Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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roman de cape et d'épée

Ce genre romanesque mettant en scène des héros chevaleresques a été largement illustré par W. Scott et par A. Dumas. Alliant les données du roman historique à celle du roman d'aventures, il peint les rapports entre les agents de l'intrigue suivant les résidus de la morale aristocratique (courage, dévouement à la femme aimée, droiture), de façon parfois partiellement parodique (les Trois Mousquetaires de A. Dumas). Ce côté anachronique n'empêche pas le succès du genre, dû sans doute au rejet d'un XIXe siècle trop prosaïque.

roman de chevalerie

C'est le nom donné aux œuvres narratives en prose qui, aux XVe-XVIe s., reprirent les aventures des chansons de geste et des romans courtois des XIe-XIIIe s. Bien qu'il ait été précédé par des œuvres nombreuses et diverses (Ponthus, 1478 ; Tristan, 1482 ; Gyron le Courtois, 1501), le modèle du genre reste l'Amadis* de Gaule, dont la première version connue (1508) est de Rodríguez de Montalvo. Si Du Bellay (Défense et Illustration de la langue française, II, 5) traite cette littérature romanesque d'« épiceries », et si Montaigne se vante (Essais, I, 26) de n'avoir même pas connu le nom « des Lancelots du Lac, des Amadis, des Huons de Bordeaux, et tels fatras de livres à quoi l'enfance s'amuse », les Quatre Fils Aymon connaîtront 18 éditions entre 1478 et 1549. Diane de Poitiers se fait lire les aventures d'Amadis et de Fierabras, et l'esprit du roman de chevalerie passera directement dans le Grand Cyrus de Mlle de Scudéry. Chapelain s'interrogera, dans son dialogue De la lecture des vieux romans (publié en 1870), sur le goût commun des nobles et des milieux populaires pour les romans de chevalerie : « Comme les poésies d'Homère étaient les fables des Grecs et des Romains, nos vieux romans sont aussi les fables des Français et des Anglais. » Les romans de chevalerie ont ainsi formé, aux XVIe-XVIIe s., une composante essentielle de la culture mondaine et moderne contre le pédantisme des collèges et l'érudition des milieux parlementaires.

Roman de la Rose (le)

Ce texte majeur du XIIIe siècle, conservé par près de 300 manuscrits souvent superbement illustrés, et qui a exercé une influence essentielle sur la production littéraire et la pensée européennes jusqu'au XVIe siècle, est l'œuvre de deux auteurs. La première partie (4 028 vers), composée vers 1230, est due à Guillaume de Lorris, sur lequel nous ne savons rien. Elle a été continuée, quarante ans plus tard, par Jean de Meun, en près de 18 000 vers. D'un auteur à l'autre se retrouve la fiction cadre du songe fait par un jeune homme de 20 ans ; rêve prémonitoire, qui s'est réalisé, et qu'il a ensuite mis par écrit. Se retrouve également le recours à l'écriture allégorique, transposée du domaine religieux ou moral au domaine érotique. Le jeune rêveur s'engage dans la cueillette d'une rose, symbole transparent de la jeune fille aimée, et sa quête se déploie dans un verger peuplé d'allégories qui sont tantôt des « personnages » du rêve (comme Amour et sa compagnie, Raison, Ami), tantôt des représentations des sentiments éprouvés par le rêveur ou par la femme désirée (Bel Accueil s'opposant à Dangier, par exemple). Le héros de Guillaume de Lorris parvient à échapper au lieu mortel qu'est dans le verger la Fontaine de Narcisse. Il y distingue au contraire le reflet du bouton de rose qui va devenir l'objet de sa quête. Il apprend, chemin faisant, les rudiments d'un art d'aimer que lui dispense Amour, que questionnent Raison et Ami. Il échoue cependant à « cueillir » la rose, enfermée par « Dangier » dans le château de Jalousie, et le roman de Guillaume de Lorris s'achève sur la complainte amoureuse du rêveur.

   À ce roman écrit dans un style raffiné, qui tisse la quête initiatique du héros à l'aide de motifs repris à la lyrique courtoise, Jean de Meun a donné une suite d'une tout autre envergure, transformant l'art d'aimer de Guillaume en une somme sur l'amour, un « miroir aux amoureux » où capter toutes les facettes de cette puissance cosmique. Toujours engagé dans une quête qui n'est plus guère qu'un prétexte, l'amant devient l'objet de très longs discours dans lesquels sont exposées, jugées, parfois condamnées les différentes sortes d'amour. Raison suggère, comme il se doit, l'amour de la sagesse et démontre à coup d'oxymores quelle folie est l'amour... La rose, ou plutôt Bel Accueil, est elle-même l'objet d'un enseignement au féminin, parfaitement scandaleux, dispensé par une « Vieille » peu scrupuleuse et nourrie de l'Ovide de l'Art d'aimer et des Héroïdes. Quant aux très longs discours de Nature, se confessant à son chapelain Genius, et aux exhortations de ce dernier poussant son auditoire masculin à se servir des « outils » donnés par Nature pour procréer, ils proposent tous deux une vision de l'amour comme puissance cosmique, en lutte contre le temps (Vénus est née de l'émasculation de Saturne par Jupiter), à la source de la nécessaire reproduction des espèces, que Nature doit inlassablement forger. Entraver d'une manière ou d'une autre l'amour et la liberté qui lui est nécessaire est donc un crime, que ne commet pas l'amant puisqu'il parvient au terme de son « pèlerinage » à déflorer la rose et à l'engrosser.

   La pratique de la digression, technique fondatrice de l'enfilade de discours (ou de « dits ») qu'est le texte de Jean de Meun, permet aussi à ce clerc, nourri de savoir et du désir de le diffuser, d'aborder, par personnifications interposées, les sujets les plus variés, de dispenser au nom de l'amour une somme du savoir scientifique, politique et moral de son temps : des propriétés des miroirs à l'alchimie, en passant par la réflexion sur Fortune ou sur l'origine de l'inégalité chez les hommes ou sur l'origine de la culture et des arts. S'y énoncent enfin, en termes également très crus, de violentes satires, des femmes comme des maris jaloux, ou, à travers le personnage de Faux Semblant, des ordres mendiants. La polémique s'exerce aussi contre le premier auteur. À l'image de Narcisse le stérile s'oppose le mythe de Pygmalion, le sculpteur capable, grâce à Vénus, de créer la vie même. Au verger et à sa fontaine de mort s'oppose le pré du Bon Pasteur, où coule la Fontaine de vie et où seront accueillis pour l'éternité ceux qui auront su accomplir la loi de Nature. La diversité des sujets abordés, les différences de ton et de registre amoureux se répercutent dans l'influence qu'a exercée l'œuvre. Le songe d'amour, la quête allégorique, les personnifications courtoises inventés par Guillaume de Lorris ont été abondamment réutilisés dans la littérature narrative et la poésie courtoise des XIVe et XVe siècles Trop souvent lue en pièces détachées, la partie de Jean de Meun a très vite alimenté la littérature misogyne et étayé des revendications de liberté sexuelle. Une remise en question du contenu moral de l'œuvre de Jean de Meun, de son caractère licencieux, sous-tend au tout début du XVe siècle le Débat sur le Roman de la Rose, qui a opposé Christine de Pizan, soutenue par Jean Gerson, à des représentants du premier humanisme français comme Jean de Montreuil et Gontier Col.