Defoe (Daniel)
ou Daniel De Foe
Écrivain anglais (Londres v. 1660 – id 1731).
Après des études au séminaire de Stoke Newington, il devient mercier (1683), lutte aux côtés de Monmouth à Sedgemoor (1685) et favorise, en 1688, l'accession au trône de Guillaume III d'Orange. Armateur, il assure des navires qui coulent durant la guerre contre la France. Ruiné (1693), « auditeur » au Bureau des droits (1695-1699), il devient administrateur d'une briqueterie près de Tilbury, soutient les whigs, puis les tories. En 1697 (Essai sur les projets), il élabore le premier projet d'assurances sociales. En 1701, il prend la défense du « roi étranger », proclame (l'Anglais de pure race) la bâtardise universelle des soi-disant « Anglais ». En 1702, son Plus Court Moyen d'en finir avec les dissidents, traité ironique, est pris à la lettre des deux côtés : il doit se cacher. Arrêté, il connaît le pilori, mais la foule lui fait fête, et, tandis qu'on lui coupe les oreilles, il assiste au succès de son Hymne au pilori (1704). Sa briqueterie ayant fait faillite durant son emprisonnement, il lance la Revue, puis le Mercator, qu'il animera jusqu'en 1713, au rythme de trois numéros par semaine. Premier journaliste moderne, il s'intéresse au commerce, à la vie des humbles. En 1706, la reine Anne le charge de négocier l'union avec l'Écosse. Il publie l'Histoire de l'union des royaumes de Grande-Bretagne (1709), puis l'Histoire des guerres de Charles XII (1715).
La désillusion politique le jette vers la forme la plus libre de moralisation populaire : à 60 ans, il débute dans le genre du roman, en s'inspirant d'événements réels. Son coup d'essai, Robinson Crusoé (1719), deviendra vite un triomphe mondial, en créant le mythe du naufragé solitaire qui réinvente la civilisation sur son île. Viendront ensuite le Capitaine Singleton (1720) et Colonel Jack (1722). Dans Moll Flanders (1722), l'héroïne, seule au monde, va de mariage en mariage, de larcin en larcin, et vit le picaresque au féminin. La même année, Defoe publie son Journal de l'année de la peste (1722), vision romancée de l'épidémie de 1664 qui tua les deux tiers de la population londonienne sans qu'un seul noble ou notable soit touché. Lady Roxana, ou l'heureuse catin (1724) se présente comme la prétendue confession d'une jeune veuve qui passe du ruisseau au lit du roi. Malgré son repentir affiché, la froide Roxana ne pense qu'argent et pouvoir. Après ces romans, Defoe revient à son rôle de conseiller-guide (le Parfait Négociant anglais, 1725-1726 ; Voyages en Grande-Bretagne, 1724-1727 ; Lubricité conjugale et Prostitution matrimoniale, 1727). Il meurt en 1731 après quatre ans de silence.
Snobé par les grands (Swift, Pope), il remporta, avec le mythe de Robinson, odyssée de l'individualisme bourgeois, une victoire que n'avaient pu lui assurer ni les affaires ni la politique. Son thème majeur reste la lutte pour la survie, au jour le jour. Le succès remplace la grâce : la vie spirituelle sera réduite chez Moll ou Robinson à la « mauvaise conscience » que soulagent une sorte de comptabilité intérieure et les bonnes œuvres. La moralisation dont rêve Defoe passe par la réforme des institutions de base (le mariage notamment) et la garantie des ressources. C'est la faim qui mène le monde, et la vanité. L'économique révoque sans les dissoudre les instances spirituelles : la morale sera le remords des faibles. Moll devient « bonne dame ». Robinson se retrouve colon. Defoe, par son attention passionnée au détail et le goût des bilans (matériels et spirituels), invente l'aventure au quotidien.
Defrecheux (Nicolas)
Poète belge de langue wallonne (Liège 1825 – Herstal 1874).
L'un des principaux artisans de l'efflorescence des lettres dialectales en Wallonie au milieu du XIXe s., il se révéla par une chanson élégiaque (Lèvîz-m'plorer, 1854) sur la mort d'une jeune fille et par une idylle composée en forme de « cramignon » (L'avez-v'véyou passer ?, 1856). Réunies en 1860 dans un mince recueil de Chansons wallonnes (augmenté dans l'édition posthume de 1877), ces œuvres, devenues rapidement populaires, marquèrent les débuts de la poésie lyrique en dialecte. Inspiré par les thèmes conventionnels que lui dictait, sur l'amour, la famille, l'enfance, le pays natal, le romantisme mineur vers lequel l'inclinait son tempérament, Defrecheux arriva à point nommé pour combler les désirs latents des nombreux amateurs qui, à la veille de la fondation de la Société liégeoise de littérature wallonne (1856), aspiraient à voir s'affiner la culture littéraire du parler dialectal, jusqu'alors réputé pour son réalisme et sa verdeur.
dégel (le) (Ottepel)
L'expression désigne une période de libéralisation de la littérature soviétique inaugurée en 1954, lors du IIe Congrès des écrivains qui avait assoupli la notion de « réalisme socialiste ». Cette même année avaient paru quatre articles signés par des écrivains reconnus qui réclamaient un renouveau : en poésie, Olga Berggolts (1910-1975) et Vera Inber (1890-1972), auteurs, toutes deux, de recueils consacrés au martyre de Léningrad, déploraient l'absence de la veine lyrique dans la production contemporaine, tandis qu'en prose Ehrenbourg et surtout Vladimir Pomerantsev (1907-1971), avec son article « De la sincérité en littérature », en appelaient à l'honnêteté de l'écrivain. C'est d'ailleurs un roman d'Ehrenbourg (le Dégel, 1954), qui donne le ton, en même temps qu'un nom, à la période ; la métaphore naturelle, transparente, est utilisée aussi par Vera Panova (1905-1973), dont le roman les Saisons aborde, toujours en 1954, des problèmes d'éthique sociale.
Le XXe congrès (1956) et le « rapport secret » de Khrouchtchev entérinent la libéralisation. Le roman de Vladimir Doudintsev (né en 1918), paru la même année, porte un titre emblématique, L'homme ne vit pas seulement de pain. Le monde littéraire connaît alors une période d'effervescence, largement soutenue par les revues Novyï Mir, de Tvardovski, et Iounost', de Kataïev. Il s'agit d'une véritable révolution esthétique : la nouvelle devient un genre dominant, en réaction au roman-fleuve de célébration du socialisme, la science-fiction se développe, avec en particulier Ivan Efremov (1907-1972) et les frères Strougatski, Arkadi (1925-1991) et Boris (né en 1933). Un des grands moments du dégel est la publication des œuvres de Soljenitsyne, mais cette période voit aussi apparaître tout un groupe d'écrivains (la « jeune prose ») comme Aksyonov, Aïtmatov, Bitov, Naguibine, Tendriakov, Voïnovitch, ou encore Iouri Bondarev (né en 1924), Vassili Bykov (né en 1924), Anatoli Gladiline (né en 1935), le nouvelliste Iouri Kazakov (1927-1982), le satiriste Fazil Iskander (né en 1929), Pavel Niline (1908-1981), qui tous, avec une réussite inégale, mettent au centre de leurs livres des préoccupations éthiques (l'individuel prend le pas sur le collectif) et sociales (critique de la bureaucratie, de la collectivisation, de la répression stalinienne). La prose n'est pas, et de loin, le seul vecteur de liberté. Des poètes comme Akhmadoulina, Evtouchenko, Voznessenski, Boulat Okoudjava, auteur-compositeur (1924-1997), réunissent un public considérable lors de leurs apparitions en public.
Cette brève échappée sur la liberté, qui voit aussi la réédition d'auteurs des années 1920 et 1930 mis à l'index (Boulgakov, Platonov, Zochtchenko...) et la publication d'œuvres occidentales, est compromise dès la persécution de Pasternak, qui dut renoncer au prix Nobel (1958), et s'achève avec la condamnation de Brodski (1864) puis le procès de Daniel et Siniavski (1966). À l'ère du « dégel » succède celle du samizdat : c'est ainsi que l'on désigne en russe l'ensemble des techniques utilisées pour reproduire à l'insu des autorités des textes interdits, ceux des écrivains « dissidents ».