voyage (récit de) (suite)
Le voyageur romantique
Les journaux de voyage et les correspondances se proposaient déjà comme un genre littéraire (De Brosses, Lettres familières sur l'Italie, publiées seulement en 1800), ouvert à l'humour (Laurence Sterne, Voyage sentimental, 1768 ). Mais il revient aux écrivains romantiques (Hugo, Gautier, Dumas) d'en avoir fait un art à part entière. Grâce à Bernardin de Saint-Pierre et à Chateaubriand, l'exotisme apparaît comme une notion clé de l'expression romantique : Chateaubriand (Itinéraire de Paris à Jérusalem, 1811), Lamartine (Voyage en Orient, 1835), Nerval (Voyage en Orient, 1856) décrivent des contrées qui ont le prestige des cultures millénaires et font partager dans leurs récits sentiments et dépaysement authentique. On ne voyage plus pour découvrir, pour transmettre une information, mais pour éprouver sur soi les émotions promises par un ailleurs désiré, et en tirer une jouissance portée par l'écriture qui s'emploie à célébrer une nature choisie pour sa beauté idéale ou piquante, favorable à des élans de la sensibilité.
Devenir du récit de voyage
Mais au XXe s., l'exotisme ne survit que comme exercice de style et avatar esthétisant ou comme recherche d'un insolite désormais masqué par le nivellement des civilisations. La dévalorisation littéraire du récit de voyage s'explique par les statuts nouveaux de la communication. Aujourd'hui, d'autres médias sont capables de procurer l'enchantement exotique que les écrivains du siècle passé tiraient de leur seul art d'écrire.
Au-delà des contenus, il convient de s'interroger sur la forme même du récit, à quoi s'attachent les sémioticiens (Louis Marin, Utopiques : jeux d'espaces, 1973). On a longtemps vu dans ce récit un simple substitut du voyage. Mais pour le narrateur lui-même, la réalité du voyage ne s'établit jamais qu'à l'aide de mots, c'est-à-dire dans une narration qui s'approprie l'espace et, plus encore, qui s'y substitue.
Le voyage s'ordonne donc selon les catégories génériques du récit ; il obéit à ses impératifs formels. En outre, les livres de voyage, qui sont l'histoire des autres en tant qu'ils nous concernent, nous conduisent au cœur du débat philosophique. Les rouvrir aujourd'hui, c'est peser les conditions d'un apprentissage de la différence.