueils poétiques (le Volant d'artimon, 1922).
Déry (Tibor)
Écrivain hongrois (Budapest 1894 – id. 1977).
Ayant participé aux mouvements révolutionnaires de 1918 et de 1919, il doit s'exiler à Vienne, puis à Paris et en Italie, avant de rentrer en Hongrie, où il sera emprisonné pour avoir traduit (1938) le Retour d'U.R.S.S. de Gide. C'est en 1947 qu'il publie son premier grand roman, la Phrase inachevée, vaste fresque de la société hongroise de l'entre-deux-guerres. Opposé au gouvernement de Rákosi, il devient un des chefs du mouvement des écrivains qui contribue, en octobre 1956, à l'insurrection dirigée contre le régime (Niki, 1956). Condamné à neuf ans de prison, mais libéré en 1960, il publie, en 1964, un roman de tonalité satirique et fantastique, M. G. A. à X., suivi, en 1966, par l'Excommunicateur, qui exprime le scepticisme de l'homme révolté déçu par l'action politique. Ses nouvelles (Amour, 1963 ; Jeu de bascule, 1969 ; la Princesse de Portugal, 1969) évoquent les problèmes sociaux et politiques hongrois. Ses derniers récits, plus ironiques (Cher Beau-Père, 1974) ou plus nostalgiques (Reportage imaginaire sur un festival pop américain, 1972) évoquent la solitude de l'homme dans le monde contemporain.
Des Autels (Guillaume)
Écrivain français (Vernoble, Montcenis, 1529 – 1581).
Poète de la Pléiade au nombre de la première Brigade, il fut admiré par Ronsard et Pontus de Tyard. Auteur de plusieurs recueils de vers (le Moy de may, v. 1548 ; le Repos de plus grand travail, 1550 ; l'Amoureux repos, 1553), il engagea une polémique avec le grammairien Louis Meigret sur la réforme de l'orthographe française (Traité touchant l'ancien orthographe françois, 1548, et Réplique aux furieuses défenses de Louis Meigret, 1551). Il imita aussi la veine rabelaisienne dans la Mitistoire barragouyne de Fanfreluche et Gaudichon (1574).
Des Forêts (Louis-René)
Écrivain français (Paris 1918 – id. 2000).
Son intérêt précoce pour la littérature l'amène à publier quelques textes dans des revues éphémères de la fin des années 1930, époque de ses études de droit et de sciences politiques durant laquelle il se lie à plusieurs poètes, dont La Tour du Pin. Après la défaite de 1940, il s'engage dans la Résistance et compose un récit, les Mendiants (1943), qui remet en cause le romanesque traditionnel, fondé sur la progression d'une intrigue, au profit de trente-cinq monologues produits par onze personnages, empêchant le développement de l'aventure. Cette veine est confirmée et amplifiée par le Bavard (1946), dont les questionnements sont proches de ceux de Beckett ou de Blanchot (un intime, qui donnera une postface à la version remaniée de l'ouvrage, en 1963) : le narrateur éponyme n'a rien à dire, mais cherche à dire ce rien ; l'exercice logorrhéique d'« une parole vaine » exhibe la fausseté du langage et destitue le concept de communication. Dans ce roman « ontologique » (tel que son auteur l'a lui-même défini), l'authenticité relative du sujet est indissociable du mensonge et s'y révèle indirectement, par un déplacement et une condensation qui ne sont pas sans rappeler deux des principes majeurs de la psychanalyse. De fait, si « le récit, chez Des Forêts, se présente d'abord comme une manifestation d'éloquence » (Pingaud), c'est que « la parole est la vérité » (Lacan), ce qui revient à dire non seulement que le langage est la condition de l'inconscient, mais aussi que la vérité de l'être est dans son expression. L'immersion passionnelle et angoissée dans ses ruses, ses ratés et ses manques, est fondatrice des Voies et détours de la fiction (1985), désormais impossible.
De ce point de vue, il n'est pas fortuit que Des Forêts se soit après le Bavard enfoncé dans un mutisme qui est presque un renoncement à l'écriture : il se consacre à la peinture, fréquente ses amis (parmi lesquels Queneau et Bataille), s'engage politiquement par la création du Comité contre la guerre d'Algérie (1954) puis la signature du Manifeste des 121 (1960). Ne viennent guère briser son silence littéraire qu'un recueil de nouvelles (la Chambre des enfants, 1960) et un bref volume (les Mégères de la mer, 1967). Tandis que le premier se joue d'identités labiles, la virtuosité métrique du second souligne la permanence d'un rapport avec la musique et renoue ainsi, sur le terrain poétique, avec le lyrisme des Mendiants, que l'écrivain mélomane désigne comme « la fable à onze figures vocales » dans les fragments autobiographiques (et autofictifs) d'Ostinato (1984-1997). À l'instar de ce que l'on observe chez Hopkins, dont Des Forêts a partiellement traduit la correspondance (1976), l'alliance de l'« extraordinaire profusion lyrique » et de « la plus subtile concision » génère la beauté (« pouvoir exprimer, par une concentration de plus en plus grande des éléments rythmiques, la pulsation intérieure, la scansion de l'être »). À ce degré d'intensité, la beauté fait plus que toucher aux rives du silence : elle y trouve son paramètre essentiel. Prise par le rêve de tout saisir dans et par le langage, l'œuvre fait de la rétention le vrai signe de la maîtrise. Le dernier texte de Desforêts, Pas à pas jusqu'au dernier (2001), est une méditation sur la mort à venir.