Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
G

Giordani (Pietro)

Écrivain italien (Plaisance 1774 – Parme 1848).

Intellectuel au goût néoclassique (Panégyrique de Napoléon, 1807 ; Panégyrique à Antonio Canova, 1810 ; À un jeune Italien. Instructions pour l'art d'écrire, 1821), il s'opposa à Mme de Staël, mais encouragea les débuts de Leopardi.

Giovanni (José)

Écrivain et scénariste français (Marseille 1923 – Lausanne 2004).

En nourrissant le cinéma français (Jacques Becker, avec le Trou ; Jean-Pierre Melville, avec le Deuxième Souffle) de scénarios tirés de ses romans, réalisateur lui-même, il a popularisé la pègre et les truands. Au fil de récits linéaires et abrupts se déroulent des histoires d'hommes pas tout à fait comme les autres, mais qui s'aiment ou se haïssent comme les autres (Classe tous risques, 1960 ; Un vengeur est passé, 1982).

Giovanni (Nikki)

Poète américain (Knoxville, Tennessee, 1943).

Se revendiquant comme écrivain noir, il évoque les mouvements de contestation et de libération de l'époque effervescente des années 1960 (Sentiments noirs, paroles noires, 1968 ; Jugement noir, 1969 ; le Bord de la route, poème d'Angela Yvonne Davis, 1970 ; Faire une chanson douce noire, 1971 ; les Femmes et les hommes, 1975).

Girard d'Amiens

Poète français (fin XIIIe s.).

Sa vie est connue par ses prologues et dédicaces, où il apparaît protégé par les grands personnages de son époque. On lui doit un roman arthurien de 25 000 vers, Escanor (1281), dédié à la reine d'Angleterre, Aliénor de Castille, qui relate deux histoires distinctes : l'une est consacrée à Keu, amoureux d'Andrinette, fille de Canor, et l'autre à Gauvain, accusé d'un meurtre par Escanor. Deux épisodes en marge du récit, ainsi que des descriptions et des discours surchargent les intrigues principales et donnent du flou aux caractères. Son roman Méliacin ou le Cheval de fust (1285-1288), en 20 000 vers, dont la source initiale est sans doute le conte du cheval enchanté des Mille et une Nuits, utilise la même matière légendaire que Cléomadès : l'influence de la culture arabe y est donc prépondérante. Il est surtout question d'un cheval de bois capable de voler grâce à un dispositif secret : ce cheval permet à Méliacin de retrouver et de libérer la jeune fille qu'il aime, Célinde, après avoir connu de nombreuses aventures qui le conduisent d'Espagne jusqu'en Perse. Le récit est orné de pièces lyriques rehaussant les scènes d'amour. L'auteur rédigea aussi une compilation consacrée à Charlemagne (début du XIVe s.), qui est surtout un remaniement des Grandes Chroniques de France. Les deux premiers livres retracent les « Enfances Charlemagne » et les diverses guerres du héros, tandis que le troisième est une version rimée de la Chronique du Pseudo-Turpin.

Girart de Roussillon

Cette chanson de geste du XIIe siècle, de 10 000 décasyllabes, écrite en une langue hybride (franco-provençal), relate les luttes entre Girart et son seigneur, le roi de France Charles le Chauve. La principale bataille, celle de Vaubeton, est arrêtée par le miracle des gonfanons brûlés. Après de multiples péripéties (Girart et sa femme Berte survivent misérablement durant vingt ans dans la forêt d'Ardenne), l'intrigue se clôt sur la construction de l'église de Vézelay. Cette chanson, qui se fonde sans doute sur un personnage et des événements historiques, fait partie des chansons illustrant la révolte, ici achevée par la soumission du héros, des grands féodaux contre le pouvoir royal, thème qui se retrouve dans Raoul de Cambrai ou dans la Chevalerie Ogier.

Giraud (Albert Kayenbergh, dit Albert)

Écrivain belge de langue française (Louvain 1860 – Schaerbeek 1929).

Cofondateur de la Jeune Belgique, il fut le champion du renouveau littéraire belge de 1880. Pierrot lunaire (1884), est un recueil de « rondels bergamasques » inspiré par le personnage de la commedia dell'arte. Dans un style proche de celui de Banville, il crée un univers poétique voué à l'illusion, où un Pierrot décadent exprime un spleen très « fin de siècle ». La traduction allemande de l'ouvrage servit de livret (1912) au sommet de l'œuvre atonale du compositeur autrichien A. Schönberg. Les autres recueils obéissent aux rigoureux préceptes du Parnasse, tout en traduisant une sensibilité décadente éprise de visions somptueuses.

Giraudon (Liliane)

Poétesse française (Cavaillon 1946).

Cofondatrice des revues Banana Split et IF, elle est au cœur des courants de la poésie des années 1980, tout en se montrant lucidement critique et volontiers offensive envers eux. Elle défend la poésie contre ses dérives sacralisantes, cherchant au contraire à la compromettre dans la narration prosaïque de « sales histoires », en des récits assez atypiques mêlant vers et « petits tas de prose » (Divagations des chiens, 1988 ; Parking des filles, 1998).

Giraudoux (Jean)

Écrivain français (Bellac 1882 – Paris 1944).

Auteur, parallèlement à sa carrière de haut fonctionnaire, d'une œuvre romanesque et dramatique de premier plan, il compte parmi les figures littéraires les plus représentatives de la France de l'entre-deux-guerres. Héritier d'une France provinciale dont il fait un mythe personnel, fine fleur de l'école républicaine qui le conduit jusqu'à l'École normale supérieure, humaniste ouvert à l'altérité culturelle et convaincu des nécessités d'un rapprochement franco-allemand, il opère dans son œuvre une synthèse de la tradition littéraire française, du romantisme allemand et des préoccupations brûlantes d'une génération traumatisée par la guerre.

   Boursier brillant du lycée de Châteauroux, il s'y forge une solide culture classique, y développe son goût de la rhétorique et des mythes antiques ainsi que sa foi fondamentale dans la mission de l'écrivain, et pratique le théâtre comme spectateur et jeune acteur. La khâgne du lycée Lakanal puis la rue d'Ulm (1903) permettent au provincial de découvrir le Paris du début du siècle, sa vie littéraire, les cafés, les journaux et les petites revues ; l'étudiant peut y développer son esprit d'humour et de canular. C'est aussi la découverte de l'Allemagne et de la littérature allemande : après sa lecture de Goethe, de Novalis et de E. T. A. Hoffmann, il veut connaître l'Allemagne contempo– raine et, grâce à une bourse d'études (1905), passe un long et fructueux séjour à Munich. En 1907, il est à l'université de Harvard (il publiera plus tard un hommage discret au Nouveau Continent : Amica America, 1919). Après un échec à l'agrégation d'allemand, il réussit le petit concours des Affaires étrangères en 1910.

   La Première Guerre mondiale surprend un adolescent prolongé et peu pressé de s'engager dans la vie active, mais déjà auteur de nouvelles poétiques (Provinciales, 1909 ; l'École des indifférents, 1911). Confronté à la réalité brutale des combats, blessé deux fois, cité à l'ordre de l'armée, il voit mourir plusieurs voisins de tranchée et écrivains amis comme Émile Clermont. Adorable Clio (1920), suite d'évocations poétiques inspirées par son expérience du front, raconte une guerre abhorrée pour ses abominations mais aussi « caressée » rétrospectivement comme expérience de la fraternité humaine.

   Les années suivantes sont celles de l'installation dans une vie bourgeoise et professionnelle (promotion dans le « grand cadre » des Affaires étrangères en 1919, naissance d'un fils, mariage en 1921), mais voient aussi Giraudoux s'affirmer comme l'un des écrivains les plus originaux de sa génération. Remarqué dès le début par Gide et Proust, l'auteur de Simon le Pathétique (1918), de Suzanne et le Pacifique (1921), de Siegfried et le Limousin (prix Balzac 1922), de Juliette au pays des hommes (1924), de Bella (1926) et d'Églantine (1927) séduit par la fantaisie de ses récits, sa délicatesse et son idéalisme. Lui-même se voit comme un « sourcier de l'Éden », imaginant que l'écrivain est d'« avant » la Chute et qu'il peut, grâce à sa baguette ou son pendule (le langage), détecter, recréer, puis communiquer à ses lecteurs le bonheur d'un paradis retrouvé. La plupart de ses romans racontent une évasion qui se termine par un heureux retour, au pays natal, dans la famille, ou au « pays des hommes », et ce grâce à un bain d'atmosphère : évocation de noms propres, bruits et sons familiers, fugue d'un chœur provincial. Si certains reprochent au chantre des jeunes filles, du printemps et de l'aurore son angélisme et sa préciosité, il s'impose aussi comme le romancier d'un monde heureux et fraternel.

   En 1928 commence la troisième carrière de l'écrivain, la plus brillante. Il se tourne vers le théâtre pour y adapter Siegfried et le Limousin. La scène lui paraît alors le moyen le plus approprié pour exprimer ses idées politiques et humanistes, ici le message d'une nécessaire réconciliation avec l'Allemagne. Selon Giraudoux lui-même, la pièce est « l'histoire d'un Français privé de la mémoire par une blessure reçue à la guerre, rééduqué sous le nom de Siegfried par ceux qui l'ont recueilli dans une nation et des mœurs qui ne sont pas les siennes, et ramené par des amis à son ancienne vie ». En germaniste fervent autant qu'en diplomate, il perçoit clairement les dangers que court l'Allemagne ardente et poétique, mais meurtrière, tout autant que ceux que court la France immobile, enlisée dans son cartésianisme. Mais il était délicat en 1928 de parler de l'« âme franco-allemande », quelque dix ans après la guerre : René Doumic, directeur de la Revue des deux mondes, s'indigne qu'on ait pu donner à Paris « une pièce à l'honneur de l'Allemagne », qu'on ait montré sur une scène française l'uniforme allemand et fait entendre dans la coulisse l'hymne national allemand ; le fameux « Siegfried, je t'aime » de Geneviève a pu choquer, ou attendrir, dans son effort de synthèse amoureuse et politique. Quoiqu'il en soit, cette première pièce, qui inaugure la collaboration de Giraudoux avec l'homme de théâtre Louis Jouvet, remporte un succès remarquable. La « première » fut un peu l'Hernani d'une génération : loin du Boulevard facile naissait un théâtre de texte, dense, littéraire, qui rendait un son neuf. Siegfried marque l'évasion du théâtre hors du naturalisme, du psychologisme, grâce à la poésie. Le duo Jouvet-Giraudoux, noué sous les auspices de Siegfried, devait se révéler des plus solides, puisque, résistant aux épreuves de la guerre et de la séparation (l'Apollon de Bellac fut créé par Jouvet en 1942 à Rio sous le nom de l'Apollon de Marsac), il ne se dénoua qu'à la mort de l'auteur. Fondé sur la reconnaissance mutuelle, ce compagnonnage, de 1928 à 1939, allait drainer vers les salles parisiennes des foules de plus en plus enthousiastes. Amphitryon 38 (1929), Judith (1931), Intermezzo (1933), Tessa (1934), La guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), Électre (1937), Ondine (1939) comptent parmi les créations les plus importantes de l'entre-deux-guerres : ce théâtre vibrant et humaniste, témoin d'une époque angoissée et raffinée, coïncidait parfaitement avec elle. Nommé en 1939 commissaire général à l'Information, il eut la tâche impossible d'être la voix de la France en guerre contre Hitler.

   Qu'il choisisse un roman, un conte, un mythe antique ou biblique, Giraudoux privilégie une littérature au second degré, multipliant les variations personnelles sur un canevas existant, comme lorsqu'il reprend à la suite de Molière, de Kleist et de bien d'autres, le mythe d'Amphitryon, ou qu'il adapte Ondine, le conte du romantique allemand La Motte Fouqué. Sa méthode consiste à respecter les données initiales de l'histoire, dont, par une pirouette ou comme une formalité, il retrouve aussi la donnée finale ; mais il choisit d'éclairer l'espace laissé vierge par la légende. En transformant les épisodes intermédiaires ou les motivations des personnages, il change la perspective et écrit ainsi une tout autre pièce : Judith l'amoureuse, Alcmène la très humaine, Électre la chasseresse. Dans La guerre de Troie n'aura pas lieu, sa pièce la plus célèbre, il compose une sorte de prélude pessimiste à l'Iliade d'Homère, où ses héros pacifistes, Hector et Andromaque, se heurtent à l'inéluctable de la guerre qui s'annonce, et dont Giraudoux pressent l'imminence après les événements d'Abyssinie et de la Ruhr.

   Il faut enfin citer la Folle de Chaillot, sa dernière pièce, représentée à titre posthume en 1945. Cette fantaisie allégorique dénonçant le mal, les méfaits de la civilisation industrielle et des pouvoirs d'argent, où s'exprime le pionnier de l'urbanisme et de l'écologie qu'il fut aussi, fut accueillie avec ferveur par un public renouant avec la paix. L'œuvre dramatique de Giraudoux reste comme un brillant engagement qui plaide en faveur de la responsabilité de l'homme.