Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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France (Moyen Âge) (suite)

Fabliaux et nouvelles médiévales

La production des récits brefs au Moyen Âge semble liée à l'essor de la culture urbaine, dans les villes du Nord de la France et à Paris, dans le milieu universitaire en particulier, et elle s'adresse à un public qu'intéresse la mise en scène du monde contemporain.

Le fabliau

La plupart des 150 fabliaux sont conservés dans des recueils de la fin du XIIIe et du début du XIVe siècle. Pour désigner ce type de récit bref, apparu à la fin du XIIe siècle et qui disparaît au deuxième tiers du XIVe, une soixantaine d'auteurs emploient le terme fabliau ; les autres recourent concurremment aux mots conte, fable, dit, roman ou encore exemple. Le fabliau est un récit bref, non animalier (50 à 1 500 vers), en couplet d'octosyllabes, dont le sujet donne lieu à un récit et parfois à une moralité. Celle-ci est de portée réduite, tant l'écart entre la leçon et la jubilation que procure le texte montre que le dessein essentiel du texte est de faire rire. Nombreux sont les fabliaux qui traitent de l'amour sur un ton qui va de l'ironie à la franche obscénité. Mais il est question tout aussi bien de trompeurs trompés, d'avares humiliés, de voleurs volés... Certains fabliaux sont animés d'une intention didactique (le prêtre et le chevalier, le vilain ânier...), mais, le plus souvent, ils sont conçus dans une intention parodique ou satirique, comme le Vilain mire (XIIIe s.), qui annonce le genre de la farce par son thème, un médecin malgré lui, et son mécanisme, le renversement des rôles. Par le type de caractères, la matière (ruse, tromperie, obscénité, scatologie, transgression des tabous), le registre sociologique et le ton, le fabliau relève du style bas et s'oppose par contraste au roman courtois. Du reste, les motifs et le langage courtois peuvent être utilisés dans des situations et pour des personnages qui ne relèvent pas de l'éthique courtoise, d'où l'effet de burlesque qui en découle. L'opposition des deux registres semble répondre à une convention de style, les fabliaux étant récités dans les mêmes milieux que les chansons de geste, les romans et les nouvelles. Quelques auteurs se nomment dans leurs textes, Jean Bodel, Gautier le Leu, Rutebœuf... Malgré leur disparition, les fabliaux ont influencé la nouvelle française et italienne, le conte et la farce.

La nouvelle

Le terme, dont l'équivalent en littérature d'oc est nova, n'existe pas au Moyen Âge. D'origine italienne, il n'est attesté qu'à partir du XIVe siècle. On l'utilise pour désigner des textes narratifs brefs, d'abord en vers, puis en prose. En 948 vers, la Châtelaine du Vergy (XIIIe s.), qui retrace les amours malheureuses de la Dame et de son amant, à cause d'un secret mal gardé, a la forme de la nouvelle par sa brièveté et sa densité, mais entre plus certainement dans le cadre de la littérature didactique et morale, par la valeur d'« exemple » que lui donne son auteur. La Fille du Comte de Ponthieu, dont il existe différentes versions en prose du XIIIe siècle, est une nouvelle où la violence se donne libre cours : une femme est jetée à la mer pour avoir voulu tuer son mari qui avait assisté, impuissant, à son viol au cours d'un pèlerinage ; après bien des péripéties propres au roman d'aventures, mais concentrées dans le cadre restreint de la nouvelle, elle devient l'épouse du sultan d'Aumarie et arrière-grand-mère de Saladin. À partir du XIVe siècle, la tendance à réunir en un recueil un ensemble de compositions poétiques aboutit, un siècle plus tard, aux Cent Nouvelles nouvelles, composées dans l'entourage du duc de Bourgogne à qui elles sont dédiées, sur le principe du Décaméron de Boccace.

Roman médiéval

L'héritage des mythes et légendes (XIIe-XIIIe s.)

Au XIIe siècle, le terme « roman » désigne des récits en français et en vers octosyllabiques, qui ne relèvent pas d'abord de la fiction. Composés entre 1150 et 1165 par des clercs dans les domaines des Plantagenêts, les romans de Thèbes, Enéas, et Troie diffusent pour un public laïc les mythes et les légendes de l'Antiquité classique. Passeurs de savoir, ces auteurs réfléchissent sur les fondements, le devenir et la mort des sociétés et des cultures. Thèbes et Troie sont détruites ; Enéas et ses descendants établissent en Italie, puis en Grande-Bretagne (le Roman de Brut de Wace), des sociétés durables et harmonieuses que cimente l'amour. Les auteurs font ainsi une large place à la parole amoureuse et au discours sur l'amour. Pratiquant une écriture riche en descriptions et créatrice de beauté, ils ont forgé en français les éléments d'une langue littéraire.

   Dès 1150, une autre source d'inspiration est le trésor des mythes et des légendes celtiques qui se cristallisent autour de Tristan et d'Arthur. Les différentes versions du Tristan donnent de l'amour contraint par le philtre une vision tragique, tout en creusant la dimension psychologique et affective de la passion. Vers 1170, Chrétien de Troyes adopte le monde arthurien, déjà connu par le Brut, comme univers de référence du récit. Substituant à l'histoire d'une collectivité le parcours d'un individu (ou du couple qu'il essaie de former), il inaugure l'ère de la fiction : son héros problématique, le chevalier errant, cherche le sens de son destin et de sa fonction au monde au fil des épreuves héroïques et sentimentales. Le recours au merveilleux féerique d'origine celtique, très retravaillé, permet la création d'un univers ayant ses lois de fonctionnement, son espace-temps, ses personnages, et façonné à l'image toujours décalée de l'univers réel. La quête amoureuse est jusqu'au Conte du Graal, inachevé, la motivation essentielle du héros, l'amour étant à la source de la connaissance de soi et d'actions bénéfiques pour la société. À l'écart du monde arthurien, d'autres auteurs du XIIe siècle situent dans l'Antiquité (Athis et Prophilias), dans l'Orient byzantin (Éracle de Gautier d'Arras, Partonopeus de Blois, Florimont) ou encore en Italie du Sud (romans anglo-normands de Hue de Rotelande) des romans d'aventures et d'amour, qui content aussi l'avènement d'un lignage.

   Au XIIIe siècle, chez les successeurs de Chrétien, l'errance du chevalier se transforme souvent en quête nuptiale réussie (Fergus, Yder, Durmart le gallois). D'autres romans, souvent centrés sur Gauvain (l'Âtre périlleux), traitent l'aventure héroïque et sentimentale sur le mode ironique (le Chevalier à l'épée) ou décalé (le Bel Inconnu). Au XIIIe siècle également, les Continuations du conte du Graal, en vers, mettent un terme à la quête du Graal par Perceval, mais l'innovation majeure est l'élaboration des grands cycles romanesques en prose consacrés au parcours du Graal au sein de l'univers arthurien. Ainsi de la trilogie du pseudo-Robert de Boron (centrée sur Merlin et Perceval), du cycle du Lancelot-Graal, où la carrière et l'amour de Lancelot pour la reine Guenièvre occupent une place centrale, ou encore du Perlesvaus. Toutes sommes romanesques qui lient définitivement prose et fiction et inventent un nouvel art du récit fondé sur la maîtrise du temps. C'est en vers, en revanche, que s'écrivent au XIIIe siècle des romans qui situent dans un monde contemporain les péripéties sentimentales et les réussites finales de couples séparés (l'Escoufle, Guillaume de Dole de Jean Renart, Galeran de Bretagne de Renaut, Jehan et Blonde de Philippe de Remi), et qui retravaillent souvent des motifs folkloriques (la Manekine de Philippe de Remi). Une autre innovation très importante est l'utilisation romanesque de l'écriture allégorique, pratique inaugurée par Guillaume de Lorris dans son Roman de la Rose, la quête de la rose (la femme désirée) projetant en récit les motifs et l'éthique de la lyrique courtoise. Le développement de la prose littéraire en relation longtemps exclusive avec le motif du Graal et de sa quête, la naissance avec Jean Renart d'une fiction qui poétise un monde entre réalité et conte, la liaison entre l'allégorie et la quête amoureuse qui devient dans la suite que donne Jean de Meun au Roman de la Rose la quête d'un savoir sur l'amour, telles sont les grandes lignes d'une fiction romanesque qui se partage au XIIIe siècle entre les longs cheminements des proses du Graal et les raffinements d'écriture liés au vers, entre mythe arthurien et monde contemporain idéalisé, et qui développe, par le biais notamment de l'écriture allégorique, l'analyse psychologique de l'amour.