Portugal (suite)
Les Lumières
Au XVIIIe s., la pensée des Lumières pénètre au Portugal grâce à une élite intellectuelle ayant fui les rigueurs de l'Inquisition. Parmi ces « étrangers » (estrangeirados), qui exercent à distance une grande influence sur le pays, il faut citer Luís António Verney (1713-1792), opposé à l'esprit scolastique qui domine alors l'enseignement, le médecin Ribeiro Sanches (1699-1783) et le chevalier Francisco Xavier de Oliveira (1702-1783) dont les idées inspirent les réformes du marquis de Pombal. Les autodafés cessent et les jésuites sont expulsés du Portugal (1759). De nouvelles écoles sont créées, l'université est réformée. De jeunes écrivains fondent l'association littéraire « Arcádia Lusitana » : l'imitation des classiques doit s'opposer au « baroquisme » ; les Arcadiens visent à rénover le théâtre et créent un nouveau langage poétique ainsi dans la Cantate de Didon, imitée de Virgile, de Correia Garção (1724-1772). En marge des néoclassiques, les œuvres des poètes Nicolau Tolentino (1740-1811) et de Manuel Maria Barbosa du Bocage (1765-1805) annoncent le romantisme.
Le romantisme et la « génération de 70 »
Au Portugal, la révolution romantique a lieu pendant les luttes entre libéraux et absolutistes et ce sont des écrivains exilés politiques à l'étranger qui en rapportent les idées nouvelles. Deux grandes figures représentent le romantisme au Portugal : Almeida Garrett (1799-1854), poète lyrique, analyste psychologique dans ses romans et réformateur du théâtre portugais ; Alexandre Herculano (1810-1877), romancier, historien, poète, journaliste, militant de la cause libérale, qui bénéficie auprès de sa génération d'un immense prestige intellectuel et moral. Contemporain de la première génération romantique, António Feliciano de Castilho (1800-1875) se complaît dans un certain formalisme. La deuxième génération romantique, qui marque la transition vers le réalisme, s'incarne dans Camilo Castelo Branco (1825-1890), célèbre pour son Amour de perdition, et Júlio Dinis (1839-1871), déjà proche du naturalisme. Les nouvelles doctrines sociales (Proudhon), philosophiques (Hegel), les événements politiques de l'étranger (organisation de la Ire Internationale, Commune de Paris) se répercutent au Portugal. Dans le domaine littéraire, c'est la « génération de 70 », composée de jeunes intellectuels formés à Coïmbre, en contact avec les courants littéraires, scientifiques et philosophiques les plus récents, qui réagit contre le romantisme dépassé et contre l'autorité magistrale. Poète lucide et tourmenté, Antero de Quental (1842-1891) prend la tête d'une polémique littéraire (« bon sens et bon goût ») contre Castilho, représentant de la vieille école, et défend les nouvelles doctrines esthétiques : ses Odes modernes sont le triomphe de la nouvelle couche intellectuelle, liée à l'Europe, contre l'étroitesse provinciale. D'autres écrivains de la « génération de 70 » marquent également le mouvement réaliste : Eça de Queiroz (1845-1900), dont l'œuvre constitue une critique des mœurs de la société de son temps ; Joaquim Pedro de Oliveira Martins (1845-1894), historien et grand romancier par son sens du pittoresque et son extraordinaire pouvoir descriptif ; Abílio Guerra Junqueiro (1850-1923), satiriste et pamphlétaire, représentant de la nouvelle école poétique structurée par la pensée révolutionnaire ; José Duarte Ramalho Origão (1836-1915), qui fait la caricature, à la lumière des penseurs socialistes, du libéralisme portugais, des types et des milieux nationaux ; José Valentin Fialho de Almeida (1857-1911), auteur de Contes et de pamphlets contre la monarchie ; Duarte Gomes Leal (1848-1921), qui rénove la poésie portugaise par des images nouvelles annonçant le symbolisme. Introduit par Eugénio de Castro (1869-1944) avec Oaristos, le symbolisme sera surtout représenté par Camilo Pessanha (1867-1926) et António Nobre (1867-1903). De son côté, le poète Cesário Verde (1855-1886) crée, avec le Livre de Cesário Verde, une expression neuve adaptée à une nouvelle réalité.
Le XXe siècle
Au début du XXe s., le mouvement du saudosismo (« nostalgisme ») atteint son apogée avec les œuvres de Teixeira de Pascoaes (1877-1952) tandis que, dans le théâtre et l'essai, Raul Brandão (1867-1930) se révèle un précurseur de l'existentialisme. Le modernisme, illustré par les groupes des revues Orpheu et Presença, rompt avec les formes d'expression du passé : Orpheu (1915), formé à Lisbonne, se montre non conformiste jusqu'au scandale ; son message futuriste domine l'époque et il révèle Mário de Sá Carneiro (1890-1916) et, surtout, Fernando Pessoa (1888-1935). Le second groupe moderniste, constitué autour de Presença (1927-1940), révèle des poètes tels que José Régio (1901-1959) et João Gaspar Simões (1903-1987), critique du mouvement. António Patrício (1878-1930), en opérant la synthèse entre le saudosismo et le symbolisme, et Júlio Dantas (1876-1962) résument, à des niveaux fort différents, le théâtre contemporain. Succédant à une longue période naturaliste, les talents les plus divers s'affirment dans le domaine de la prose avec le romancier Aquilino Ribeiro (1885-1963), dont le style s'inspire à la fois des langues régionales et des auteurs classiques, et l'essayiste António Sérgio (1883-1969), qui exerce une grande influence sur les intellectuels groupés autour de la revue Seara Nova. À leur suite s'inscrivent le poète et le conteur Miguel Torga (né en 1907), Irene Lisboa (1892-1958) et Florbela Espanca (1894-1930), qui, par l'affirmation de l'érotisme féminin exprimée dans ses sonnets, tient une place à part dans son époque. Mais la dictature salazariste finit par imprimer sa marque sur les consciences, et le néoréalisme apparaît bientôt comme le moyen de poursuivre la lutte politique dans le champ de la littérature, à l'exemple d'auteurs comme Carlos de Oliveira (1921-1980), Fernando Gonçalves Namora (1919-1989), Alves Redol (1911-1969) et Vergílio Ferreira (1916-1996) qui s'acheminent vers l'existentialisme et la métaphysique, tout comme Urbano Tavares Rodrigues (né en 1923). En poésie, Adolfo Casais Monteiro (1908-1970), Jorge de Sena (1919-1978), Eugénio de Andrade (né en 1923) sont parmi les plus représentatifs, tandis que le mouvement surréaliste s'illustre avec Mário Cesariny de Vasconcelos (né en 1923), António Ramos Rosa (né en 1924) et António Maria Lisboa (1928-1953). La poésie nouvelle, dite expérimentale, est marquée par des poètes tels Herberto Helder (né en 1930), Alexandre O'Neill (1924-1986), Natália Correia (1923-1993), David Mourão-Ferreira (né en 1927). À partir de 1968, les groupes d'avant-garde se multiplient, révélant entre autres Nuno Júdice (né en 1949), chez qui le discours poétique devient son propre métalangage, João Miguel Fernandes Jorge (né en 1943), António Franco Alexandre (né en 1944) et, surtout, Nuno Guimarães (1942-1973), qui essaient de nouvelles articulations du vers. Au théâtre, Luís Francisco Rebelo (né en 1924) se livre à une étude sociale et existentielle, Bernardo Santareno (1924-1980) et Luís de Sttau Monteiro (1926-1993) accusent dans leur œuvre l'influence de Brecht. Dans le domaine de la recherche critique, Jaime Zuzarte Cortesão (1884-1960) et António José Saraiva (1917-1993) témoignent, entre autres, de l'aptitude d'une culture à se définir dans la rigueur, tandis qu'Eduardo Lourenço, né en 1923, se livre à une Psychanalyse mythique du destin portugais, dont Pessoa est un paradigme. Le « nouveau roman » va marquer une étape vers de nouvelles structures du récit avec Almeida Faria (né en 1943). Avec ses romans-fleuves, Agustina Bessa-Luis (née en 1922) avait déjà ébranlé les traditions d'un genre toujours attaché à l'héritage queirosien. Dans les années 1970, une génération d'avant-garde rompt avec le passé même récent : sa principale représentante est Maria Velho da Costa (née en 1938), adepte de la « désécriture » qui annonce les recherches de romancières comme Lídia Jorge (née en 1947), de romanciers comme Américo Guerreiro de Sousa (né en 1942), auteur de Là où tombe l'ombre (1983), et surtout de António Lobo Antunes (né en 1942), qui fait fructifier les leçons de Céline et de Faulkner dans des récits au tissu narratif éclaté. La littérature portugaise est aujourd'hui reconnue, divulguée par nombre de traductions. La reconnaissance internationale s'est affirmée en 1998, avec l'attribution du prix Nobel au romancier José Saramago (né en 1922).