Apollinaire (Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky, dit Guillaume) (suite)
Le dernier Apollinaire
L'immédiat avant-guerre est l'époque des prises de parti dans les polémiques picturales autant que celle des explorations formelles, de la création de genres neufs (ainsi le poème-conversation) ; modernisme qui culminera avec les Calligrammes, sous-titrés « poèmes de la paix et de la guerre », qui paraissent en 1917, et dont le poème le plus célèbre est la Colombe poignardée et le jet d'eau. Le recueil lie exemplairement (et pour la poésie du siècle à venir) poésie et peinture. Apollinaire rêve d'une synthèse des arts que le futur devait rendre possible. Est proposé un aménagement original du poème dans sa spatialité.
Peu après la déclaration de guerre, Guillaume rencontre la joueuse Lou, c'est-à-dire son destin, alors que s'initie une correspondance à la fois torride et pudique, à mettre et à ne pas mettre entre toutes les mains. Les Poèmes à Lou accompagnent ces lettres et y seront joints plus tard. La guerre et l'amour échangent leurs feux. La violence guerrière exacerbe le désir du soldat. En 1915, il part de lui-même au front et rencontre l'Oranaise Madeleine, à laquelle le lie un amour, décidément, épistolaire. Apollinaire vit la vie des soldats dans les tranchées : l'omniprésence du mal se matérialise, se densifie, à mesure que la nécessité (mais encore et toujours l'impossible) de l'amour se vérifie. Le 17 mars 1916, Guillaume Apollinaire est blessé d'un éclat d'obus au front (« la tête étoilée »). Trépané, il est ramené sur Paris où, contre toute attente, il déborde d'activité.
Il est une sorte de Prince des poètes, et le visage même de l'avenir pour de jeunes admirateurs tel Reverdy. Sa pièce les Mamelles de Tirésias (où le mot de « surréalisme » apparaît) est montée en 1917, exemple entre autres d'une incursion peut-être moins aboutie sur les planches. À cette époque, Apollinaire définit par des conférences ce que sera l'Esprit nouveau : puiser dans les racines de la tradition pour dire aujourd'hui et demain. Sans se limiter à la forme neuve créée, le recueil des Calligrammes accueille des formes régulières ou libres. Il transcrit, chronologiquement cette fois, les étapes du vécu, notamment la découverte hallucinée du sort de l'homme au front. Éros et Mars croisent le fer : à la guerre se juxtapose cette autre guerre qu'est l'amour. Loin d'être un objet esthétique (« Ah Dieu que la guerre est jolie »), le conflit est la voix du néant à l'œuvre. Une démarche se poursuit : le réel est vu par le prisme d'une sensibilité exacerbée, d'une réalité personnelle qui n'est pas mensongère, d'une écriture du nouveau qui sait sa dette à l'égard du classique. Il s'agit d'une entreprise rien moins que démiurgique, celle de faire éclater les carcans du vers, de « l'élargir » (au sens carcéral, aussi) pour donner à ce temps, et à lui seul, une voix enfin définitivement nouvelle. Poème et monde, poésie et musique, amour et guerre : Apollinaire est l'homme des synthèses. L'ordre des poèmes dans les recueils posthumes (ainsi le Guetteur mélancolique, 1952) est pour lui sujet à caution. À sa mort, en 1918, les Français crient précisément, mais pour d'autres raisons, « À mort Guillaume ! ».