naturalisme (suite)
Le naturalisme à l'étranger
On a relevé depuis longtemps les ressemblances entre les théories de Zola et certains thèmes de la critique russe du milieu du XIXe s. L'expression d'école naturaliste apparaît, en effet, en 1846 sous la plume de Boulgarine, pour désigner – et dénigrer – les disciples de Gogol. Bielinski reprit l'expression dans son Coup d'œil sur la littérature russe en 1847, mais cette fois dans une perspective positive, opposant les écrivains qui cherchaient à rapprocher leurs personnages des modèles fournis par la réalité aux partisans de l'idéalisation et à l'« école de la rhétorique ». Le naturalisme ainsi compris est illustré par des « physiologistes » comme Pissemski et A. N. Ostrovski, des « ethnographes » comme V. I. Dahl, des « humanitaires » comme Sollogoub et le Dostoïevski d'avant l'exil en Sibérie. Ce courant évoluera rapidement vers le populisme et, plus tard, vers la littérature prolétarienne et le réalisme à la Gorki. Zola put avoir connaissance de sa problématique spécifique à partir de 1872, lors de ses entretiens avec Tourgueniev sur le roman russe. Et il précisa ses propres conceptions dans les articles qu'il donna à la revue russe le Messager de l'Europe.
Le naturalisme français exerça une forte influence en Italie sur le vérisme de Verga et, aux États-Unis, il apporta une caution théorique à la nouvelle littérature née des transformations économiques et sociales de la fin du XIXe s. (Crane, Howells, Dreiser, Norris).
Dans les pays scandinaves, le naturalisme réalisa ce que le critique danois Georg Brandes appela la « percée moderne » (les Grands Courants de la littérature européenne du XIXe s., 1871) : dans la brèche s'engouffrèrent ses compatriotes J. P. Jacobsen (Marie Grubbe, Niels Lyhne), H. Bang (Tine), H. Pontoppidan. Le « naturalisme » du Suédois Strindberg, comme celui des Norvégiens B. Bjørnson et H. Ibsen, se placera vite dans une perspective symbolique et allégorique. Le courant éclatera entre un réalisme bourgeois, volontiers ironique et pessimiste, et une littérature prolétarienne, humaniste et militante.
En Allemagne, le naturalisme coïncide avec la phase ascendante de l'unité politique du pays : le Reich, proclamé à Versailles en 1871, inaugure une période particulièrement dynamique de son histoire, sa montée en puissance économique et militaire. Les naturalistes s'attachent à en décrire la contrepartie sociale, surtout l'essor de la petite bourgeoisie et sa médiocrité. Ils prétendent adapter l'écriture littéraire à la rigueur des méthodes scientifiques et aux exigences de la vie moderne. En même temps, et un peu contradictoirement, ils prônent un retour à la nature, à la spontanéité, au lyrisme incontrôlé. Une impulsion décisive est donnée par la tournée à Berlin du Théâtre-Libre d'Antoine (1887), qui révèle Zola (Germinal, Thérèse Raquin). En même temps, Ibsen triomphe sur les scènes berlinoises (Maison de poupée, les Revenants). Encouragés par son succès, les naturalistes se tournent vers le théâtre. En 1889, Arno Holz et Johannes Schlaf font jouer à Berlin par la Freie Bühne, fondée à l'instar du Théâtre-Libre d'Antoine, leur drame la Famille Selicke. C'est la « tranche de vie » portée à la scène, dans le langage tel que le peuple le parle. Donner l'impression du vécu : tel est le mot d'ordre. Venant après eux, Gerhart Hauptmann leur empruntera leur formule, mais en la stylisant. Il a assimilé leurs recettes, mais les transpose sur le plan de la création artistique. Son drame Avant l'aurore (1889) fut la bataille d'Hernani du naturalisme allemand. Hauptmann accomplit et achève le mouvement naturaliste en Allemagne, en particulier avec son drame social les Tisserands (1892). Sauf au théâtre, le naturalisme allemand, recherche collective plutôt qu'école, mouvement éruptif plutôt que source d'inspiration, n'a pas laissé d'œuvre durable qui se réclame de lui.
En Espagne, les œuvres des naturalistes français se répandirent à partir de 1880 grâce à des traductions de Zola, puis des Goncourt, de Daudet et de Huysmans. Le naturalisme castillan, qui fait une place moins importante que le français au déterminisme, a été illustré par Pérez Galdós dans certains de ses romans (La desheredada, Fortunata et Jacinta, Miséricorde), par Clarín (La Regenta, Su unico hijo) et par Jacinto Octavio Picón, qui traita volontiers de thèmes anticléricaux ou érotiques.
La diversité des pays latino-américains rend difficile toute recherche d'homogénéité du courant naturaliste à travers le continent. E. Cambaceres, dans son roman Pot-pourri (1881), lance un violent réquisitoire contre la société, et n'hésite pas à prendre de grandes libertés avec la langue. L'auteur exploite la même veine dans En la sangre (Dans le sang, 1887), au titre révélateur. Dans El hombre de los imanes, un autre Argentin, Manuel T. Podestá, fait explicitement référence à l'Assommoir ; J. A. Argerich expose dans Inocentes o culpables (1884) ses théories positivistes sur l'immigration européenne, qu'il voudrait limiter aux « élites ». Dans la Bolsa (1891), José Miró étudie la crise économique de 1880.
Au Mexique, le mouvement est annoncé, entre autres, par A. Nervo (El bachiller, 1895) et poursuivi par F. Gamboa qui, dans Suprema ley (1886), montre que l'amour est une force fatale qui détermine l'action de l'homme, avant d'étudier, sans grandes nuances à vrai dire, le problème du mysticisme dans Metamorfosis (1889). À la même école peuvent être rattachés les premiers romans de M. Azuela : ainsi, Maria Luisa (1907) est l'histoire d'une jeune fille abandonnée qui, réduite à la prostitution, meurt à l'hôpital, où son amant infidèle, médecin comme Azuela, se sert de son cadavre pour sa leçon d'anatomie.
À Cuba, il faut surtout citer Carlos Loveira, qui illustra dans son œuvre ses théories sociales progressistes : son meilleur roman, Juan Criollo (1927), décrit avec acuité la société cubaine des débuts de la République.
Si le naturalisme n'a pas produit de chefs-d'œuvre décisifs en Amérique latine, il a joué, ici comme ailleurs, son rôle de rupture avec un romantisme attardé. Il aura surtout été important comme mouvement de transition vers la littérature contemporaine, et lui a permis d'être ce qu'elle est encore aujourd'hui : à travers l'étude des maux dont souffre le continent, une recherche de l'identité latino-américaine.