Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
A

autofiction

Cette variation moderne et transgressive du genre autobiographique est apparue en réaction aux premiers travaux théoriques de Philippe Lejeune. D'aucuns contestèrent en effet la validité de sa définition inaugurale (« Récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité », le Pacte autobiographique, 1975), tandis que d'autres s'interrogeaient sur l'identité entre l'auteur, le narrateur et le personnage, censément fondatrice du genre. Doubrovsky a vu dans cette affirmation un défi intellectuel et réorienté en conséquence le manuscrit qu'il était en train de rédiger : narré à la première personne, Fils (1977) présente l'auteur pour personnage principal, alors que la page-titre annonce un « roman ». Dans le prière d'insérer, cette ambivalence justifie la mise sur le même plan du référentiel et de l'imaginaire : « Fiction d'événements et de faits strictement réels ; si l'on veut, autofiction », le néologisme s'appliquant ensuite à Un amour de soi (1982), le Livre brisé (1989), l'Après-vivre (1994) et Laissé pour conte (1999).

   Bien que les enjeux conceptuels et techniques ne soient pas semblables d'un auteur à l'autre, ce débat quelque peu byzantin s'inscrit dans un contexte de remise en cause de l'égotisme et du schéma unificateur qui préside habituellement à la rétrospection. La psychanalyse a dévoilé les zones d'ombre du fonctionnement mental, la complexité d'un regard vecteur de diffraction, les déformations de l'image dans la psyché. Puisque « la connaissance de soi est une interprétation » (Ricœur, « l'Identité narrative », 1988), générant « une vie fictive ou, si l'on préfère, une fiction historique », l'anamnèse n'est plus perçue comme la restitution fidèle d'une cohérence, mais comme l'exploration des manques qui, tout autant que les pleins, structurent l'existence.

   C'est ainsi que Leiris veut « ruiner l'architecture logique » (Biffures, 1948). Quant à Malraux, ses Antimémoires (1967), non chronologiques mais thématiques, se refusent à la confession et à l'introspection, tout en ménageant une place à la fiction (des passages sont repris des Noyers de l'Altenburg). De la confusion du réel et du fictif, il résulte une forme hybride : dans W ou le Souvenir d'enfance (1975), Perec bouleverse les repères établis en faisant alterner des chapitres fictifs avec ceux où l'auteur se rappelle sa vie pendant la Seconde Guerre mondiale. Robbe-Grillet ne fait donc que récupérer un air du temps lorsque, prenant le contre-pied de Lejeune (qui a pourtant admis les lacunes ou les abus de ses anciennes positions), il place les entreprises de Sarraute (Enfance, 1983), de Duras (l'Amant, 1984 ; l'Amant de la Chine du Nord, 1991) et la sienne propre (Romanesques, 1984-1994) dans la même perspective, lacanienne, d'une « Nouvelle Autobiographie », où le sujet prend conscience de soi en tant qu'autre.

   Enfin, la diversité des étiquettes traduit une disparité des expériences et la difficulté de synthétiser des œuvres disparates, au nombre desquelles certains critiques recensent aussi bien Roland Barthes par Roland Barthes (1975) que les Géorgiques (1981), l'Acacia (1989) et le Tramway (2001) de Simon, Exobiographie (1993) d'Obaldia ou tels livres de Yacine, de Khatibi, de Boudjedra ou de Meddeb.

Autreau (Jacques)

Peintre et écrivain français (Paris 1657 – id. 1745).

Portraitiste (il est notamment l'auteur d'un tableau allégorique en l'honneur du cardinal de Fleury), il fit jouer par les Comédiens-Italiens le Naufrage au Port-à-l'Anglais, ou les Nouvelles débarquées (1718), dont le succès assura l'avenir de la troupe. C'est cependant moins par ses comédies (Démocrite prétendu fou, 1730) et ses pastorales (la Magie de l'amour, 1735), que par le livret du « ballet bouffon » de Platée, qu'il composa pour Jean-Philippe Rameau (1745), qu'il nous est aujourd'hui connu.

Autriche

Les provinces autrichiennes ont apporté une importante contribution à l'histoire de la littérature de langue allemande. Parmi les grands auteurs du Moyen Âge, l'auteur anonyme du Nibelungenlied et les poètes Walther von der Vogelweide et Oswald von Wolkenstein étaient originaires du territoire autrichien. Même si, par la suite, la culture théâtrale de la Contre-Réforme baroque et son contrepoint, le théâtre populaire viennois, fourniront jusqu'à nos jours des modèles explicatifs pour la spécificité autrichienne, on ne peut parler de littérature autrichienne qu'à partir de la disparition du Saint Empire romain germanique en 1806 et la création presque simultanée de l'Empire d'Autriche en 1804.

   Parmi les multiples traits spécifiques, le décalage par rapport aux principaux courants de la littérature allemande est particulièrement significatif : déjà au XVIIIe siècle le théâtre populaire viennois résiste à l'esprit normatif de l'Aufklärung. Et les grandes révolutions littéraires allemandes (Sturm und Drang, romantisme, la Jeune Allemagne, naturalisme, expressionnisme et dadaïsme) ont à peine pénétré en Autriche. L'Autriche oppose aux courants modernes (nationalisme, socialisme, matérialisme) un conservatisme politique et culturel qui explique les préoccupations centrales que sont la psychologie de l'individu, l'obsession de la mort et un intérêt considérable porté à la question du langage.

1804-1866 : le Biedermeier

Ce style correspond à l'immobilisme politique imposé par le chancelier Metternich. Même la révolution de 1848 ne parvient pas à rompre avec une vision du monde déterminée par l'acceptation de la réalité. L'auteur dominant de cette période, le premier à développer une conscience nationale autrichienne, est Franz Grillparzer. Il s'appuie sur l'historiographie patriotique initiée avec un Plutarque autrichien par Joseph von Hormayr (1781-1848). Le théâtre de Grillparzer est une synthèse originale du classicisme de Weimar, du romantisme, de la tradition populaire et de l'héritage espagnol (Calderon). Parallèlement, Vienne connaît l'âge d'or du théâtre populaire. D'une masse d'habiles « industriels » de la scène (Bäuerle, Gleich, Meisl) surgissent les deux classiques populaires, Ferdinand Raimund et Johann Nestroy. Éduard von Bauernfeld (1802-1890) représente la comédie bourgeoise. L'acceptation de l'ordre existant comme ordre voulu par Dieu trouve son expression accomplie dans l'œuvre narrative d'Adalbert Stifter. D'une production poétique convenue se détachent les poèmes de Nikolaus Lenau. Le pamphlet Austria as it is (1828) du prêtre défroqué Charles Sealsfield (Karl Postl) est l'un des rares documents d'une contestation radicale du système.

1866-1900 : le réalisme autrichien

L'époque qui suit l'élimination de l'Autriche de l'orbite allemande après la bataille de Sadowa est caractérisée par un historicisme grandiloquent dont la transformation architecturale de Vienne est restée le témoin visible. À cet art de la représentation répondent des auteurs pour lesquels la « question sociale » est prioritaire : Marie von Ebner-Eschenbach, Ferdinand von Saar, Ludwig Anzengruber. Les provinces se font entendre, notamment la Styrie par Peter Rosegger et le Tyrol par Karl Schönherr. La périphérie de l'Empire est représentée par Karl-Emil Franzos et Leopold von Sacher-Masoch. Un phénomène d'éclatement précède une floraison culturelle exceptionnelle, la « modernité viennoise ».

1890-1918 : la modernité

Hermann Broch a fourni une rétrospective magistrale du phénomène dans Hofmannsthal et son temps. L'analyse des sensations du philosophe Ernst Mach, la critique du langage de Fritz Mauthner et la psychanalyse de Sigmund Freud déterminent la réflexion esthétique (Bahr) et inspirent les œuvres de Schnitzler, Altenberg, Hofmannsthal, Zweig, Musil. À cette « première modernité viennoise » s'oppose avec verve le satiriste Karl Kraus dans sa revue Die Fackel qui prône l'unité absolue entre « éthique et esthétique » et défend les poètes de l'expressionnisme autrichien Georg Trakl, Franz Werfel, Albert Ehrenstein, Oskar Kokoschka. La philosophie de Ludwig Wittgenstein s'inspire de la rigueur de Die Fackel. Vienne n'est pas le seul centre de la modernité autrichienne. De la diaspora linguistique de Prague surgissent Rainer Maria Rilke, Franz Werfel, Franz Kafka, son exégète Max Brod et une riche littérature fantastique (Alfred Kubin, Gustav Meyrink, Leo Perutz).