Aouezov (Moukhtar Omarkhanovitch)
Écrivain kazakh (dans le Tchinguiztaou 1897 – Moscou 1961).
Fils de nomades amis d'Abaï Kounanbaïev, il flétrit dans ses nombreuses pièces (Enlik-Kebek, 1917 ; Tonnerre nocturne, 1934 ; le Verger, 1937) et ses récits (Coup de feu dans la montagne, 1927 ; le Chasseur à l'aigle, 1937) le Kazakhstan féodal et patriarcal, lui opposant les vertus des kolkhozes. Il a consacré au père des lettres kazakh un roman-épopée (Abaï, 1942-1947 ; le Chemin d'Abaï, 1952-1956), fondé sur une rigoureuse enquête menée pendant vingt ans : il y fait revivre la société nomade du XIXe s., sa culture et ses conflits, analysant à travers le personnage du poète l'éveil dans la steppe d'un sentiment national et démocratique.
Aphraate
Moine syriaque (Mésopotamie 1re moitié du IVe s.), dit le Sage persan.
Entre les années 337 et 345, il composa 23 Exposés qui traitent de questions théologiques (ascétisme et mysticisme) et de la vie monastique. Ces œuvres présentent un caractère littéraire archaïque, l'auteur s'appuyant essentiellement sur des citations scripturaires pour réfuter les juifs avec lesquels il était en relation.
apocryphes
Par le terme « apocryphes », qui signifie « cachés », les protestants désignent plusieurs livres bibliques dont la canonicité n'a pas été reconnue par le judaïsme. Ces livres nous ont été transmis par les Églises chrétiennes. L'Église catholique les appelle deutérocanoniques (admis dans le canon en deuxième rang). Ce sont Judith, Tobie, Maccabées I et II, la Sagesse de Salomon, le Siracide ou Ecclésiastique, Baruch, la Lettre de Jérémie. À ces livres, il faut ajouter les fragments grecs d'Esther, et les suppléments grecs au Daniel sémitique.
En plus de ces écrits deutérocanoniques ou apocryphes, il existe une vaste littérature qui n'a jamais appartenu à aucun canon officiel du judaïsme ou du christianisme. Ce sont les pseudépigraphes, appelés ainsi parce que leurs auteurs se couvrent généralement sous le patronage de personnalités connues par les livres bibliques : Adam et Ève, Hénoch, Noé, Abraham, etc. Composés soit dans les pays de la Diaspora (dispersion juive) de langue grecque, et principalement d'Égypte, soit en Palestine, les pseudépigraphes constituent la littérature dite intertestamentaire, c'est-à-dire ce corps littéraire intermédiaire entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Des pseudépigraphes de langue grecque, on retiendra Maccabées III et IV, les Oracles sibyllins, et de ceux qui ont été composés originellement en hébreu ou en araméen, le Livre des Jubilés, les Livres d'Hénoch, la Vie d'Adam et Ève, le Martyre d'Isaïe, les Psaumes de Salomon, Baruch II et III, Esdras IV. L'étude de la littérature intertestamentaire permet de mieux comprendre la richesse et la complexité du judaïsme au moment de la levée du christianisme.
Apocryphes du Nouveau Testament
Le même terme d'apocryphes ou de pseudépigraphes désigne des écrits chrétiens conservés sous le nom d'évangiles ou mis sous le nom des apôtres, mais dont la canonicité n'a pas été admise par la grande Église. Les principaux apocryphes du Nouveau Testament sont : l'Évangile selon les Hébreux (vers 90), en araméen ; l'Évangile selon les Égyptiens (vers 150), de tendance gnostique ; le Protévangile de Jacques (vers 150), en grec ; les Actes de Paul et de Thècle (vers 160), en grec, en marge des Actes des Apôtres.
L'équilibre de l'enseignement et de l'action disparaît dans les évangiles apocryphes, si on excepte des fragments proches des livres canoniques, dont le mieux représenté est l'Évangile de Pierre (Ire moitié du IIe s. en Asie Mineure), et des remaniements hétérodoxes comme le tardif Évangile de Barnabé (XVe-XVIe s., marqué par le syncrétisme des trois religions du Livre) ; mais il sont très généralement constitués soit de récits, soit de recueils de paroles (logia). Les récits ajoutent à la Passion des témoignages apologétiques (Évangile de Nicodème, dont la première version remonte au Ve s.), ou à la Nativité de Jésus celle de Marie (le Protévangile de Jacques, dont la première forme est de la seconde moitié du IIe s.), ou bien attribuent à Jésus des anecdotes enfantines merveilleuses (Évangile de l'enfance de Thomas, du Ve s.). Les recueils de paroles appartiennent à la tradition gnostique, qui écarte le récit, particulièrement celui de la Passion, jugé blasphématoire. Rappelons que, pour la gnose, la connaissance ésotérique est transmise par le Christ ressuscité. Le plus célèbre de ces recueils est l'Évangile de Thomas (découvert aux environs de Nag Hammadi vers 1945 et qui date de la seconde moitié du IIe s.)
Apollinaire (Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky, dit Guillaume)
Écrivain français (Rome 1880 – Paris 1918).
Le lyrisme personnifié, Orphée moderne, initiateur de la modernité, grande référence un temps pour Breton et les surréalistes, l'homme d'Alcools (1913) se place à la charnière des siècles, et en continuité avec hier pour inventer en vers le visage de demain.
Avant Alcools
Fils d'une aristocrate polonaise, qui ne le reconnaîtra que plusieurs mois après sa naissance, et d'un père gentilhomme ou officier italien, selon la légende, il passe son enfance en Italie, puis à Monaco pour abandonner ses études et goûter une certaine oisiveté. Il lit les symbolistes, notamment Mallarmé et de Régnier. L'intérêt pour le mythe est marqué chez lui : il éclaire aussi le présent. L'amour de la modernité ne veut pas dire renoncement au passé (quoi qu'en aient pensé les futuristes), aux légendes et aux contes, tels qu'il les découvre lors d'un séjour en terre rimbaldienne, dans les Ardennes, et dont les échos traversent plus d'un poème sur diverses époques. Janus, le poète, tente de chanter l'extérieur du monde (en termes apollinariens, son il y a) et, en continuité romantique, les dedans problématiques et vertigineux du sujet : il en opère la synthèse florifère.
Apollinaire découvre l'amour, ses visages (Marie, Linda, d'autres...), la difficulté d'y atteindre. L'amour est nécessité (Vitam impendere amori dit le titre d'une plaquette de 1917) et impossibilité. Se profile la figure du mal-aimé (la Chanson du mal-aimé) qui teinte son lyrisme de mélancolie, de secrète nostalgie, de tristesse aussi. Guillaume vient à Paris en 1899. Il effectue en 1901 un séjour sur les lieux mêmes du romantisme, qui le lie comme Nerval, et pour toujours, à une Allemagne dont les mythes, notamment rhénans, parcourent son œuvre. La liaison avec Annie Playden, autre femme aimée puis revue à Londres, connaît aussi l'échec. Apollinaire rencontre alors Marie Lau– rencin.
Littérairement, il collabore à des revues en tant que journaliste et chroniqueur, au besoin les fonde, et marque un intérêt vif pour la peinture de son temps, dont, après Diderot et Baudelaire, il se fait un critique éclairé (les Peintres cubistes et Méditations esthétiques, 1913). Alors qu'une bonne part d'Alcools est déjà écrite, il publie l'Enchanteur pourrissant en 1909. Ce volume initial fait de lui une des premières voix de sa génération. Merlin et Viviane, des personnages des légendes, le bois (image de l'inconscient), l'amour impossible, le jeu entre réalité et irréel qui se croisent dans l'enchantement, innervent cet opus illustré (il y tient) à la construction neuve. La modernité est aussi cette rupture qui (par magie ?) n'exclut pas l'intériorité. Il publie l'Hérésiarque et Cie (1910), ensemble original de contes, puis le Bestiaire ou cortège d'Orphée (1911) avec des bois de Dufy. Se dessinent les thèmes à venir, ainsi la nécessité de la poésie.
Alcools
En 1913, Alcools, enfin, reprend et ordonne les grands textes des années précédentes et des vers juste écrits. S'y reflètent les expériences, la prison (cf. le titre ironique À la Santé), la liaison avortée avec Marie (et l'un des plus beaux poèmes d'amour de la langue, le Pont Mirabeau). De fait, le recueil (le mot a ici son sens architectural baudelairien) tisse les géographies réelles ou imaginaires entre elles, et brasse les diverses strates de la vie, séjour allemand inclus, dont les plus récentes (Zone, véritable œuvre à lui seul, et bréviaire de la modernité d'aujourd'hui). Ni thématique ni chronologique, le montage d'ensemble est fait de correspondances et d'appels tous plus subtils les uns que les autres. Il évoque la nuance de l'art des mosaïstes. Un itinéraire, orphique là aussi, y chante et s'y laisse percevoir, qui va des années passées, vues à travers un voile de tristesse (peut-être la tonalité d'ensemble), à un présent qui est l'aujourd'hui du temps, comme si les rumeurs de la vie urbaine moderne dissolvaient (comme un alcool, ou une eau-de-vie, premier titre envisagé) les plaintes élégiaques du moi, qu'elles prolongent en fait de tristes accents. Poèmes longs, poèmes courts, formes versifiées ou mètres distincts (à forte saveur d'alexandrins et d'octosyllabes toutefois) font de cette synthèse organique et personnelle le laboratoire verbal d'une parole en genèse certes, mais sacrifiant déjà à la virtuosité comme aucune. Orphée module les accents de sa lyre.
Apollinaire est maître de sa voix : perdu dans l'amour, il s'est trouvé dans la poésie. La modernité apparaît aussi bien dans le motif de la ville que, visuellement, par l'abandon de la ponctuation, ou plutôt, pour éviter de faire double emploi, par son remplacement par une grammaire de coupes et d'accents. Les poteaux d'angles d'un univers imaginaire propre et irréductible sont en place. À certains thèmes déjà caressés (la déploration, les vertus de la poésie) s'en joignent d'autres, souvent en contre-chant : les mouvements du temps, la magie de l'espace. Le vocabulaire va du plus prosaïque de l'argot aux raretés mallarméennes, des souvenirs de lecture aux créations pures qui tissent, à l'intérieur du français lui-même, un exotisme déroutant. Le verbe se fait pure liberté verbale sans jamais renoncer à la musique, le plus verlainien des traits d'Apollinaire. Celui-ci ne rejette pas les conventions métriques et les impératifs syntaxiques, mais leur offre une souplesse nouvelle que les critiques, à la sortie du texte, n'identifieront pas comme telle.