essai (suite)
L'essai critique selon Barthes
S'il est vrai que, en définissant négativement l'essai comme texte « inachevé » ou sans ordre, on ne fait que perpétuer la méconnaissance des schémas rhétoriques, et s'il faut revenir à ces « sources », il n'en reste pas moins que l'essai ne répète pas seulement ces schémas. Tout en recensant ce qu'il doit à la rhétorique, il faut montrer ce qu'il a fait de cet héritage. Ayant renoncé au « système » philosophique et à l'organisation des genres littéraires qui sépare les différentes énonciations (raconter ou discourir), l'essai semble avoir eu pour effet de transgresser certains codes rhétoriques. Il s'agit de faire « avec les choses intellectuelles... à la fois de la théorie, du combat critique et du plaisir » (Roland Barthes par Roland Barthes, 1975). En dehors du traité (« fermé », « monosémique » et « dogmatique »), il reste la possibilité d'une écriture comme « procédé » ou, selon R. Barthes, comme « tactique sans stratégie » (d'où l'écriture fragmentée). En même temps que le rejet des plans, des dissertations et des soucis de composition, ce que permet d'expérimenter l'essai comme écriture singulière, c'est l'apparition d'une « galaxie de signifiants » : « il n'a pas de commencement ; il est réversible ; on y accède par plusieurs entrées dont aucune ne peut être déclarée principale » (Roland Barthes, S/Z, 1970). En ce sens, l'essai renvoie moins aux genres et aux fonds rhétoriques qu'aux procédés spécifiques qu'il utilise pour élaborer sa rhétorique, et c'est en quoi il peut inaugurer de nouvelles manières de penser et d'être.