Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
R

roman historique

Le roman historique naît au XIXe siècle avec W. Scott. Il y a certes au XVIIe siècle des romans qui se prétendent tels (Mlle de Scudéry), mais l'histoire, bien fantaisiste, ne sert que de vague cadre à d'interminables intrigues amoureuses. On trouve aussi un courant « réaliste », avec des œuvres comme la Princesse de Clèves ou ces Mémoires apocryphes dont le public était friand. Cependant, tous ces livres ne définissent pas un véritable genre : celui-ci se constitue seulement vers 1820, suscitant un engouement qu'on a souvent cherché à expliquer.

L'omniprésence de l'histoire

G. Lukács a suggéré que les grands événements de la Révolution française et de l'époque napoléonienne ont donné à chacun le sentiment très fort de vivre dans l'histoire. Il évoque aussi l'éveil des nationalités, la référence des romantiques à un passé mythique, l'attachement de certains écrivains à une interprétation « progressiste » de l'histoire. Ces motifs contradictoires mais convergents permettent de mieux comprendre l'histoire du roman historique : une première étape euphorique où le personnage principal assume le destin d'une communauté (W. Scott), puis, après 1848, le refuge dans l'exotisme (Salammbô de Flaubert), avant la renaissance d'une inspiration plus populaire. L'histoire est partout ; on la trouvait déjà dans les Martyrs de Chateaubriand, mais à présent elle envahit la mode, l'ameublement, la peinture, la poésie, le drame avec Henri III et sa cour de Dumas ou Hernani de Hugo. C'est enfin et surtout l'âge d'or du roman historique avec Cinq-Mars de Vigny, la Chronique du règne de Charles IX de Mérimée, Notre-Dame de Paris de Hugo, et les Trois Mousquetaires de A. Dumas. L'histoire « sérieuse » elle-même semble suivre le mouvement et les récits historiographiques (chez A. Thierry et Michelet) empruntent parfois à la technique romanesque : un échange inattendu s'est produit entre les deux genres.

   On pourrait également montrer qu'une bonne partie des romans, à partir de 1820, sont « historiques » en ce sens qu'ils veulent être des témoignages véridiques sur leur époque. Balzac met en scène la société de la Restauration, Stendhal donne pour sous-titre au Rouge et le Noir « Chronique de 1830 », et Zola, bien plus tard, fera l'« histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second Empire » : il y a là un projet « scientifique » qui ne doit pas faire illusion, mais qui montre bien la fascination qu'exerce l'histoire sur les esprits du temps. Le roman retrouve le sens étymologique du terme, et devient une « enquête ». Et tous les grands cycles (y compris ceux de l'entre-deux-guerres : l'Âme enchantée de R. Rolland, les Thibault de R. Martin du Gard, les Hommes de bonne volonté de J. Romains, la Chronique des Pasquier de G. Duhamel) jouent sur cette illusion réaliste : le destin individuel d'un personnage acquiert plus de crédibilité lorsqu'il s'inscrit dans un vaste mouvement collectif. Le roman historique joue là sur deux tableaux et répond à des impératifs complexes : sa documentation doit être solide sans être voyante, tandis que l'intrigue proprement romanesque doit éviter l'anachronisme tout en parlant à un public moderne (ce sera la technique de M. Yourcenar dans l'Œuvre au noir ou dans les Mémoires d'Hadrien). D'où, bien sûr, des problèmes d'équilibre et de construction : comment restituer vraiment une psychologie médiévale ? Quelle place faire aux personnages qui ont réellement existé ? Quelle liberté prendre avec eux ? G. Lukács montre encore que, par la force des choses, le roman historique est écrit par un auteur moderne pour instruire ou divertir des lecteurs de son temps : le roman historique est un regard d'aujourd'hui porté sur hier et c'est ce double rapport à l'histoire qui fait son intérêt. On le voit, c'est un genre à part entière qui a ses lettres de noblesse. Aujourd'hui néanmoins, le roman historique s'adresse à un public très large avec des séries à succès illustrées par M. Druon (les Rois maudits), R. Merle, H. Montheilet et C. Jacq.

L'histoire au féminin

Cantonné dans un univers masculin (quand la réalité politique l'était aussi), le roman historique évolue dans l'entre-deux-guerres, qui voit changer le statut de la femme. Des romancières de l'histoire se font alors une place. S'adressant à un lectorat féminin, le genre modifie son échelle de valeurs pour mettre l'accent sur l'amour et l'émancipation féminine sur fond historique tourmenté, comme l'illustre le best-seller Autant en emporte le vent (1936) de la journaliste américaine M. Mitchell. La dimension historique se traduit par la peinture des milieux sudistes et la description de la guerre de Sécession et de ses conséquences économiques et sociales. Mais le récit repose fortement sur un destin de femme dominé par la quête amoureuse. Plus tard, un autre best-seller, Ambre de K. Winsor, exploitera la même veine. La Caroline chérie de Cecil Saint-Laurent s'inspire du même type de situation, quoique sans arrière-plan féministe. Ce genre gagne en France un public plus populaire dans les années 1960-1970 avec la Marianne de Juliette Benzoni et surtout la série Angélique, marquise des Anges de A. et S. Golon. Cependant, on trouve aussi des œuvres « soutenues », comme celles de J. Bourin (la Chambre des dames, 1979 ; la Dame de beauté, 1982) ou de F. Chandernagor (l'Allée du roi, 1981) qui se démarquent des romans de grande diffusion évoqués plus haut grâce à une qualité littéraire plus affirmée.

roman noir

Le roman noir, encore appelé roman de terreur ou roman gothique (ce mot signifie à l'époque « barbare » ou « irrationnel »), apparaît dans la seconde moitié du XVIIIe siècle en Angleterre. Il révèle des influences esthétiques diverses (préromantisme, fantastique allemand) et manifeste un goût prononcé pour le passé, le style gothique et les pays du Midi. Rassemblant arsenal surnaturel (apparitions, fantômes, etc.) et argument moral, le genre se spécialise dans la peinture de l'excès et de l'horreur, et produit un récit à grands effets qui dit la force et la cruauté du mal, ainsi que la misère (mais aussi la victoire) de l'innocence. Le roman gothique est ainsi une perversion de l'esthétique du sublime, et illustre un imaginaire obsédé de claustration, présentant le passé comme une détermination pathologique. On a vu en lui l'angoisse d'une classe sociale (l'aristocratie et la grande bourgeoisie anglaise) placée à reculons dans l'histoire. Émanant d'auteurs anglicans, il représente aussi une dénonciation de l'absolutisme religieux assimilé au catholicisme. Enfin, que le fantastique soit expliqué ou non, il se veut constat des limites du rationalisme tant sur le plan esthétique que philosophique. Illustré par Horace Walpole (le Château d'Otrante, 1764), Lewis, Ann Radcliffe, Clara Reeve, Mary Shelley, William Godwin et Maturin, le roman gothique anglais perdure dans la littérature anglaise du XIXe siècle (Dickens, Wilkie Collins, Sheridan Le Fanu). Il rejoint l'inspiration romantique (Byron, Coleridge, Keats) avec des enjeux différents (par exemple, le sens de la révolte chez Byron). L'esthétique gothique se maintient dans le réalisme urbain (Dickens) ou historique (Scott) et se manifeste dans le fantastique, la science-fiction, le surréalisme, présidant même au renouveau de l'architecture anglaise. La gothic romance s'acclimate également en Amérique, illustrée par Charles Brockden Brown, Nathaniel Hawthorne, Edgar Poe enfin, dont les Contes fantastiques exploitent la thématique de l'enfermement et de l'horreur.

Le roman noir en France

On l'appelle d'abord le « genre sombre » et plus tard « frénétique » (nom avancé par Nodier). Il a pour lointaine origine les « nouvelles tragiques », illustrées au XVIIe siècle par Rosset et Jean-Pierre Camus, puis les romans de l'abbé Prévost et d'autres écrivains postérieurs, comme Baculard d'Arnaud ou Loaisel de Tréogate (la Comtesse d'Alibe) qui se complaisent dans l'évocation des infortunes de la vertu et des ravages de l'amour. Le goût des paroxysmes est canalisé par un respect ostentatoire de l'ordre et de la morale. Mais les décors de couvent et de château peuvent engager une critique implicite de la féodalité et de l'enfermement monastique (à l'imitation de la Religieuse de Diderot). Il faut évidemment évoquer aussi l'influence sulfureuse de Sade. Sous la Révolution, l'œuvre d'Ann Radcliffe est abondamment imitée et de nombreux romans français se font passer pour des adaptations de l'anglais. Sous le Consulat et l'Empire, on voit foisonner les titres évocateurs illustrés de frontispices accrocheurs. Cette production se caractérise par une intrigue souvent embrouillée et la volonté de produire un effet maximal sur le lecteur, comme dans les mélodrames qui se développent au même moment et adaptent à la scène les principaux romans noirs à succès : l'énigmatique roman Pauliska ou la Perversité moderne de Révéroni Saint-Cyr et les longs récits de Ducray-Duminil, Cœlina ou l'Enfant du mystère, Victor ou l'Enfant de la forêt, qui annoncent le roman-feuilleton du XIXe siècle, lequel changera de décor, le Paris des bas-fonds (les Mystères de Paris) se substituant aux châteaux isolés.

   Le roman noir imprime sa marque au romantisme, du Solitaire du vicomte d'Arlincourt (1821) à Han d'Islande (1823) de Hugo, en passant par le Théâtre de Clara Gazul de Mérimée (1825) et la Morte amoureuse (1836) de Théophile Gautier. Sa typologie, son usage souvent naïf du surnaturel, son insistance voulue sur l'horreur ont fait assimiler le genre à une littérature de la rupture et de la subversion. Le passé et les souterrains figurent les déterminations profondes des conduites ; l'excès, l'horreur, la victime disent la perversion de toute convention morale ; le frénétique serait une ouverture sur le néant. Plus généralement, son fonctionnement en trompe-l'œil traduit une crise de la représentation et, comme l'a indiqué Sade dans son Idée sur les romans, l'inaptitude de la littérature et, particulièrement, du romanesque, à rivaliser avec la démesure du réel et de l'histoire. La crise de la représentation se confond avec une crise de l'imagination qui, précisément, ne peut toucher au sublime. Dans tous les cas et dès le XVIIIe siècle, le roman noir apparaît comme le moyen de traiter des tabous sociaux par la réversion établie entre passé et présent, moralité et immoralité, espace ouvert et claustration, réel et irréel. Malgré la conclusion conventionnelle de la plupart des premiers romans gothiques, l'interrogation subsiste : il ne s'agit pas de marquer que le monde est entièrement mauvais, mais d'indiquer que l'apparence, fondamentalement ambiguë, n'autorise aucune affirmation. C'est donc la traduction littéraire d'une forme radicale de scepticisme.