Maulpoix (Jean-Michel)
Poète français (Montbéliard 1952).
Critique spécialiste de Michaux, de Réda, de Char et de la poésie lyrique depuis le XIXe siècle (la Voix d'Orphée, 1989 ; Du lyrisme, 2000), directeur de la revue Recueil (fondée en 1984) puis du Nouveau Recueil, il est la principale voix du néolyrisme français. Après Locturnes (1978) paraissent notamment Ne cherchez plus mon cœur (1986), au titre baudelairien, et Une histoire de bleu (1992), qui interroge le rapport sensible et rêveur à la mer. L'Écrivain imaginaire (1994) et Domaine public (1998) explorent l'intime et le quotidien. Ses poèmes en prose d'une grande musicalité imposent un lyrisme critique dissocié de tout pathos, marqué par des angoisses sourdes (la Poésie malgré tout, 1996 ; la Poésie comme l'amour 1998 ; le Poète perplexe, 2002).
Maunick (Édouard J.)
Poète mauricien de langue française (Flacq, Île maurice 1931).
Ayant quitté, en 1960, son île natale, il est devenu un journaliste et un homme de radio attentif à l'évolution du monde négro-africain. Son œuvre poétique, publiée à Maurice (Ces oiseaux du sang, 1954), puis à Paris (les Manèges de la mer, 1964 ; Mascaret, 1966 ; Fusillez-moi, 1970 ; Ensoleillé vif, 1976 ; En mémoire du mémorable, 1979 ; Saut dans l'arc-en-ciel, 1985), revendique l'héritage de sa triple ascendance : africaine, indienne et européenne. Dans une orientation parallèle au mouvement de la négritude, cette poésie se voue à dire les complexités, les difficultés d'être, l'exil permanent et les richesses du métissage. Elle doit inventer une langue syncopée, abrupte, métissée, car habitée en profondeur par la langue maternelle du poète : le créole.
Maupassant (Guy de)
Écrivain français (château de Miromesnil 1850 – Paris 1893).
Autour de lui ont fleuri les « images d'Épinal » : une facilité, une limpidité factices se sont attachées à son existence – on le confond aisément avec un heureux canotier de Renoir – et à son œuvre. Rien ne fut aisé pourtant et la transparence appartient peu à l'univers de Maupassant. Son père, hobereau galant, préfère la vie parisienne au paisible manoir normand et se sépare bientôt de sa femme, qui a la garde de leurs deux fils. Laure est cultivée, fine, torturée. Guy de Maupassant joue avec les petits paysans : son premier contact avec la nature est heureux et il ne l'oubliera jamais. Celui avec la société l'est moins : la vie d'un collège religieux, le petit séminaire d'Yvetot, convient mal à un enfant et à un adolescent habitué à une certaine liberté de mouvement et de pensée ; il fugue, écrit des satires contre ses professeurs, se fait renvoyer. Il termine sa scolarité à Rouen, et Flaubert, un ami de sa famille, lui tient lieu de père spirituel affectionné. Alors qu'il songe à entreprendre des études de droit, le jeune homme est réquisitionné et doit faire la guerre, c'est-à-dire fuir avec l'armée devant les Prussiens ; il n'acceptera jamais les atrocités absurdes, les meurtres gratuits et impunis, l'occupation qui révèle la veulerie des uns, l'héroïsme des autres, éléments que l'on rencontre dans de nombreux contes où l'inhumanité est toujours soulignée (le Père Milon). Libéré, il obtient un emploi au ministère de la Marine et songe à écrire. Flaubert, qui est « une sorte de tutelle intellectuelle » pour son jeune élève (avant que celui-ci ne voie en lui, dans des études qu'il lui consacrera, le maître de « l'accouplement du style et de l'observation modernes »), rature ses essais, lui fait reprendre sans cesse son travail de correction et ne l'autorise pas encore à publier. Le dimanche, Maupassant oublie sa morne vie quotidienne et va canoter au bord de la Seine, moments joyeux dont l'œuvre porte trace (Mouche). Cette vie durera dix ans, marquée par l'ennui de la vie laborieuse, par les retrouvailles avec un paysage apaisant, par les indices précoces d'une maladie qui s'approfondira et surtout par l'amitié intransigeante du grand écrivain et par la formation qui en découle : un regard ne se posant que sur l'essentiel, un style sans redondance et qui élague. En 1880, Maupassant, faux novice donc, participe au recueil des Soirées de Médan qui regroupe, sur un thème commun, la guerre de 1870, des textes de Zola, Céard, Huysmans, Hennique, Alexis, et il y publie Boule de suif : c'est aussitôt le succès. Mais Des vers, un recueil poétique qui fait scandale, échoue : désormais Maupassant se consacre à la prose. Il accepte les propositions alléchantes des journaux (il collaborera essentiellement au Gaulois et au Gil Blas), il abandonne le ministère, acquiert notoriété et richesse. Il brûle sa vie ; il n'a que dix ans pour voyager (surtout à bord de son yacht et en Afrique du Nord) et pour édifier une œuvre importante : trois cents contes qu'il réunit en une quinzaine de recueils comme la Maison Tellier (1881), les Contes de la bécasse et Miss Harriet (1884) ou la Petite Roque (1886) ; deux cents chroniques qui font de lui un des plus importants journalistes littéraires de son temps ; six romans dont Une vie (1883), Bel-Ami (1886), Mont-Oriol (1887) et Notre cœur (1890) ; des nouvelles, sans compter les journaux de voyage (Au soleil, 1884 ; Sur l'eau, 1888 ; la Vie errante, 1890) et quelques pièces de théâtre (Histoire du vieux temps, Musotte, la Paix du ménage). Il prend même le temps de remanier ses textes et de les polir. Pendant ce temps, la maladie s'installe, le talonne, déploie ses divers symptômes (névralgies, insomnies, hallucinations). Qu'est-elle au juste ? Un composé de syphilis héréditaire ou acquise ? Ou le développement d'une maladie mentale avec pour noyau l'image d'une mère suicidaire (Hervé, le cadet, finira tôt dans la démence) ? La souffrance triomphe, interrompt l'activité littéraire : tentative de suicide, délires, internement dans la clinique du docteur Blanche. La folie et ses avatars foudroient Maupassant, semblant justifier ce propos qu'il aurait tenu à Heredia : « Je suis entré dans la vie comme un météore et j'en sortirai par un coup de foudre. »
Le réalisme
Si Maupassant énonça un dessein, ce fut celui de peindre ses contemporains. Il fréquenta Zola, et peut, bien qu'il se soit écarté assez vite des écoles, compter à juste titre parmi les écrivains naturalistes. Il fit même œuvre de théoricien dans son étude le Roman (souvent appelée inexactement, et il s'en plaignait, « Préface de Pierre et Jean ») où il définit son esthétique basée sur une observation minutieuse qui ne refuse cependant pas une interprétation personnelle : l'essentiel consiste en effet dans le choix des détails signifiants, la mise en forme des éléments retenus, la composition enfin. L'écrivain est un regard scrutateur qui rend compte des sociétés qu'il connaît et qui met en évidence, mais sans insistance, les lois qui les gouvernent. Il sera ainsi un excellent peintre de la paysannerie normande dont il montre la malice et la dureté (la Bête à Mait'Belhomme, Toine). La cupidité proverbiale du paysan cauchois prend corps et, malgré des conséquences souvent dramatiques, ne semble jamais caricaturée ; c'est que Maupassant se souvient de son enfance, truffe ses récits d'un savoureux patois toujours compréhensible et trouve souvent dans des faits divers l'anecdote qui sert d'armature à ses récits. Il ne s'écarte pas davantage d'une réalité familière ni ne tombe dans l'invraisemblance – autre exigence théorique – lorsqu'il évoque l'univers étriqué, bruissant d'illusions continuellement massacrées, des petits bourgeois (En famille) et de leurs jolies épouses qui cultivent un bovarysme sans espoir (la Parure). Petits aristocrates déchus, notables de province, rentiers, artisans, tous les niveaux sociaux sont explorés. Bel-Ami, roman d'un apprentissage multiple et d'une impossible pureté, débouche sur la satire d'une société d'argent à l'heure des scandales politico-financiers de la fin du siècle et des entreprises coloniales, à travers les avatars d'un Rastignac de la deuxième génération.
Maupassant semble moins mettre l'accent cependant sur quelques univers privilégiés que sur un phénomène : la cruauté. Maints éléments de sadisme apparaissent dans ses contes dont les fins sombres, si nombreuses, ont contribué à lui donner la réputation d'un pessimiste. Le conte met en scène bourreaux et victimes sans s'adonner au pathétique : aucune lamentation donc, parfois uniquement un trait d'ironie amère comme échappé d'une plume retenue. L'élément moteur de la persécution s'avère souvent une combinaison d'avarice et de bêtise : nul doute que Maupassant n'ait médité les leçons du Flaubert de Bouvard et Pécuchet et du Dictionnaire des idées reçues ; il traque comme innocemment la stupidité, mais c'est pour en révéler le pouvoir dangereux. C'est ainsi qu'il fouille l'envers du conformisme à visage serein, qu'il montre combien la bonhomie anodine peut receler de haine ou de mépris hargneux. Il insiste sur le fonctionnement de la mauvaise foi (Boule de suif) qui permet de torturer ingénument certaines minorités d'opprimés silencieux, parmi lesquels les infirmes (l'Aveugle), les vieillards (Une famille) ou les animaux improductifs (Pierrot, Coco). On trouve, en filigrane, la dénonciation des aspects pernicieux d'une société impitoyable qui martyrise et humilie en toute bonne conscience, une critique, par exemple, du mariage d'intérêt, et dans tous les milieux (les Sabots, Première Neige), ou d'une loi qui fait de l'épouse une semi-esclave (l'Inutile Beauté). Ceci n'empêchant pas la mythologie traditionnelle de se déployer dans une œuvre qui présente la coquette (Pétition d'un viveur), la femme fatale (l'Inconnue), la mégère (le Parapluie), la sensuelle indigène (Allouma) : mais, en général, il existe chez Maupassant une certaine « pitié pour les femmes » qui explique ses contes souriants sur l'adultère (Joseph), presque tendres sur l'amour impossible (la Rempailleuse) ou la prostitution (Mlle Fifi) et compréhensifs sur l'infanticide (Rosalie Prudent). Car Maupassant ne craint pas de violer les tabous ; il évoque l'inceste (l'Ermite), le parricide (Un parricide), l'homosexualité (la Femme de Paul), la bâtardise aussi (l'Aveu), thème majeur comme celui de la paternité incertaine et de ses affres (M. Parent) ; bref, il met le doigt sur les plaies d'un monde cynique et certaines pages de Bel-Ami (sur le colonialisme, la spéculation ou le journalisme) peuvent atteindre la satire. Mais le problème du mal n'est pas seulement posé en termes sociaux. Ce qui brise une existence peut être un destin mauvais, un fatum à chape de plomb (Une vie) ; plus souvent encore, l'interrogation reste béante : comment expliquer, entre autres, la jouissance de détruire ? Maupassant s'est penché sur la perversion ou la perversité, comme bon nombre de naturalistes fascinés par les mécanismes pathologiques du psychisme ; il cherche la source du dérèglement qui conduit un esprit intelligent à se délecter de crimes sordides (Fou, Moiron) et, comme il s'interroge sur la frontière incertaine qui sépare la normalité de la folie, il aboutit, sur le plan esthétique, au fantastique.