Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Twain (Samuel Langhorne Clemens, dit Mark)

Écrivain américain (Florida, Missouri, 1835 – Redding, Connecticut, 1910).

Par la diversité de ses lieux, de ses occupations, par les antinomies de caractère qu'elle révèle chez l'écrivain, la vie de Mark Twain est une sorte de totalisation de la réalité américaine. Cette vie, qui est à la fois du Sud, de l'Ouest, de l'Est, de l'Amérique et de l'Europe, obsédée de réalité brute et de statut social, affirmation de l'identité américaine et expression de pessimisme, peut, suivant les suggestions des derniers ouvrages de Twain, se lire au prisme de l'absurde, en même temps qu'elle reste l'exemple de réussite à l'américaine. Samuel Langhorne Clemens est né dans l'Ouest, sur la « Frontière » , dans un hameau perdu sur un affluent du Mississippi. De 4 à 12 ans le jeune garçon est témoin d'un monde rude, dont il donnera l'image dans Huck Finn et Tom Sawyer. Lorsque son père meurt, Samuel, qui a 12 ans, devient apprenti chez un imprimeur. Puis ce sont des voyages entre New York et Saint Louis, Philadelphie et Washington, et les premières publications humoristiques dans le Californian. En 1857, Samuel devient apprenti puis pilote des bateaux à aubes sur le Mississippi : c'est de cette expérience qu'il tire son pseudonyme – « Mark Twain ! » (« Deux brasses de fond ! ») – et l'émerveillement de la vie libre, qu'il rapportera dans la Vie sur le Mississippi (1883). En 1861, il est chercheur d'or en Californie et au Nevada, aventure narrée dans Mes folles années (1872). Journaliste à New York, il épouse une bourgeoise distinguée et prude, Olivia Langdon. Anarchiste de l'Ouest, bourgeois de l'Est, la contradiction reste ineffaçable chez Twain qui ne cesse de jouer des thèmes de la « Frontière » (les Aventures de Tom Sawyer, 1876). Le souci de promotion sociale entraîne la multiplication des œuvres alimentaires et fait de l'écrivain à la fois un grand bourgeois (il se fait construire un château dans le Connecticut) et un entrepreneur (il finance une machine à vapeur, un générateur électrique, une presse à imprimer, une maison d'édition). En 1884, il donne son meilleur livre, les Aventures de Huckleberry Finn, où l'enfance de l'Ouest dit les nostalgies libertaires. Mais les années 1890 marquent le début de la ruine financière et des misères familiales. Alors même que sa célébrité croît, qu'il reçoit des diplômes universitaires honorifiques, qu'il participe à de nombreux débats, l'écrivain s'enferme de plus en plus dans son pessimisme et dans un sentiment de solitude. Ses derniers livres (Extraits du journal d'Adam, Extraits du journal d'Eve, 1904 ; Qu'est-ce que l'homme ?, 1906 ; l'Étranger mystérieux, 1916) dépeignent un univers absurde et un Dieu qui crée le monde par ennui.

   De son vivant, Mark Twain fut, avant tout, tenu pour un humoriste. Pourtant, l'ambiguïté de l'œuvre comme de sa réception résulte d'un réalisme qui comprend le sens du quotidien et une idéologie typiquement américaine : critique de la société, dénonciation de toute forme de tyrannie et de superstition au nom de la démocratie et de la raison. Il n'exclut pas cependant la perspective spécifiquement littéraire – ainsi Huckleberry Finn est-il nourri de références à Shakespeare, Cervantès, Saint-Simon, Taine, Carlyle. Il commande aussi une innovation spécifique. Le problème premier de Mark Twain est de passer de la notation journalistique (la chronique) à un véritable récit, alors que la définition canonique du récit est l'histoire d'amour. Il insère donc la donnée romanesque dans la chronique en faisant très largement usage d'un narrateur intradiégétique. Cette technique lui permet enfin d'opposer contraintes de la norme et de la convention et portrait de marginaux. En même temps se dégage le schéma picaresque de l'initiation au monde social, qui, avec des ambivalences, s'imposera dans les Aventures de Tom Sawyer et Huckleberry Finn. Ces deux romans composent l'apologie de l'Amérique préindustrielle, où jouent les antinomies du rappel de la farce et du pathos littéraire, de la langue vernaculaire et de l'anglais stylisé, où se dessinent des ambiguïtés reportables sur les personnages principaux qui sont à la fois l'innocence et la marque de la culture. Dans ces mélanges de tons et de perspectives est redite la mythologie de l'Amérique, est répété le constat inévitable : la seule issue est dans la fuite vers le territoire indien. L'humoriste deviendra moraliste dans Un Yankee à la cour du roi Arthur, où le récit tente de dessiner l'inversion de la corruption et de la tyrannie dans le bonheur éclairé et la démocratie. L'innovation chez Twain est à la fois dans la proximité de l'espace américain, suivant la conclusion de Huckleberry Finn, et dans une réalité langagière et culturelle, entreprise jubilatoire de verbalisation et de représentation.

Tyard (Pontus de)

Poète français (Château de Bissy, Mâconnais, 1521 – Bragny-sur-Saône 1605).

Il publie en 1549 sa première œuvre poétique, les Erreurs amoureuses, recueil de sonnets décasyllabiques et de chansons voué à une certaine Pasithée, être idéal, image de la divinité et de la science suprême qui constituent pour Tyard l'objet de la quête poétique. Suivies d'une Continuation en 1551, les Erreurs amoureuses seront, en 1555, augmentées d'un troisième livre et d'un Livre de vers lyriques. Dans ces nouveaux recueils, l'influence de la Pléiade est sensible. C'est également vers 1555 que Tyard compose un opuscule, publié en 1586, les Douze Fables de fleuves ou fontaines, recueil significatif pour le témoignage qu'il offre de la prédilection du poète pour le thème de la métamorphose.

   Tyard est aussi philosophe. Le Solitaire premier (1552) expose une théorie de la « fureur » poétique empruntée à Platon et à Ficin : la poésie est la première des quatre « fureurs » (poétique, religieuse, prophétique et amoureuse) qui permettent à l'âme humaine, dégradée du fait de son incarnation terrestre, de s'épurer progressivement jusqu'à recouvrer son essence originelle, de nature céleste et spirituelle. Également inspiré de Platon, le Solitaire second ou Discours de la musique (1552) unit théorie esthétique et science de l'Univers : la « musique mondaine » et la « musique humaine » y sont rassemblées sous le concept commun d'harmonie, appliqué dans un cas à l'Univers, dans l'autre aux facultés physiques et spirituelles de l'homme. Pour n'être pas foncièrement originaux dans leurs fondements philosophiques, ces deux ouvrages n'en constituent pas moins le plus sérieux travail de réflexion produit par l'humanisme français sur le problème de la création artistique.

   C'est au seul Univers sous ses aspects tant matériels (physiques, astronomiques, météorologiques, etc.) que métaphysiques qu'est consacré l'Univers ou Discours des parties et de la nature du monde (1557), traité que l'édition de 1578 divisera en deux livres, dénommés respectivement le Premier et le Second Curieux. Plus original que le Discours du temps, de l'an et de ses parties (1556), proche d'un simple calendrier, le Mantice ou Discours de la vérité de divination par astrologie (1558) dissimule, sous un titre antiphrastique, un pamphlet contre l'astrologie, dénoncée comme une imposture.

   Compté au nombre des élus de la Pléiade, Tyard a étayé son activité de poète d'une réflexion philosophique cohérente sur la création artistique et ses rapports avec l'essence de l'Univers.