Calvo Sotelo (Joaquín)
Écrivain espagnol (La Corogne 1905-Madrid 1993).
Journaliste, c'est surtout un auteur dramatique qui excelle dans la conduite d'une intrigue. Si Vive l'impossible (1939) relève du théâtre de l'absurde, son plus grand succès fut la Muraille (1954), où un ex-capitaine franquiste, ayant volé une propriété à la fin de la guerre civile, décide, malgré l'opposition de sa famille, de la restituer pour sauver son âme et meurt juste avant d'y parvenir.
Calvos (Andreas)
Poète grec (Zante 1792 – Keddington, Grande-Bretagne, 1869).
Après des études à Livourne, Calvos rencontra à Florence, dans sa vingtième année, le poète italien Ugo Foscolo dont il fut le disciple et le secrétaire. Il l'accompagna en Suisse, puis à Londres, où les deux hommes se brouillèrent (1817). Calvos quitta l'Angleterre (1820) pour l'Italie, puis la Suisse. C'est à Genève qu'il publia, en 1824, la Lyre, que suivirent les Odes nouvelles, publiées en 1826 à Paris, et aussitôt traduites en français. En 1826, Calvos vint s'installer à Corfou, où il vécut jusqu'en 1852. Il repartit ensuite en Angleterre, où il resta jusqu'à sa mort, en 1869. Son œuvre poétique se limite à vingt odes d'inspiration patriotique, dont la publication est suivie d'un silence de près de quarante-trois ans. L'échec du poète tient à une inadéquation entre une inspiration élevée et une expression souvent étrange : Calvos, contemporain de Solomos, semble dépourvu du sens de la langue de son compatriote. S'inspirant de la prosodie antique, il brise le vers de quinze syllabes en deux hémistiches et supprime la rime, tandis que son vocabulaire mêle termes anciens et modernes, savants comme populaires, en un ensemble hétérogène. Certaines images sont fulgurantes, mais se trouvent noyées dans une trame néoclassique qui donne à l'intensité poétique un caractère fragmentaire : c'est ce que Séféris appelle les « intermittences » de Calvos, et qui constitue la limite de son œuvre inspirée.
Camara (Laye)
Écrivain guinéen (Kouroussa 1928 – Dakar 1980).
Son premier roman, l'Enfant noir (1953), évoque le paradis perdu de l'enfance, entre un père forgeron et une mère douée de pouvoirs magiques. Comme « un long poème » (Senghor), le roman exalte les traditions ancestrales. Le Regard du roi (1954) se situe au carrefour de l'allégorie et du fantastique. Dramouss (1966) s'apparente à un pamphlet dans lequel il consigne, sous un voile à peine parodique, le bilan de huit années du régime « socialiste » de Sékou Touré. Contraint à l'exil, Laye Camara s'installe en 1963 à Dakar, où il publie le Maître de la parole (1978), inspiré de la tradition orale mandingue et de l'histoire de Soundjata, le héros-fondateur de l'empire du Mali.
Cambacérès (Eugenio)
Écrivain argentin (Buenos Aires 1843 – Paris 1890).
Nourri de culture française, il fut le premier romancier argentin à appliquer les théories du naturalisme de Zola. Pot-pourri (1881) est une revue ironique des défauts de la société de Buenos Aires ; Musique sentimentale (1884) conte la vie d'une prostituée française rachetée par l'amour ; Désorienté (1885) met en scène un homme qui, ayant perdu la foi, sombre dans le pessimisme. Dans le sang (1887) fait de l'étude d'un cas psychologique une expérience de laboratoire.
Camblak (Grigorij)
Prêtre et écrivain du deuxième royaume bulgare (Tarnovo v. 1362 – apr. 1418).
Il est célèbre pour ses talents d'orateur et de prédicateur, et surtout pour les panégyriques qu'il écrivit à la gloire de son oncle Cyprien, métropolite de Russie (vers 1409) et de son maître Euthyme (vers 1416), et où se trouve son célèbre récit de la prise de Tarnovo par les Turcs. Forte personnalité ne craignant pas de braver les anathèmes, il devint en 1414 métropolite de Kiev et participa en 1418 au concile de Constance, où il tenta un rapprochement entre Byzance et Rome, démarche qui ne recueillit que la désapprobation du monde orthodoxe.
Cambodge
Comme la plupart des littératures du Sud-Est asiatique, la littérature cambodgienne se présente sous un double aspect, à deux niveaux différents : elle est à la fois une littérature écrite, issue de traditions culturelles indiennes, et une littérature orale empruntant ses thèmes au « folklore » autochtone. Cette distinction entre deux stades d'expression serait claire s'il s'agissait réellement de deux ordres de textes, de « genres littéraires » nettement séparés. Mais il s'est produit au Cambodge un long brassage de traditions entremêlées qui fait apparaître dans le conte populaire les personnages de la mythologie brahmanique, ou qui inversement donne à l'épopée venue de l'Inde ou aux récits bouddhiques un caractère local : aspect ambigu d'une littérature qui appartient à la fois aux littératures de tradition écrite et de transmission orale.
On sait que la langue cambodgienne est rattachée à la famille linguistique appelée mon-khmer, parce que le khmer et le mon, pratiqué en basse Birmanie et Thaïlande, en sont les rameaux les plus importants. Les caractères de l'écriture cambodgienne ont été empruntés à l'écriture en usage dans l'Inde du Sud vers les Ve ou VIe s. de notre ère. L'existence de cet alphabet de type indien a pu créer une confusion. En effet, identifiant langue et écriture, certains voyageurs mal renseignés ont pu croire que la langue cambodgienne ou khmère « dérivait » du sanskrit et du pali, et était leur proche parente. Cette méprise trouvait également appui dans le fait que le cambodgien, peu riche en termes abstraits à l'origine, a emprunté tout au long des siècles d'influence culturelle indienne un vocabulaire littéraire, religieux, juridique et administratif lié aux institutions sociales et religieuses héritées de l'Inde. Les mots savants furent bientôt intégrés dans la langue, transformés par la phonétique cambodgienne. Pourtant, il n'y eut pas à proprement parler un amalgame linguistique, puisque le sanskrit et le vieux khmer coexistèrent dans les inscriptions anciennes. Dès les débuts de l'épigraphie, le sanskrit fut utilisé simultanément avec le khmer, le premier réservé à l'expression versifiée tandis que le second illustrait une prose consacrée à d'autres thèmes.
L'état ancien de la langue khmère est attesté par l'épigraphie. En effet, les premiers témoignages littéraires du Cambodge sont les inscriptions gravées sur pierre qui ont permis de reconstituer l'histoire du royaume khmer, ses lignées royales, ses fondations religieuses, ses conquêtes territoriales et son organisation intérieure. Sans ces textes inscrits dans le grès, sans ces véritables « archives lapidaires », nous ne saurions presque rien de la civilisation d'Angkor, et les faits et gestes des rois bâtisseurs privés de leur chronologie et de leurs panégyriques ne nous apparaîtraient qu'à travers le miroir déformant de la légende et de la tradition orale. Il s'agit de textes gravés sur des stèles plantées devant les temples, ou sur les encadrements des portes des sanctuaires. Les poèmes sanskrits débutent par des invocations aux divinités du panthéon indien et développent ensuite l'éloge du roi fondateur du monument. Ils se terminent par des formules menaçant des tortures de l'enfer ceux qui ruineraient la pieuse fondation, ou au contraire promettant la félicité sans fin à ceux qui l'embelliraient et la feraient prospérer. Les textes khmers ne sont généralement que des nomenclatures assez sèches : objets, serviteurs, terrains affectés à l'entretien du sanctuaire, indications sommaires sur les cérémonies et la vie même du monastère. Aucune valeur littéraire ne s'attache à ces inventaires, mais ils sont infiniment précieux par les détails qu'ils révèlent. Les travaux de l'École française d'Extrême-Orient ont permis d'extraire de ces textes toute leur substance. Du VIe au XVe s., c'est tout le Cambodge historique et religieux qui se déroule à nos yeux : après la période encore obscure du Fou-Nan entre les premiers siècles et le VIe de notre ère, l'entrée en scène du Tchen-La, puis sa scission en deux royaumes rivaux, enfin la fondation de la royauté angkorienne par Jayavarman II au IXe s., point de départ de la prestigieuse civilisation d'Angkor. L'histoire s'obscurcira sous les invasions thaï, et Angkor sera abandonnée au XVe s. Le livre des inscriptions anciennes se fermera alors pour faire place aux chroniques, d'un caractère tout différent, versions manuscrites des annales de la Cour. Servant de lien entre la production ancienne et les écrits modernes, des inscriptions gravées aux XVIe, XVIIe et XVIIIe s. reflètent un changement dans la culture du pays : la langue savante n'est plus désormais le sanskrit, mais le pali, langue sacrée du bouddhisme du Sud, le hinayana ou theravada.
Les trois sections du Canon bouddhique en pali, appelé le Tripitaka, ou « la Triple Corbeille », ont donné lieu à des traductions et à des commentaires en cambodgien recopiés par les bonzes sur les manuscrits de palmier conservés dans les monastères du pays. Des variantes, ici et là, apportent une certaine diversité dans la forme, parfois une interprétation nouvelle, mais le fond reste immuable, bloc solide de la tradition religieuse bouddhique, la Loi ou Dhamma.
Les bibliothèques des monastères contiennent aussi un certain type de textes particulièrement remarquables : ce sont les cpap, ou textes de sagesse. Enfants et adultes savaient par cœur les sentences rythmées de la morale usuelle : devoirs de la piété filiale, convenances sociales, règles de conduite pour les grands comme pour le peuple, toute la structure intime de la société khmère ancienne se trouve contenue dans ces courts traités en vers et en prose, recueils savants de maximes et de proverbes à travers lesquels les parents transmettaient à leurs fils, de génération en génération, la sagesse des ancêtres.
Les Jataka, ou récits des existences antérieures du Bouddha, sont empreints de ce même caractère, mi-savant, mi-populaire, illustrant des thèmes bouddhiques par les aspects les plus familiers de la vie et de la nature, et destinés à l'enseignement.
Une littérature technique et une littérature juridique viennent également grossir les trésors des bibliothèques traditionnelles : recueils de décisions royales révisées par les souverains successifs et tirées du vieux droit sanskrit, traités de magie et d'horoscopie curieusement illustrés de personnages mythiques et de diagrammes, formulaires de divination et de présages, exposés de prosodie khmère, d'architecture, d'explication du rituel, registres de pharmacopée, traités de cosmologie. Quelques titres, tels Sur l'ancienneté du monde, Sur les créatures célestes, les 83 Remèdes, ou encore le Trai Phum (les Trois Mondes), version d'un très ancien texte de cosmogonie indienne, donnent un aperçu de ces œuvres où science et technique voisinent avec les « recettes » rituelles, les répertoires de formules et les légendes d'origine. Vieux fonds de connaissances transmises d'une manière impersonnelle, somme des acquisitions intellectuelles d'un peuple, telle fut cette littérature pendant des siècles.
Histoire, légende, religion, textes de sagesse, recueils techniques sont beaucoup plus à nos yeux des documents que des expressions littéraires. Mais l'art avait surgi d'une manière spectaculaire avec le Ram Ker ou la Renommée de Rama, version cambodgienne du Ramayana, la célèbre épopée de l'Inde. Rédigé en vers rimés et assonancés, le Ram Ker est « découpé » en scènes que l'art du ballet-pantomime anime. Tandis que les danseuses khmères, par leurs gestes raffinés, miment les différentes phases du texte, un chœur de chanteuses déclame et scande l'épopée mythique. Le drame magico-religieux où s'affrontent les héros et les démons, le bien et le mal, ou plus exactement la destruction du monde et sa prospérité, est la forme ancienne du théâtre khmer. D'autres récits, notamment le drame d'Enao, des romans et des légendes, donnent lieu au même genre de représentations, tandis que de jeunes auteurs ont écrit au XXe s. des pièces de type nouveau puisant leurs sujets dans la vie contemporaine et brossant des caractères qui se rapprochent parfois de ceux de Molière ou de nos farces du Moyen Âge.
Les romans, les contes et les chansons révèlent les plus précieuses richesses de la littérature cambodgienne. En général très longs, en vers ou en prose, les romans khmers classiques, bâtis dans un cadre historico-légendaire, illustrent les aventures et les amours de personnages humains ou semi-divins évoluant au milieu d'êtres surnaturels. Un des plus célèbres est le roman de Vorvong et Saurivong, brillant de descriptions colorées, émouvant par ses notes psychologiques, par la délicatesse des sentiments, par l'attitude des êtres en face du merveilleux, en face de la vie et de la mort. Une nuance particulière teinte les faits et gestes de ces personnages qui nous paraissent à la fois proches et lointains : faibles, vulnérables comme nous le sommes devant le destin, ils ont pourtant une sorte de sérénité, de détachement qui nous dépasse. Philosophie acquise grâce au bouddhisme, devenue comme une seconde nature par la persuasion intime que la loi du karma régit toute existence. Les actes de la vie passée engendrent et déterminent la renaissance future dans la « roue » sans fin du devenir, en attendant l'ultime libération du nirvana ou nibbana. Le fatalisme des personnages romanesques rejoint la nostalgie de certaines chansons du pays khmer, à travers la même musicalité des vers où bruissent les assonances et les rimes intérieures, selon une métrique raffinée.
Les contes populaires, à la fois transmis oralement, « de bouche en bouche depuis le lointain passé », inscrits sur les palmes et édités par les imprimeries modernes, constituent une masse considérable. Certains de ces contes sont empruntés aux grands recueils indiens, plus ou moins déformés ou enrichis par l'imagination locale. Mais, en dehors de ces quelques bribes, l'inspiration autochtone a déployé avec verve et malice tout l'éventail de ses situations, de ses personnages humains, animaux et mythiques. Le cycle des Histoires du juge Lièvre, le cycle des Quatre Chauves, le Voleur au bon cœur, l'Homme aux trente sapèques ou les Aventures de Tmenh Chey l'astucieux font apparaître, dans le langage de tous les jours, souvent gauche et naïf, encombré de répétitions, toutes les catégories de la société cambodgienne traditionnelle : paysans et marchands, bonzes des monastères, juges, fonctionnaires, rois et princesses, et tout le monde animal et végétal vivant sous le soleil du Cambodge.
Une transformation dans l'inspiration et les formes de la littérature du Cambodge s'amorça à la fin du XIXe s., avec l'ouverture à l'influence occidentale. La présence française allait modifier le système d'enseignement, introduire dans les programmes des écoles, puis des collèges et des lycées, les textes de la littérature française. Le protectorat allait également favoriser le développement de l'imprimerie. Si bien que le premier texte imprimé en caractères cambodgiens à Phnom Penh paraît en 1908 : il s'agit d'un texte de sagesse encore très classique, les Recommandations du vieux Mas, publié sous la direction d'Adhémard Leclère. Mais c'est surtout l'évolution du roman qui, à travers plusieurs tendances, a modifié le tableau traditionnel. Alors que les anciens et interminables romans étaient versifiés, et ne mettaient en scène que des héros surnaturels et princiers, les romans modernes sont écrits en prose et puisent leurs sujets en dehors du cadre habituel des palais et des monastères. Ils tendent à illustrer les thèmes de la vie quotidienne, à faire vivre des gens ordinaires. La rupture entre l'influence indienne, puis siamoise, et l'influence française n'est pas abrupte, immédiate : certains romans, au début du XXe s., gardent encore quelques traits des sastra lpen du passé, comme, par exemple, l'Eau dansante et la Fleur dansante (Dik ram phka ram) ou Dum Dav, du Vénérable Som, parus en 1911 et 1915, ou encore la Lamentation de Bimba (Bimba bilap) de la romancière Sou Seth, paru en 1900, ou même, en 1942, le Dav Ek de Nou Kan.
Mais, déjà, une véritable révolution s'est produite dans l'expression littéraire, où l'auteur apparaît en tant qu'écrivain, nommé et connu, et où, d'autre part, la lecture prend l'aspect que nous lui connaissons en Occident moderne, les livres n'étant plus destinés à être récités à haute voix, ou même représentés et mimés comme dans le passé. On considère généralement que le premier roman de type moderne est Suphat, dû à Rim Kin (1911-1959), qui fit des études au collège Sisowath de Phnom Penh, et devint un écrivain professionnel, soucieux d'exprimer la culture khmère pour le plus grand nombre. Désormais, romans et pièces de théâtre vont suivre un développement continu, accru par l'indépendance, favorisés par l'éclosion d'imprimeries et de journaux nouveaux. D'une trentaine de romans parus sous le protectorat français, le Cambodge est passé à une centaine vers 1972. Les universités créées, ainsi que l'Association des écrivains khmers fondée dès 1956, favorisent la production littéraire : inégale, certes, mais d'un intérêt primordial. Car c'est grâce à elle qu'à travers les drames vécus par le Cambodge ces dernières années continue de s'exprimer l'identité cambodgienne et de survivre sa culture.