Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
C

Camus (Jean-Pierre)

Évêque et écrivain français (1584 – 1652).

Évêque de Belley à 24 ans, il fut l'un des plus fervents disciples de saint François de Sales et s'engagea dans les principales controverses de son temps, comme en témoignent ses ouvrages d'édification et de théologie (Parénétique de l'amour de Dieu, 1608 ; Traité de la réformation intérieure, 1631). Il se lança dans le projet paradoxal de combattre l'influence pernicieuse du récit de fiction en écrivant lui-même une série de romans édifiants, au rythme de 3 ou 4 par an, pour y insuffler l'élan vers Dieu, élaborant ainsi une poétique fictionnelle ambiguë de la dévotion (la Mémoire de Darie, 1620 ; Aristandre, 1624 ; Palombe, 1625 ; la Pieuse Julie, 1625 ; Cléoreste, 1626 ; Marianne ou l'Innocente Victime, 1629). Ses histoires dévotes et ses histoires tragiques (les Spectacles d'horreur, 1630) comptent parmi les témoignages les plus étonnants des liens que nouèrent la Contre-Réforme et la littérature.

Camus (Renaud)

Écrivain français (Chamalière 1946).

C'est d'abord dans les jeux textuels de la citation, du pseudonyme et de l'hétéronyme que ce disciple de Roland Barthes se fait un prénom (Passages, 1975 ; Travers, 1976). Avec Tricks (1978), il offre un des textes-cultes de la littérature que l'on nommera bientôt « gay ». Ni militant ni prosélyte, le livre dit la liberté de ces années d'avant le sida. Puis, parmi traités, élégies, églogues, faux romans historiques (Roman roi, 1983), se détache le Journal d'un voyage en France (1981) : Camus a trouvé sa voix, celle d'un sujet curieux, passionné, cultivé, qui va faire de toute sa vie (voyages, préférences, amours, opinions) la matière d'une écriture à l'élégance affirmée. À partir de là, soutenu par Pol Ostachevsky-Laurens (P.O.L.), il publiera chaque année un volume de son Journal. La Campagne de France (publiée, elle, chez Fayard) provoque un énorme scandale durant l'été 2000 : plusieurs affirmations y sont ressentie comme une provocation antisémite. Une idée classique de la France, de sa langue, de sa culture (voir la série récente des Départements : Lozère, Gers, Hérault), constitue le fil rouge de cette œuvre abondante, savante et solitaire qui se poursuit parallèlement sur Internet (Vaisseaux brûlés).

Can Xue (Deng Xiaohua, dite)

Romancière chinoise (née en 1953).

Fille d'un journaliste étiqueté « droitier » en 1957, elle voit son enfance et son adolescence détruites par la Révolution culturelle : c'est l'expérience mère dont va naître son œuvre romanesque, dans laquelle hallucinations et cauchemars oblitèrent toute vision rationnelle de la vie. Même si elle commence à écrire en 1983 des romans (la Rue de la boue jaune, Vieux Nuages flottants) et des nouvelles qu'un antiréalisme opiniâtre sous-tend, elle n'est publiée qu'à partir de 1986. Il n'y a dans ses récits ni personnes ni personnages, seulement des corps souffrants, meurtris, gagnés par la pourriture, souvent réduits à leurs fonctions excrémentielles ; les seuls rapports humains mis en scène sont la haine, les coups, l'invective, une horrible violence, métaphore de ce que fut la Révolution culturelle pour un peuple auquel la nouvelle politique ne semble pas avoir apporté le bonheur. Seules les nouvelles Dialogues en paradis (1987) suggèrent une vision plus sereine de l'existence humaine.

Canada

Littérature de langue française

Les premiers voyageurs venus de France unissent dans le récit de leurs découvertes la curiosité de l'observateur et la saveur du conteur (Jacques Cartier, Champlain, Marc Lescarbot...). Les Relations des jésuites constituent un document ethnographique irremplaçable. Les Lettres de l'ursuline Marie de l'Incarnation comptent parmi les chefs-d'œuvre de la littérature mystique. Au XVIIIe s., le père de Charlevoix entreprend une Histoire de la Nouvelle-France, tandis que le baron de La Hontan, dont les Voyages paraissent en 1703, figure parmi les précurseurs de la théorie du « bon sauvage ». Les Lettres au cher fils (1748-1753), son gendre, de Mme Élisabeth Bégon ne paraîtront qu'en 1934-1935.

   Avec l'introduction de l'imprimerie, après la conquête anglaise, on voit naître des brochures et des périodiques, en particulier l'éphémère Gazette littéraire de Montréal (1778), voltairienne. Le régime constitutionnel de 1791 favorise le journalisme et l'éloquence parlementaire. La poésie reste limitée aux petits vers dans le goût du XVIIIe s., souvent d'inspiration patriotique, puis romantique. La révolution française de 1830 et l'insurrection des « patriotes » canadiens en 1837 et 1838 donnent à la littérature naissante un esprit libéral et anticlérical, qui s'incarne dans l'Histoire du Canada (1845-1852) de François-Xavier Garneau, retraçant à la façon d'Augustin Thierry l'épopée du peuple canadien et son ascension vers la liberté à travers une survivance de tous les jours. Stimulée par l'Institut canadien de Montréal (fondé en 1844), l'hostilité envers le clergé trouvera son ultime expression, en 1868, avec la Lanterne d'Arthur Buies. L'Église, cependant, réagit et aura raison du mouvement laïque et libéral radical. Les poésies patriotiques de Crémazie (1827-1879) sont moins importantes et significatives que sa correspondance littéraire avec l'abbé Casgrain (1831-1904) et son Journal du siège de Paris en 1870-1871. Le roman conte les mœurs d'autrefois avec les Anciens Canadiens (1862) du seigneur Aubert de Gaspé ; il prêche le retour à la terre et un progressisme à l'américaine avec le Jean Rivard (1862) de Gérin-Lajoie. Le Journal longtemps inédit d'une adolescente passionnée et lucide, Henriette Dessaulles, et le roman d'analyse psychologique de Laure Conan, Angéline de Montbrun (1881), marquent l'entrée discrète des femmes en littérature.

   L'« École littéraire de Montréal », fondée en 1895, rassemble surtout des poètes, souvent parnassiens, parfois encore romantiques comme Charles Gill, qui esquisse une épopée du Saint-Laurent, ou intimistes comme Albert Lozeau (1878-1924). Elle trouve sa plus émouvante expression chez Émile Nelligan. En réaction, à partir de 1909, l'« école du Terroi » se réclame d'un précurseur, Nérée Beauchemin, et d'un animateur, Albert Ferland (1872-1943), bien qu'une inspiration cosmopolite et artiste, à la manière d'Anna de Noailles et d'Henri de Régnier, se manifeste chez Paul Morin (le Paon d'émail, 1911) et René Chopin (1885-1953). Le succès de Maria Chapdelaine (1914-1916), du Français Louis Hémon, encourage la veine du Terroir, qui se manifeste en prose par les romans de Damase Potvin, les contes d'Adjutor Rivard, les croquis du grand botaniste Marie-Victorin, avant de culminer dans les romans-poèmes et les tableaux lyriques de Félix-Antoine Savard (Menaud, maître draveur, 1937). Cependant, c'est une peinture de l'avarice paysanne que donne Claude-Henri Grignon avec Un homme et son péché (1933), et les Trente Arpents (1938) de Ringuet font assister à la décadence de la vie rurale. Déjà, une contestation, inspirée du libéralisme américain, s'exprime dans les Demi-Civilisés (1933) de Jean-Charles Harvey. L'histoire, longtemps limitée aux travaux d'érudition, est renouvelée par le chanoine Lionel Groulx (1878-1967), qui en tire des enseignements et des directives. Les romans géo-historiques de Léo-Paul Desrosiers consacrés aux pionniers de l'Ouest – Nord-Sud, 1931; les Engagés du Grand Portage, 1938 –, de même que son Iroquoisie (1947), sont supérieurs à ses romans et nouvelles de mœurs contemporaines. Une certaine « littérature de survivance » est marquée à la fois par la fidélité et le ressentiment, le courage volontariste sur fond de pessimisme.

Modernités

Encore traditionnelle, quoique américaine, sous la plume de Robert Choquette (1905-1991) et d'Alfred Desrochers (1901-1979), la poésie connaît un renouveau à la veille de la Seconde Guerre mondiale avec quatre grands aînés : Saint-Denys Garneau, poète métaphysique et tourmenté, Alain Grandbois, Anne Hébert et Rina Lasnier. Si le voyage d'André Breton en Gaspésie n'a laissé d'autre trace littéraire que dans Arcane 17, son œuvre n'en a pas moins inspiré les « automatistes » québécois et le manifeste Refus global (1948) du peintre Paul-Émile Borduas. La nouvelle poésie ne trouvera un véhicule approprié qu'avec la fondation par Gaston Miron, en 1953, du groupe et des éditions de l'Hexagone. Aux poètes de la solitude mystique (Ouellette), aux postsurréalistes (Giguère, Hénault), ou à l' exploréen » Claude Gauvreau, succéderont les poètes du rapatriement (Paul-Marie Lapointe, Gatien Lapointe, Jean-Guy Pilon) et bientôt les poètes de l'« anté-révolution », autour de la revue Parti pris, en 1963.

   L'éclosion de nombreuses maisons d'édition durant la Seconde Guerre mondiale a favorisé la transformation du roman. S'il compte encore de bons représentants de la veine rurale, tels Germaine Guèvremont et son Survenant (1945), où l'eau et la route l'emportent sur la terre, il s'ouvre à la peinture des milieux urbains avec Lemelin et Gabrielle Roy, qui reste hantée par le souvenir des plaines de l'Ouest où elle est née. Les minorités ethniques font leur apparition avec Aaron (1954) et Agaguk (1958) d'Yves Thériault, l'analyse psychologique avec Robert Charbonneau ou Robert Élie. Jean Simard et Pierre Baillargeon pratiquent une satire aigre-douce qu'on retrouve chez François Hertel, polygraphe talentueux mais inégal. Claude Jasmin et surtout André Langevin s'attachent au thème de l'homme traqué. Avec Anne Hébert, puis Marie-Claire Blais, le roman d'observation fait place au roman de création. Des techniques pas toujours orthodoxes du Nouveau Roman font leur apparition chez Hubert Aquin, Jean Basile, Réal Benoît, Réjean Ducharme, Jacques Godbout. Certains écrivains, tel Victor-Lévy Beaulieu, utiliseront le « joual » pour son pittoresque, son rythme, son chant rauque comme un cri empêché.

   La renaissance du théâtre a comporté deux étapes : la formation, à Montréal, d'une troupe d'amateurs, les Compagnons de Saint-Laurent (1938-1952), puis celle de troupes régulières avec le Théâtre du Nouveau Monde (1951) et, plus tard, l'avènement de la télévision. La seconde phase voit le mouvement prendre des aspects très divers, satirique chez Gratien Gélinas, engagé chez Jacques Ferron, réaliste et psychologique chez Marcel Dubé, fantaisiste et insolite chez Jacques Languirand. L'élargissement du public permet en même temps l'épanouissement de la chanson, nourrie d'un folklore encore vivant, et qui obtient un succès international avec Félix Leclerc, Gilles Vigneault, Robert Charlebois et d'autres.