Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
V

Vinet (Élie)

Humaniste et polygraphe français (Saint-Médard de Barbézieux, Charente, 1509 – Bordeaux 1587).

Issu d'une famille de laboureurs, il fit ses études à Angoulême, à Poitiers, puis à Paris. Nommé en 1539 régent au collège de Guyenne à Bordeaux, il partit, en 1547, avec quelques autres Français au Portugal pour y fonder un collège. Revenu à Bordeaux en 1549, il fut principal du collège de Guyenne de 1562 jusqu'à sa mort. Philologue, il traduisit et commenta les auteurs anciens (Théognis, Cicéron, Ausone) ; on lui doit notamment une étude critique d'Ausone, faite à partir d'un manuscrit retrouvé par lui (Ausonii opera, 1575-1580). Il s'intéressa également à la géométrie (Definitiones Euclidis, 1575) et à la logistique (De logistica, 1573). Les ouvrages qui contribuèrent le plus à sa célébrité sont le fruit de longues recherches sur les origines de plusieurs villes : l'Antiquité de Bordeaux et de Bourg (1564), les Recherches sur l'Antiquité d'Angoulême (1567), l'Antiquité de Saintes (1568).

Vion Dalibray (Charles)
ou Charles D'Alibray

Poète français (Paris v. 1600 – 1665).

Cet ami de Saint-Amant fit partie du groupe poétique des Illustres Bergers avec Godeau, Colletet et quelques autres. Traducteur de l'italien et de l'espagnol (l'Examen des esprits pour les sciences de Huarte), passionné de musique et de peinture, il appartient au monde libertin et l'influence de la poésie élégiaque de Théophile se fait sentir sur son écriture (les Œuvres poétiques du sieur Dalibray, divisées en vers bachiques, satyriques, héroïques, amoureux, moraux et chrétiens, 1653).

Viret (Pierre)

Prédicateur et théologien protestant suisse (Orbe 1511 – Orthez 1571).

Protestant, il prêcha dans diverses villes de France, puis à Lausanne, dont il réussit à convertir l'ensemble de la population. Après avoir prêché à Genève de 1559 à 1561, il revint en France et se fixa dans le Béarn, où Jeanne d'Albret, reine de Navarre, l'avait invité à enseigner la théologie au collège d'Orthez. Il est l'auteur d'opuscules innombrables, tous composés dans un but pastoral et tous consacrés à des questions de religion ou de morale. Le plus célèbre d'entre eux est un catéchisme dialogué : l'Instruction chrétienne (1564).

Virgile, en latin Publius Vergilius Maro

Poète latin (Ier s. av. J.-C.).

Avec une œuvre exclusivement poétique et relativement peu étendue, Virgile n'a cessé d'exercer une influence profonde sur la poésie et la culture européennes pendant toute l'Antiquité, mais aussi bien aux Temps modernes de Dante à Valéry. Père de l'Occident, a-t-on dit quelquefois. L'Antiquité nous a transmis un certain nombre de Vies de Virgile ; d'autre part, commentateurs, grammairiens expliquent volontiers par des circonstances biographiques la composition ou tel détail des poèmes ; mais tous ces documents sont sujets à caution.

   Virgile est né dans la civitas de Mantoue, et les Vies lui attribuent une origine rurale qui s'accorderait au caractère de sa poésie, la vie urbaine, dans toute son œuvre, étant toujours évoquée avec aversion ou effroi ; la date traditionnelle de 70 av. J.-C. n'est pas certaine. Études à Crémone, à Milan, nous dit-on, sans doute un voyage ou un séjour à Rome. Il se trouve à Mantoue en 42 av. J.-C., au moment où des malheurs imprévus, conséquence des guerres civiles, vont s'abattre sur des cités restées jusqu'alors paisibles. Partout les paysans sont dépossédés de leurs biens au profit de vétérans qu'il faut payer de leurs services. Ces drames vont le toucher profondément ; peut-être exproprié lui-même, il aura, vers 38 av. J.-C., quitté son pays, dont il garde, dans les Géorgiques, la vive nostalgie. Après un essai pour se fixer à l'autre extrémité de l'Italie – il s'en souviendra dans la peinture du « vieillard de Tarente » (Géorgiques, IV, 125) –, il finit par s'établir en Campanie. S'il ressort des derniers vers des Géorgiques qu'il est à Naples en 29 av. J.-C., un récit d'Horace (Satires, I, 5) invite à faire remonter cette installation jusqu'en 37 av. J.-C. Il y entre en rapport avec les épicuriens de la ville, se lie plus étroitement avec Horace, avec L. Varius Rufus, qui sera un de ses exécuteurs testamentaires, peut-être avec Philodème, tous poètes et philosophes, dont il retiendra le thème de la recherche du bonheur, l'aversion pour les tracas où la vie se disperse, l'amour du loisir, le culte de l'amitié, une forme de religiosité particulièrement concrète et ne répugnant pas à l'anthropomorphisme pour traduire l'expérience de la proximité des dieux, et enfin une sorte de monisme qui, aux antipodes du dualisme platonicien, constitue d'éléments uniques bêtes, hommes et dieux, voire les plantes et les rochers.

Les Bucoliques

Ce recueil comprend dix poèmes composés entre 42 et 37 av. J.-C. Virgile a emprunté le cadre pastoral de ces églogues aux Idylles de Théocrite, mais les chants de ses bergers évoquent une réalité plus complexe. Alors que les églogues III, VII, VIII reprennent le thème de la joute amoureuse propre à la poésie grecque, les échos de la guerre civile (églogues I et IX), de la mort de César (églogue V), du retour de l'âge d'or (églogue IV) appartiennent à la réalité contemporaine et la VIe bucolique s'apparente à la poésie cosmique. L'ensemble de l'ouvrage se présente comme une montée de l'homme, à travers les épreuves et les souffrances de l'amour, jusqu'à l'harmonie idéale avec la nature, tandis que l'auteur affirme ses choix littéraires en prenant progressivement ses distances avec l'esthétique des Alexandrins : en témoigne l'exercice virtuose de la Xe bucolique qui parodie les règles de l'élégie à travers le plus illustre de ses représentants, Cornelius Gallus.

   Le recueil présente un idéal de vie rustique et simple. Le chant y est amébée, c'est-à-dire alterné par couplets qui se répondent, chacun recevant les suggestions de son partenaire pour les incorporer à son chant, faire mieux, monter plus haut et, à son tour, offrir à l'émotion de son ami l'occasion d'un plus noble élan. Mais les convulsions de la politique, les prestiges de la ville viennent désorganiser cet univers vraiment humain. Plus gravement encore, il arrive que les chanteurs ne s'accordent pas, que l'homme dévoré par une indigne passion ne sache plus rien recevoir de ses amis ni de la Nature. La Nature elle-même peut se faire dangereuse : si l'homme ne sait pas s'accorder à elle dans une noble exaltation, elle l'égare en mille vertiges et le ramène à l'animalité. Les Bucoliques ne se donnent cependant pas comme une œuvre intemporelle. Elles sont une protestation contre les malheurs injustifiés des paysans, la revendication de leur qualité d'hommes, l'apologie de leur civilisation. Jamais, dans la littérature antique, on n'avait lu rien de tel ; le paysan y était l'homme âpre au gain, crispé sur ses avoirs, ou le balourd, le niais dont on s'amuse.

Les Géorgiques

Dans ce poème didactique en 4 chants, composés entre 39 et 29 av. J.-C., Virgile s'inspire à la fois des poètes Hésiode et Lucrèce, des agronomes Caton et Varron, pour écrire l'épopée du travail humain, et plus particulièrement à la campagne, réalisant ainsi une œuvre conforme à l'idéologie augustéenne qui prônait le retour aux valeurs traditionnelles. Le chant I dresse le calendrier des travaux des champs et évoque la culture du blé ; le chant II traite de la vigne et de l'olivier ; l'élevage du bétail fournit le thème du chant III, et les abeilles celui du chant IV. Un cinquième chant, ayant pour sujet le jardinage, était prévu, mais ne fut jamais écrit. Chaque chant comporte de longues digressions qui constituent à elles seules des œuvres poétiques achevées : les présages annonçant la mort de César (chant I), l'éloge de l'Italie et de la vie rurale (chant II), la vie des nomades (chant III), la légende d'Aristée et le mythe d'Orphée et Eurydice (chant IV). Les Géorgiques sont surtout le poème de l'homme qui par son travail tenace fait de la nature le lieu d'un âge d'or à venir : en ce sens, le triomphe sur l'adversité et la mort est moins incarné par Orphée et l'exaltation poétique que par l'homme des champs Aristée, sa patience et son obéissance aux rythmes naturels comme à la volonté divine. Si la parenté avec les Bucoliques est apparente, l'œuvre n'en est pas moins très différemment orientée : les Bucoliques offraient le spectacle d'une harmonie réalisée ou qui eût été possible – sa destruction ou sa corruption n'en sont que plus poignantes ; les Géorgiques parlent de travail, d'effort, non plus de repos, de poésie ou de contemplation. Les Bucoliques répondaient à un moment d'extrême espérance (la paix semble assurée par la victoire définitive des héritiers de César), suivi d'une accablante rechute (les héritiers de César ne s'entendent pas, la guerre recommence, l'Italie est déchirée). Puis l'espoir a revécu, mais différent ; peut-être pourra-t-on reconstruire, mais ce sera long, et la seule chance de l'homme est dans son travail obstiné : « C'est ainsi qu'a grandi la puissante Étrurie, et Rome parvenue au faîte de ce monde » (Géorgiques, II, 533). Ce n'est pas un hasard si le nom de Mécène est mêlé à l'histoire des Géorgiques, sans doute dès l'origine.